« Appelés par Dieu à chaque heure du jour » : c’est le titre de la méditation de Mgr Francesco Follo sur les lectures de dimanche prochain, 20 septembre 2020 (XXVème dimanche du Temps ordinaire Année A – Is 55, 6 – 9; Ps 144 ; Ph 1,20c – 27-a ; Mt 20, 1 – 16).
« Notre logique est véritablement très distante de celle de Dieu. L’agir de Dieu est complètement différent de celui des hommes », écrit l’observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco à Paris : « En Lui charité et justice coïncident ; il n’y a pas d’action juste qui ne soit aussi un acte de miséricorde et de pardon, et en même temps, il n’y pas d’une action miséricordieuse qui ne soit pas parfaitement juste. »
1) Dieu ne se lasse jamais d’appeler
Avec la parabole évangélique d’aujourd’hui, nous sommes invités à apprendre à penser et à agir « par fidélité à Celui qui ne se lasse pas de passer et de parcourir les rues des hommes jusqu’à la onzième heure pour proposer son invitation d’amour » (cf. Pape François) et recevoir le Christ comme « denier », comme récompense pour notre travail dans la vigne du Père.
Avec la parabole du maître de la vigne qui appelle des ouvriers à travailler dans son domaine, à différents horaires du jour, et qui donne, le soir, à tous le même salaire, un denier[1]. Cette pièce d’argent donnée à tous les ouvrier suscite la protestation des ouvriers de la première heure. Mais par cette parabole Jésus nous aide à entrer dans la logique de Dieu dont la façon de penser es vraiment différente de la nôtre : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur » (Is 55,8).[2]
Cette parabole est consolante depuis le début, parce qu’elle nous rassure : l’humanité est la vigne, la passion, le champ préféré par Dieu, qui s’en occupe avec soin en sortant cinq fois[3]pour chercher des ouvriers.
Le point critique du récit évangélique se trouve au moment de donner le salaire : Dieu, le Seigneur de la vigne, commence par les derniers, les ouvriers de l’onzième heure, et à qui n’a travaillé qu’une heure donne un salaire égal à celui établi pour ceux qui avaient travaillé douze heures.
Les ouvriers embauchés les premiers, au lieu d’être heureux d’avoir travaillé avec un bon Maître, sont mécontents pour cette apparente injustice qui est en réalité une justice plus généreuse. En effet le Maître donne à tout le monde ce qu’il a promis, pourtant il reconnaît à celui qui est arrivé au dernier moment et qui a néanmoins travaillé avec le même espoir, le droit de jouir , comme les autres, du même Royaume, pour lequel il a travaillé jusqu’au coucher du soleil.
Si le premier enseignement de la parabole est celui de rappeler que Dieu s’occupe avec sollicitude de l’humanité symbolisée par la vigne, le deuxième est qu’être appelés à cette collaboration est déjà la première récompense : pouvoir travailler dans la vigne du Seigneur, se mettre à son service, collaborer à son œuvre est déjà en soi un prix inestimable, qui récompense de tout effort. Certes, cet enseignement est compris seulement par ceux qui aiment le Seigneur et son Royaume. Par contre celui qui y travaille seulement pour son intérêt ne s’apercevra jamais de ce très grand trésor.
L’argent dont parle la parabole n’est pas seulement la pièce qui permet de vivre un jour, mais cet argent est Dieu même qui se donne à nous pour nous permettre de vivre dans un jour sans fin. Dieu ne peut donner pas moins que tout, en agissant avec justice et charité, qui sont des réalités différentes seulement pour nous, les êtres humains.
Les hommes distinguent attentivement un acte juste d’un acte d’amour. Pour nous, justice est « ce qui est dû à l’autre, alors que miséricorde est ce qui est donné par bonté ; et qui est une chose qui semble exclure l’autre. Mais pour Dieu c’est tout à fait différent : en Lui charité et justice coïncident ; il n’y a pas d’action juste qui ne soit aussi un acte de miséricorde et de pardon, et en même temps, il n’y pas d’une action miséricordieuse qui ne soit pas parfaitement juste.
Notre logique est véritablement très distante de celle de Dieu. L’agir de Dieu est complètement différent de celui des hommes : Il nous invite à saisir et observer le vrai esprit de la loi, pour lui donner un accomplissement complet dans l’amour envers celui qui est dans la besogne. « le plein accomplissement de la loi, c’est l’amour » (Rom 13,10) : notre justice sera d’autant plus parfaite qu’elle sera plus animée par l’amour de Dieu et des frères.
2) La vocation à travailler dans la vigne de Dieu
Avec le prétexte d’affirmer notre concept humain et limité de justice, on risque de contester la bonté et la miséricorde de Dieu. On risque d’être envieux parce qu’Il est bon. Si l’on repense à la parabole du Fils prodigue on voit qu’il arrive une chose semblable quand le Père miséricordieux accueille à bras ouverts le fils débauché, qui a gaspillé en la pire des manières l’héritage qu’il avait demandé. En outre, le Père organise pour lui une grande fête, qui malheureusement suscite l’indignation et la jalousie du frère ainé. Donc, aussi ce dernier se considère injustement victime d’une injustice évidente, mais en réalité apparente.
Dans son infinie bonté, Dieu se donne lui-même ainsi que tous ses biens non pas de façon arbitraire, mais plutôt selon la logique de son amour infini. Il invite, il donne la vocation à tout le monde : et si les premiers ont répondu avec une pleine disponibilité et amour sincère à son invitation, ceux-ci ont la joie de travailler pour Dieu depuis plus longtemps.
Je pense donc que le thème de fond de la parabole des ouvriers appelés à travailler dans la vigne est le thème du « salut » qui est un don que Dieu réserve à pleines mains à tous et que chacun peut accueillir aussi à la dernière heure. A ce propos il me vient à l’esprit l’épisode émouvant du bon larron crucifié à côté de Jésus sur le Golgotha. L’invitation lui a été manifestée comme initiative miséricordieuse de Dieu ; et, en mourant celui-ci disait : « Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras ton Royaume ». Et de la bouche du Rédempteur condamné à mort en croix sortit la vocation pour lui : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23, 42 – 43).
Pour annoncer l’Evangile, Jésus n’a pas utilisé le critère du mérite ou de la réciprocité : il a donné et pardonné. Il n’a pas donné quelque chose, mais il s’est lui-même offert. Lui, qui avait loué la veuve qui avait donné tout ce qu’elle avait pour vivre (cfr. Lc 21,4), a donné tout ce qu’il était, Sa vie, afin que l’humanité entière puisse vivre d’elle.
Pour annoncer l’Evangile, on doit répondre humblement mais promptement à la vocation du Seigneur qui nous invite à être ouvriers actifs dans Sa vigne.
Soudainement la question naît: « comment ? ». Si l’on cultive la semence de la foi, par le biais de la participation aux sacrements, nous serons en degré de dédier notre existence à la mission, à laquelle le Christ nous appelle tous, en témoignant avec la vie que le salut n’est pas question d’intérêts économiques, ni jaillit d’un rapport entre employeur et salarié. Cette collaboration se concrétise à partir de la seule, gratuite bienveillance de Dieu qui n’utilise pas le critère du « do ut des » (je te donne afin que tu me donnes), mais du « do ut es (sis) », c’est-à-dire « je te donne afin que tu sois ».
Tous les chrétiens doivent utiliser cette méthode du Christ d’une vie donnée à Dieu sans calcul préalable et sans mesure dont les vierges consacrées du monde entier sont un témoignage particulier. Avec le don d’elles-mêmes au Christ, elles montrent que la vigne n’est pas seulement le peuple de Dieu mais qu’elle est le Christ lui-même, à qui adhérer comme les sarments à la vigne. On doit donc se répéter souvent ces mots de Jésus : « Moi je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron (…) Demeurez en moi comme moi en vous » (Jn 15, 1. 4). Ces simples mots nous révèlent la communion mystérieuse qui lie en unité le Seigneur et les disciples ; le Christ et les baptisés.
Ces femmes vivant unies au Christ et aux frères montrent une communion vive et vitale, pour laquelle les chrétiens n’appartiennent pas à eux-mêmes mais ceux-ci sont du Christ, comme les sarments appartiennent à la vigne.
Mais ces consacrées sont témoins « d’une différente manière de faire, d’agir et de vivre ! il est possible de vivre différemment en ce monde. On est en train de parler d’un regard eschatologique, des valeurs du Royaume incarnées sur terre. Il s’agit de tout quitter pour suivre le Seigneur. Non, je ne veux pas dire « radical ». La radicalité n’est pas seulement le propre des religieux : elle est aussi demandée à tous. Mais les religieux suivent le monde de façon prophétique. Moi j’attends de votre part ce témoignage. Les religieux doivent être des hommes et des femmes capables de réveiller le monde » (Pape François). Les consacrées sont des femmes qui avec la prophétie de leur vie annoncent l’esprit de l’Evangile. Et afin que leur vie soit toujours une prophétie, l’Evêque étend ses mains et prie : « Seigneur accorde ton soutient et la protection à celles qui sont devant toi et qui attendent de leur consécration une augmentation d’espoir et de force » (Rituel de consécration des Vierges, n.64).
Lecture Patristique
Les heures de l’histoire du salut
Homélie de Saint Augustin d’Hyppone (354 –430)
Sermon 87, 1.4-6
PL 38, 530-533.
La parabole des ouvriers de la vigne que vous venez d’entendre lire dans l’évangile est bien appropriée au moment présent, puisque nous sommes maintenant au temps des vendanges. Mais il existe aussi une vendange spirituelle, au cours de laquelle Dieu se réjouit des fruits de sa propre vigne.
Le Royaume des cieux est comparable au père de famille qui sortit afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne (Mt 20,1). Celui-ci, à la fin du jour, ordonna de remettre à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers (Mt 20,8).
Que faut-il donc entendre par en commençant par les derniers! Le texte ne dit-il pas que les ouvriers vont recevoir leur salaire? Aussi bien, d’après un autre passage de l’évangile, le Seigneur dira à ceux qu’il placera à sa droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde (Mt 25,34). Tous ensemble, ils doivent donc attendre pour recevoir leur salaire. Cela étant, comment comprendre que les ouvriers engagés à la onzième heure sont payés en premier lieu, tandis que ceux de la première heure le sont en dernier lieu? Je remercierai Dieu si j’arrive à vous le faire comprendre. Quant à vous, vous devez remercier Celui qui se sert de nous pour vous prodiguer ses largesses; en effet, ce que nous vous donnons ne vient pas de nous.
Voici par exemple un homme qui a reçu son salaire après une heure, et un autre après douze heures de travail. Si l’on demande lequel des deux l’a reçu le premier, tout le monde répondra: « Celui qui l’a reçu après une heure de travail l’a eu avant celui qui l’a reçu après douze heures de travail. » C’est ce qui se passe dans la parabole: tous les ouvriers ont reçu leur salaire à la même heure, mais les uns après une heure, et les autres après douze heures de travail. Aussi peut-on dire que ceux qui l’ont reçu après un temps plus court, ont été payés les premiers.
Les justes venus au monde en premier, comme Abel et Noé, ont été, pour ainsi dire, appelés à la première heure, et ils obtiendront le bonheur de la résurrection en même temps que nous. D’autres justes, venus après eux, Abraham, Isaac, Jacob et tous ceux qui vivaient à leur époque ont été appelés à la troisième heure, et ils obtiendront le bonheur de la résurrection en même temps que nous. Il en ira de même pour ces autres justes, Moïse, Aaron et tous ceux qui furent appelés avec eux à la sixième heure; puis les suivants, les saints prophètes, appelés à la neuvième heure, goûteront le même bonheur que nous.
Tous les chrétiens sont, pour ainsi dire, appelés à la onzième heure; ils obtiendront, à la fin du monde, le bonheur de la résurrection avec ceux qui les ont précédés. Tous le recevront ensemble. Voyez pourtant combien de temps les premiers attendront avant d’y parvenir. Ainsi, ils obtiendront ce bonheur après une longue période, et nous, après peu de temps. Bien que nous devions le recevoir avec les autres, on peut dire que nous serons les premiers, puisque notre récompense ne se fera pas attendre.
Quand il s’agira de recevoir la récompense, nous serons tous à égalité, les premiers comme s’ils étaient les derniers, et les derniers comme s’ils étaient les premiers. Puisque aussi bien la pièce d’argent de la parabole est la vie éternelle, sa possession sera aussi la même pour tous. Néanmoins, en raison de la diversité des mérites, l’un resplendira plus, l’autre moins. Quant à la vie éternelle, elle sera la même pour tous, car ce qui est éternel ne durera ni plus longtemps pour l’un, ni moins longtemps pour l’autre; ce qui n’a pas de fin n’en aura ni pour moi ni pour toi. Alors, autre sera la splendeur de la chasteté conjugale, autre la gloire de la pureté virginale. Le fruit des bonnes oeuvres brillera de tel éclat, la couronne de la passion de tel autre, la gloire de l’un différera de celle de l’autre. Mais pour ce qui est de la vie éternelle, l’un ne vivra pas plus que l’autre, ni celui-ci plus que celui-là. En effet, chacun vivra également sans fin, tout en possédant sa propre gloire: car la pièce d’argent, c’est la vie éternelle!
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NOTES
[1] Un denier était ce qui était suffisant à un famille pour vivre une journée. Donc le Maitre ne pense pas seulement aux travailleur, mais aussi aux ceux qui ont une maison. On sait que si un homme ne travaille pas une journée, toute sa famille ne mange pas. [2] Première lecture de la Messe de ce dimanche. La parabole des ouvrières appelés pour aller travailler dans la vigne en est l’Evangile. [3] Les heures du jour sont appellées à la façon ancienne (heure tierce, sexte, none..,) font penser à la prière de l’Eglise étale tout au long de la journée. Cette prière est un appel quotidien : elle aussi est une œuvre nécessaire et capable de cultiver la vigne afin que les fruits maturent.