« Les frères : un don. L’expérience de François d’Assise »: c’est la tribune d’Alessandro Gisotti dans L’Osservatore Romano daté du 16 septembre 2020.
L’ancien directeur du Bureau de presse du Saint-Siège médite sur la prochaine encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale, que le pape François signera à Assise le 3 octobre.
Voici notre traduction de ce texte.
Chez saint François, la fraternité n’est pas une théorie abstraite, mais un don concret de Dieu à tous et à chacun. Le Poverello d’Assise nous rappelle, aujourd’hui encore, qu’on ne peut pas être vraiment frères si l’on ne se reconnaît pas comme fils d’un unique Père.
François d’Assise inspire encore le pape qui, le premier dans l’histoire, porte son nom. Il a cinq ans, c’était la louange à Dieu pour la création, le Cantique des Créatures, qui donnait une âme à l’encyclique Laudato si’. Cette fois-ci, c’est sur la fraternité (et l’amitié sociale) que se concentre l’attention du nouveau document magistériel que le pape François signera le 3 octobre prochain, précisément sur la terre du Poverello. Mais que sont, ou plutôt qui sont les « frères » pour saint François ? Une réponse intime et révélatrice se trouve au début de son Testament, là où, après avoir raconté sa rencontre avec les lépreux – à qui le Christ l’avait conduit, parce que lui-même éprouvait de la répulsion à leur égard – il affirme : « Et après que le Seigneur m’a donné des frères, personne ne me montra ce que je devais faire, mais c’est le Très-haut lui-même qui me révéla que je devais vivre selon la forme du saint Evangile ».
Les frères se présentent donc à François avant tout comme un don de Dieu. Un don inattendu et, à dire vrai, un don qui n’est pas indolore parce qu’ils créent une situation nouvelle qui le « contraint » à demander de l’aide au Seigneur, parce que personne ne sait lui dire quoi faire. Les frères ne sont pas notre « conquête » et ils sont encore moins tels que nous les souhaiterions. Ils sont l’œuvre vivante du Créateur, librement offerte à chacun de nous. Ils sont donnés, justement, et par conséquent nous ne pouvons pas les choisir ni les posséder, mais seulement les accueillir et les aimer tels qu’ils sont, avec leurs faiblesses et leur diversité. Ces différences (et parfois dissonances) qu’en définitive seul le Seigneur peut recomposer parce que, comme le dirait le pape, ce n’est pas nous qui faisons l’harmonie, mais c’est l’Esprit-Saint.
Ce qui ressort clairement chez François d’Assise, et qui est confirmé dans cet écrit fondamental qu’est la parabole finale de sa vie terrestre, c’est que, pour lui, la fraternité n’est pas une idée, une théorie abstraite, mais un fait concret, une expérience qui change la vie. A côté de ce donné de la réalité, nous découvrons que pour François il n’y a pas de fraternité si nous ne reconnaissons pas (et si nous n’acceptons pas) notre commune filiation par rapport au Père céleste. Nous sommes tous frères parce que nous sommes tous fils du même Père. Personne, par conséquent, n’est plus étranger qu’un autre. Un changement de perspective révolutionnaire qui conduira François à des choix surprenants qui se résument dans la célèbre visite au sultan d’Egypte. C’est le cœur de la conversion du saint d’Assise et avec lui, pourrions-nous dire, de chaque femme et de chaque homme qui a authentiquement rencontré Jésus-Christ. Si en effet, on ne reconnaît pas le projet commun d’amour du Père sur nous, il ne suffira pas d’être sœurs ou frères. Même pas biologiquement. En effet, c’est son frère de sang qui tue Abel. Et il le tue parce que la haine a fermé les yeux de Caïn qui, ne voyant plus l’amour du Père, ne reconnaît même pas son frère comme tel.
Mais pour François d’Assise, la fraternité n’est pas un don « statique », une fin en soi. Elle s’alimente et grandit en se nourrissant de la charité. Et elle apporte toujours la paix. La relation avec les frères trace un chemin, initie un processus qui se développe dans une dimension de communion. C’est après la rencontre avec ses frères, en effet, que le Seigneur lui révèle qu’il doit vivre l’Evangile sine glossa, et même davantage : qu’il doit se conformer à lui, prendre la forme même du « saint Evangile ». C’est-à-dire le faire de façon radicale, « sans calmants » pour reprendre une image efficace du pape François.
Pour le saint patron de l’Italie, prendre soin des autres comme de soi-même devient une voie et un espace privilégié d’évangélisation. Il ne peut donc pas exister de frère qui se retire dans un état isolé. Ce serait un contresens, un contre-témoignage. Pour le saint, en effet, l’amour pour le Père grandit au fur et à mesure que se renforce l’amour du frère dans le visage duquel se retrouvent les traits du Créateur. Un amour qui, chez François, se dilate jusqu’à devenir cosmique parce que la fraternité devient une étreinte pour toutes les créatures : même le soleil et appelé frère et la lune sœur. Huit siècles plus tard, bien que les égoïsmes grandissent et que s’élèvent des barrières de toutes sortes, le monde a encore soif de fraternité et de paternité. Il est constamment en quête de cela. Le témoignage du Poverello d’Assise, qui veut se faire le « frère de tous les hommes », est très actuel. Avec un autre François, il nous exhorte à marcher sur la voie de la fraternité.
© Zenit, Hélène Ginabat