Le pape François exhorte une nouvelle fois à « une écoute honnête des joies et des peines » des jeunes : « L’Eglise dans son ensemble doit encore beaucoup travailler sur l’écoute, parce que trop souvent, plutôt que des “experts en humanité”, nous passons pour des personnes rigides et incapables d’écoute », regrette-t-il dans la préface du livre d’un salésien.
Au fil d’une « Invitation à la lecture » de l’ouvrage « Autour du feu vivant du Synode – Eduquer à nouveau à la bonne vie de l’Evangile », rédigé par le père Rossano Sala, le pape souhaite aujourd’hui « des théologiens passionnés par Dieu et par son peuple ».
Il invite particulièrement au dialogue, un « style qui exalte la générosité de Dieu, parce qu’il reconnaît que sa présence est en toute chose et qu’il faut donc le trouver en toute personne, en ayant le courage de lui donner la parole ».
« Les jeunes, écrit le pape en évoquant le Synode d’octobre 2018, ont aidé l’Eglise à redécouvrir sa nature synodale, parce qu’ils nous ont demandé de mille façons de marcher à leur côté : ni derrière eux ni devant eux, mais à leur côté ! Ni au-dessus d’eux ni en-dessous, mais au même niveau qu’eux ! »
Reprenant son appel à une « alliance éducative mondiale », il plaide pour trouver « des voies de réconciliation pour le bien des nouvelles générations ».
Texte du pape François
Je suis heureux de pouvoir vous présenter le texte Pastorale des Jeunes 2. Autour du feu vivant du Synode. Eduquer à nouveau à la bonne vie de l’Evangile, du cher père Rossano Sala, salésien de Don Bosco.
Je le fais avec plaisir, en signe de sincère gratitude pour le travail qu’il a accompli – avec le père Giacomo Costa sj – au Synode sur les jeunes en tant que secrétaire spécial. Je me souviens très bien du premier jour de l’Assemblée synodale, le 3 octobre 2018, quand j’ai dit que lors des travaux préparatoires, ils y avaient laissé leur peau ! Et lorsqu’à la fin de cette expérience intense, le 27 octobre, j’ai conclu en disant qu’ils y avaient aussi laissé les os, après ce mois de dur labeur ! Il est vrai qu’ils ont travaillé très dur pour préparer, accompagner et mener à bien cet important processus ecclésial du début à la fin. Merci beaucoup, merci beaucoup !
Je voudrais profiter de cette belle occasion pour confirmer et réaffirmer certaines de mes convictions sur le travail de la théologie, sur la nécessité du discernement, sur le synode que nous avons vécu sur les jeunes et sur le prochain événement concernant l’ « alliance éducative mondiale ».
La tâche de la théologie
À la question d’un docteur de la loi, qui veut le mettre à l’épreuve, le Seigneur répond avec une extrême précision : « “Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ?“ Jésus lui répondit : “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même“ » (Mt 22,36-40).
Le premier commandement exprime un dévouement total à Dieu, qui part du cœur, passe par l’âme et arrive à l’intelligence. Je voudrais tout d’abord rappeler que le labeur théologique, en tant que recherche de Dieu par l’intelligence, est une expression d’amour pour lui. La raison est un grand don de Dieu, et non le plus modeste, et je pense qu’aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de théologiens passionnés par Dieu et par son peuple. En fait, comme nous pouvons le voir dans la réponse du Seigneur, les deux commandements tiennent ensemble ou tombent ensemble et le sort de l’humanité en dépend.
C’est pourquoi la théologie ne peut pas parler de Dieu de manière abstraite, en le séparant du monde et des personnes concrètes, mais elle a pour tâche de réfléchir sur le lien entre Dieu et l’humanité, en offrant à tous des raisons de vivre et d’espérer. Celui qui n’aime pas le peuple de Dieu, qui sépare son travail de son appartenance aux fidèles, se croyant supérieur à eux plutôt qu’à leur service, n’est pas un théologien. Au contraire, il est absolument vrai que « les questions de notre peuple, ses peines, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’Incarnation » (Message du pape François au Congrès international de théologie à l’Université pontificale catholique d’Argentine, 1-3 septembre 2015).
Tout bon théologien, comme tout bon pasteur, devrait porter l’odeur de ses brebis. Car « théologie et pastorale vont ensemble. Une doctrine théologique qui ne se laisse pas orienter et modeler par la finalité évangélisatrice et par le soin pastoral de l’Église est aussi impensable qu’une pastorale de l’Église qui ne sait pas garder précieusement la révélation et sa tradition en vue d’une meilleure intelligence et transmission de la foi. » (Rencontre avec la communauté académique de l’Institut pontifical “Jean-Paul II” pour les études sur le mariage et la famille, 27 octobre 2016).
L’intention pastorale est un élément transversal de toute réflexion théologique. Par ailleurs le théologien ne travaille pas pour lui-même de façon auto-référencée, mais s’engage toujours pour édifier l’Eglise, pour donner à tous les membres du peuple de Dieu une nourriture solide, en unissant avec sagesse l’aventure de la recherche et le devoir d’alimenter la foi du peuple : c’est pourquoi « le théologien doit avancer, il doit étudier ce qui va au-delà ; il doit aussi affronter les choses qui ne sont claires et se risquer dans la discussion. Mais entre théologiens. Au peuple de Dieu, il faut donner la “nourriture” solide de la foi, ne pas nourrir le peuple de Dieu avec des questions disputées. Que la dimension de relativisme, disons-le ainsi, qui fera toujours partie de la discussion, reste entre les théologiens – c’est votre vocation -, mais ne jamais l’apporter au peuple, parce qu’alors le peuple perd son orientation et perd la foi. Au peuple, il faut toujours donner la nourriture solide qui alimente la foi » (cf. Discours aux membres de la Commission théologique internationale, 29 novembre 2019).
Le texte que je présente ici, justement parce qu’il est le fruit d’un enchevêtrement inextricable entre réflexion théologique et expérience pastorale, est plus que recommandable. A partir des contenus de chaque essai, que le lecteur pourra personnellement apprécier, c’est surtout une juste façon de faire de la théologie aujourd’hui qui est offerte ici.
La nécessité du discernement
Certes, “notre temps”, celui que nous sommes en train de vivre, est le seul qu’il nous est donné de vivre. J’en suis convaincu : nous sommes en train de vivre un “changement d’époque” très spécial, qui implique la maturation de styles relationnels appropriés et de compétences spécifiques. Je dirais que les deux mots-clés sont “écoute” et “dialogue”.
Je suis toujours impressionné par la capacité d’écoute de Jésus. Dans l’épisode des disciples d’Emmaüs, qui a guidé tout le parcours du Synode sur les jeunes, Jésus pose d’abord une question simple, puis il reste en silence et il écoute. Il écoute le cœur des deux disciples déçus, il est attentif à leurs raisonnements, il entre en empathie avec leurs affects. Si Jésus est vraiment, comme le dit Evangelii nuntiandi, « le premier et le plus grand évangélisateur » (n. 9), alors nous devons apprendre de lui. Aujourd’hui surtout, il est plus que jamais nécessaire d’entrer dans une écoute honnête des joies et des peines de chacun des membres du peuple de Dieu et surtout de chaque jeune. L’Eglise dans son ensemble doit encore beaucoup travailler sur l’écoute, parce que trop souvent, plutôt que des “experts en humanité”, nous passons pour des personnes rigides et incapables d’écoute.
Le dialogue suit l’écoute. Il naît de la conviction que chez l’autre, chez celui qui se tient en face de nous, il y a toujours des ressources de nature et de grâce. Que la vie soit toujours une question d’échange de dons, de don et d’accueil, de réciprocité. C’est la loi de la générosité et du don : nous sommes d’abord aimés, mais nous sommes appelés à notre tour à aimer, en créant ainsi un cercle d’alliances toujours plus grandes et plus positives. Et le dialogue est le style qui exalte la générosité de Dieu, parce qu’il reconnaît que sa présence est en toute chose et qu’il faut donc le trouver en toute personne, en ayant le courage de lui donner la parole. C’était la grande conviction de don Bosco, pour qui même dans le jeune le plus pauvre et le plus marginalisé, il y avait toujours une parcelle accessible au bien et une possibilité de réaliser quelque chose avec lui. Pourquoi ? Parce que l’amour de Dieu n’abandonne jamais personne. N’oublions jamais !
Ecoute et dialogue doivent fleurir dans une capacité renouvelée de discernement. Il ne s’agit pas de transformer tous les membres du peuple de Dieu en jésuites ! Selon certains, l’invitation insistante au discernement serait une mode de ce pontificat, destinée à passer rapidement. Il n’est est pas ainsi, parce que si nous regardons l’histoire de l’Eglise, dans les grands moments de changement ont émergé des personnes ou des groupes qui ont vécu un vrai discernement dans l’Esprit. Ils ont identifié des issues inédites, de nouvelles voies jamais explorées.
C’est aussi valable pour notre époque. Pensez seulement — au-delà de la révolution numérique en acte, de la profonde crise environnementale, du drame des migrations, du fléau des abus, pour ne citer que quelques-uns des phénomènes les plus visibles de ce début de troisième millénaire — au temps de pandémie que nous sommes en train de vivre. Un temps que personne n’aurait imaginé il y a de cela quelques mois, qui a transformé l’existence de tout le monde et dont nous ignorons où il nous mènera. Tout cela nous invite à discerner pour garantir la proximité avec le peuple de Dieu, pour réformer l’économie et la finance, pour inventer de nouvelles formes de solidarité et de service. Comment pourrions-nous répondre à tout cela sans un discernement adéquat ? Nous risquerions certainement de succomber à la dernière mode du moment, ou nous nous réfugierions dans des pratiques du passé incapables de comprendre la situation singulière des hommes et des femmes d’aujourd’hui.
La force de la synodalité
Et nous en arrivons au Synode des jeunes. J’ai aimé l’image de ce processus comme celle d’un feu qui peu à peu s’est allumé. Cela rappelle le grand désir du Seigneur : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49). C’est le feu de l’amour de Dieu, certainement, qui éclaire et réchauffe tout homme. Se retrouver autour du feu vivant du Synode signifie reconnaître que cet événement a été générateur et qu’il est destiné à porter des fruits abondants pour le bien de tous les jeunes, personne n’en étant exclu.
J’ai désiré ardemment moi aussi le Synode sur les jeunes. C’était une aspiration de toute l’Eglise, que j’ai volontiers faite mienne après l’expérience des deux Synodes sur la famille et en continuité avec eux. Nous avons vécu une aventure extraordinaire avec tant de jeunes. Dans diverses contributions du texte du père Sala, se lit la conviction que les deux grands piliers du Synode ont été le “discernement” — dont nous avons déjà parlé plus haut — et la “synodalité”, qui s’est imposée peu à peu à notre attention. Je suis moi aussi convaincu que les jeunes ont aidé l’Eglise à redécouvrir sa nature synodale, parce qu’ils nous ont demandé de mille façons de marcher à leur côté : ni derrière eux ni devant eux, mais à leur côté ! Ni au-dessus d’eux ni en-dessous, mais au même niveau qu’eux !
Ces dernières années j’ai beaucoup insisté sur le thème de la “synodalité”, parce qu’il est urgent de redécouvrir que la grâce baptismale est la plateforme fondamentale de la vie et de la mission chrétienne. Et c’est par cette grâce que chacun est appelé à être un “disciple missionnaire”. Ce ne sont pas des nouveautés, mais des conséquences claires du Concile Vatican II que nous peinons encore à nous approprier, hélas. J’en suis convaincu et je veux le redire encore une fois : « Le chemin de la synodalité est le chemin que Dieu attend de l’Eglise du troisième millénaire » (cf. Discours pour la Commémoration du 50e anniversaire de l’institution du Synodes des évêques, 17 octobre 2015)!
C’est pourquoi, après un juste discernement, le 7 mars dernier a été annoncé le thème de la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, qui aura lieu au mois d’octobre 2022: “Pour une Eglise synodale: communion, participation et mission”. Je pense qu’il s’agit d’une continuation juste et cohérente du Synode sur les jeunes, où il nous a été demandé d’annoncer l’Évangile à travers la fraternité, car les jeunes nous ont rappelé que nous n’avons qu’un seul Maître et que nous sommes tous frères (cf. Mt 23,8).
L’alliance éducative globale
La synodalité nous conduit tout droit à l’éducation. Oui, car l’éducation n’est pas un sport individuel, mais d’équipe ! Nous savons tous que pour éduquer il faut un village, qu’il faut de nombreuses alliances pour faire grandir une personne de façon saine et intégrale. Don Bosco le savait très bien, qui a pensé aux maisons salésiennes avant tout comme à des lieux familiaux où chacun pouvait se sentir chez lui dans un environnement riche en propositions engageantes : un véritable “écosystème éducatif” à la mesure des enfants, des adolescents et des jeunes ! Nous l’apprenons de l’expérience familiale et sportive, de l’expérience scolaire, universitaire et sociale, etc : lorsque nous les adultes, nous sommes en désaccord, l’éducation se bloque, les personnes ne mûrissent pas et tout devient difficile.
Nous ne pouvons pas nier malheureusement qu’ « aujourd’hui, ce que l’on appelle le ‘pacte éducatif’ est en crise, il s’est rompu; le pacte éducatif qui se crée entre la famille, l’école, la patrie et le monde, la culture et les cultures. Il s’est rompu, et bien rompu; on ne peut ni le recoller, ni le recomposer. On ne peut pas le raccommoder, sinon à travers un effort renouvelé de générosité et d’accord universel.» (Discours aux participant au Congrès “Education: the global compact” organisé par l’Académie pontificale des sciences sociales, 7 février 2020). Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il faut quelque chose de nouveau, que les différentes institutions doivent chercher avec humilité des voies de réconciliation pour le bien des nouvelles générations, que tous les hommes de bonne volonté sont appelés à recommencer à faire équipe en vue d’une responsabilité renouvelée envers les plus petits et les plus pauvres.
A partir du double constat de la rupture de “l’alliance éducative” et de la nécessaire “synodalité”, j’ai senti le besoin de promouvoir la Journée pour l’alliance éducative mondiale: il s’agit d’ «un appel adressé à tous ceux qui ont des responsabilités politiques, administratives, religieuses et éducatives pour recomposer le ‘village de l’éducation’. Se retrouver ensemble n’a pas pour objectif d’élaborer des programmes, mais de retrouver un pas commun qui “ravivera l’engagement pour et avec les jeunes générations, en renouvelant la passion d’une éducation plus ouverte et plus inclusive, capable d’une écoute patiente, d’un dialogue constructif et d’une compréhension mutuelle”» (du Discours aux participants à l’Assemblée plénière de la Congrégation pour l’éducation catholique, 20 février 2020). Cette journée était prévue le 14 mai 2020, mais à cause de la pandémie actuelle, elle a été reportée au 15 octobre 2020.
Je pense que le texte du père Sala sera de grande utilité pour l’événement de l’“alliance éducative globale”, car c’est une mine de réflexions, d’expériences et de propositions à laquelle nous pouvons puiser à pleines mains. A partir des “cinq constellations”, il n’y a que l’embarras du choix !
Je conclus, après avoir exprimé quelques-unes de mes convictions, en renouvelant ma gratitude. Le texte que vous avez entre les mains est vraiment intéressant et opportun pour notre temps. Je disais en plaisantant au père Sala que c’était un “pavé”, dans le sens où c’est un texte dense, riche et fourni. Mais nous savons tous que les maisons solides et sûres se construisent sur le roc et avec des briques, non pas sur le sable et en carton !
Pour allumer un feu qui dure dans le temps, la paille ne suffit pas, il faut du bois bien sec. Pour grandir il ne faut pas que des gâteaux pleins de conservateurs, mais il faut des aliments sains et nourrissants. La pensée a également besoin de solidité, surtout en ce temps assez liquide, où tout passe avec une facilité et une superficialité extrêmes. Je pense que don Bosco sera content de cette oeuvre, qui pourra certainement aider de nombreuses personnes à entrer dans l’esprit du Synode des jeunes et à s’orienter dans un monde en rapide évolution.
Je saisis aussi cette occasion pour remercier tous les salésiens de don Bosco et tous les membres de la Famille salésienne pour leur engagement éducatif et pastoral, en particulier en faveur des jeunes les plus pauvres et abandonnés. Je voudrais vous dire de continuer avec courage, parce que la mission salésienne est plus actuelle que jamais. Le Pape est avec vous !
J’aurais tant voulu venir à Turin-Valdocco pour rencontrer les membres du Chapitre général 28, en mars dernier. Je n’ai pas pu le faire en raison de la pandémie. Nous trouverons certainement d’autres occasions pour nous rencontrer.
Je vous demande enfin de ne pas oublier de prier pour moi ; je le ferai volontiers pour vous.
Rome, Latran, 24 mai 2020, Solennité de Marie Auxiliatrice
© Traduction de Zenit, Anne Kurian avec Hélène Ginabat