Le pape à la paroisse Santissimo Sacramento de Rome © Vatican News

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Clergé : un document pour la « sortie missionnaire » des paroisses

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Présentation par Mgr Ripa

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Adapter les structures paroissiales « aux nécessités actuelles de l’évangélisation », sans séparer « les normes et la pastorale, le droit et la prophétie » : c’est l’objet de la nouvelle Instruction de la Congrégation pour le clergé publiée ce 20 juillet 2020.

Dans une présentation du texte intitulé « La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Eglise », le sous-secrétaire du dicastère Mgr Andrea Ripa souligne que « l’Eglise cesserait d’exister si elle n’était pas missionnaire ».

Constatant les difficultés dues à la baisse des vocations, il invite à « repenser la présence de l’Eglise dans le territoire des diocèses », « avec souplesse et sagesse, dans le respect du droit ». « Dans l’Eglise, il y a de la place pour tout le monde », insiste-t-il.

L’Instruction évoque notamment les fusions de paroisses, les nouvelles créations, l’organisation en cas de manque de prêtres. Elle s’attarde sur deux organismes paroissiaux : le Conseil pour les affaires économiques et le Conseil pastoral. Ce dernier, rappelle Mgr Ripa, est encouragé « vivement » par le pape François comme « un organisme essentiel en faveur de l’engagement fructueux des acteurs de la vie paroissiale ».

S’il appartient au curé de « discerner et encourager les charismes, sans craindre leur diversité, en faisant au contraire grandir la communion par l’acceptation mutuelle des complémentarités », le Vatican met en garde contre les risques « de ‘cléricaliser’ les laïcs et de ‘laïciser’ les clercs, ou encore de faire des diacres des ‘demi prêtres’ ou des ‘super laïcs' ».

Il s’agit en résumé de « tout mettre en œuvre pour aller à la rencontre des plus lointains, leur annoncer la joie de l’Evangile du Christ ».

Présentation de Mgr Ripa

L’Instruction de la Congrégation pour le Clergé sur « la conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Eglise », veut concrétiser, dans la vie de l’Eglise, l’impulsion que le Pape François ne cesse de donner en invitant à la « sortie missionnaire » (La joie de l’Évangile, n. 20-24).

D’origine latine, le terme « mission » évoque l’envoi. Mais de quel envoi s’agit-il ? Dès le début de sa vie publique Jésus, qui s’est défini comme « celui que le Père a consacré et envoyé » (Jn 10, 36 ; cf. Jn 3, 16-17), a fait en sorte que l’Eglise soit envoyée comme lui : il a appelé douze disciples « pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle » (Mc 3,14) et les a appelés « apôtres », ce qui signifie « envoyés ». Jour après jour, il les a entrainés dans son propre mouvement de « sortie » (cf. Mc 1, 38). Enfin, en un moment particulièrement solennel, juste avant de s’élever au Ciel, il leur a donné son dernier commandement : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du SaintEsprit, apprenez-leur à observer  tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 19-20). L’Eglise cesserait d’exister si elle n’était pas missionnaire.

Pourtant, dans un certain nombre de communautés chrétiennes, la pratique de la foi consiste surtout à vivre ensemble et à recevoir les sacrements. Certains ont tendance à réduire la mission à l’envoi au loin de prêtres et de religieuses. D’autres considèrent qu’elle est l’affaire du curé de la paroisse et de quelques laïcs qui donnent de leur temps. Il leur suffit que la messe dominicale soit assurée, que leurs enfants aillent au catéchisme, que les baptêmes, les mariages et les obsèques soient célébrés quand ils le demandent. Ils ont cantonné leur foi dans la sphère de leur vie privée et dans quelques pratiques sacramentelles.

Le Pape François ne cesse de rappeler que l’annonce de la foi est une exigence inscrite dans la grâce du baptême. On ne peut pas être vraiment chrétien si on ne fait pas siens « les sentiments du Christ » (Ph 2, 5) qui est envoyé par le Père pour que tous aient la vie. Il en est de même pour l’Eucharistie, moment essentiel pour la constitution de la communauté paroissiale qui accueille la présence vivante et salvifique de son Seigneur. L’Eucharistie « contient tout le trésor spirituel de l’Eglise, c’est à dire le Christ lui-même », raison pour laquelle elle est « la source et le somment de toute l’évangélisation » (Presbyterorum ordinis, n. 5). Chaque baptisé, chaque participant de l’Eucharistie doit devenir acteur de l’annonce du Christ à ceux qui l’entourent. Quelle conversion exige cette perspective si fondamentale ! C’est ce qu’on appelle la « conversion pastorale », inséparable de la nouvelle évangélisation.

En de nombreux pays, la déchristianisation massive de la société se poursuit depuis des décennies, si bien que ce ne sont pas seulement des personnes qui s’éloignent de la foi, mais des générations entières qui n’ont pas entendu le nom de Jésus. « Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience », écrit le Saint Père dans La joie de l’Évangile (n. 49), c’est que cette multitude qui est faite pour Dieu, souvent sans le savoir, est affamée, et « Jésus nous répète sans arrêt : “Donnez-leur vous-mêmes à manger” (Mc 6, 37) ».

Il est urgent que chaque communauté chrétienne entende cette parole du Seigneur et accepte de quitter les rives du lac pour sortir « au large », en « eaux profondes » (cf. Lc 5, 4), à la rencontre de ceux qui se sont éloignés du Christ ou qui ne le ne connaissent pas. Ce dynamisme, qui repose sur « un choix clairement missionnaire » (n. 5), doit être le premier critère pour vérifier l’authenticité d’une vie chrétienne et d’une action pastorale.

Tel est l’esprit qui sous-tend cette Instruction. Avant même d’envisager des questions canoniques, elle développe une vérité de base : l’Esprit Saint pousse l’Eglise, chaque communauté paroissiale, chaque baptisé, à se renouveler en retrouvant le dynamisme originel qui rend compte des débuts de l’Eglise et que les apôtres Pierre et Jean ont ainsi exprimé devant le Sanhédrin : « Quant à nous, il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4, 20).

Souvent explicitée, cette perspective est désormais classique. On pourrait cependant la réduire à un slogan si on la répétait sans s’impliquer personnellement. L’Instruction s’emploie donc à montrer comment concrétiser, jusque dans ses formes canoniques, l’esprit missionnaire de l’Eglise dans la réalité des communautés chrétiennes.

Le 20ème siècle a connu des mutations profondes. Le déplacement des populations a vidé de nombreuses communes rurales, étendu les banlieues, créé les zones périurbaines. En bien des endroits, il en est résulté une inadéquation du maillage paroissial qui fut efficacement réalisé pendant de longs siècles et jusqu’au début du 20ème. La baisse des vocations empêche le maintien d’une présence sacerdotale partout où se dresse un clocher, les communautés chrétiennes se sont parfois réduites à quelques fidèles. Il faut repenser la présence de l’Eglise dans le territoire des diocèses.

Le Magistère récent est formel : nées dans les tout-débuts de l’Eglise, les paroisses restent incontournables car elles permettent l’enracinement de la foi dans la réalité des hommes. Elles possèdent suffisamment de plasticité pour qu’on puisse les remodeler sans remettre en cause leur raison d’être.
Mais on ferait fausse route si on cherchait d’abord les évolutions qu’il conviendrait d’apporter aux structures. Selon la définition du Droit canon, la paroisse est une « communauté précise de fidèles qui est constituée d’une manière stable dans l’Église particulière, et dont la charge pastorale est confiée au curé, comme à son pasteur propre, sous l’autorité de l’Évêque diocésain » (can. 515, §1). Cela signifie que cette communauté doit avant tout se manifester comme un « mystère de communion et de mission » (Pastores gregis, n. 37), à l’image de l’Eglise elle-même. Le Pape François nous invite à envisager les réformes nécessaires à la lumière du mystère de l’Eglise qui peut, de manière équivalente, se définir ainsi : « L’intimité de l’Église avec Jésus est une intimité itinérante, et la communion se présente essentiellement comme communion missionnaire » (La joie de l’Évangile, n. 23). Intimité avec Jésus, communion, mission : trois fruits de l’Esprit Saint dont l’authenticité est concrètement vérifiée par l’attention aux pauvres, « destinataires privilégiés de l’Evangile » (Benoît XVI aux Evêques du Brésil, 11 mai 2007). La paroisse ne pouvant se définir sans son pasteur propre qu’est le curé, une tâche principale de celui-ci sera de former son peuple à vivre ces quatre dimensions de manière inséparable.

Avec l’Onction qui vient de l’Esprit (1 Jn 2, 20), tout membre de la communauté chrétienne a reçu une grâce particulière, qu’il est appelé à mettre en œuvre en utilisant toutes les richesses de sa personnalité, dans le respect de la vocation et de la mission spécifique de chacun. Le seul fait d’être baptisé confère le droit et le devoir de devenir un acteur vivant de la communion et de la mission. Aussi, l’Instruction détaille, avec cette insistance, le rôle de chacun : curés, vicaires paroissiaux, diacres, consacrés, laïcs.

Dans l’Eglise, il y a de la place pour tout le monde. Avec le pouvoir propre qui lui revient de par son sacerdoce ministériel et sa fonction ecclésiale irremplaçable, il appartient au curé, principal collaborateur de l’Evêque, de reconnaître, discerner et encourager les charismes, sans craindre leur diversité, en faisant au contraire grandir la communion par l’acceptation mutuelle des complémentarités, avec une attention particulière sur les risques possibles de « cléricaliser » les laïcs et de « laïciser » les clercs, ou encore de faire des diacres des « demi prêtres » ou des « super laïcs ». L’équilibre de la vie se faisant dans le mouvement, c’est la dynamique missionnaire de la paroisse, sous l’impulsion du curé, qui en garantit l’unité. L’expérience montre d’ailleurs que c’est bien dans l’action missionnaire, nourrie de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie, que grandissent la foi et la communion ecclésiale. Par ailleurs, puisque la communion et la mission doivent être intrinsèquement liées, les prêtres sont chaleureusement encouragés à penser que leur investissement missionnaire est plus fécond s’ils développent entre eux une vie fraternelle concrète. La Ratio fundamentalis (n. 87-88) a longuement explicité cette exigence de la fraternité sacramentelle en en suggérant de nombreuses formes, y compris la vie commune.

Telle est la réforme des cœurs : reconnaître à l’Esprit Saint son rôle central, lui permettre de diffuser la charité dans les cœurs (cf. Rm 5, 5), se mettre sous sa conduite (cf. Rm 8, 14) pour faire de chaque paroisse un reflet du mystère de l’Eglise : qu’elles soient « encore plus proches des gens, qu’elles soient des lieux de communion vivante et de participation, et qu’elles s’orientent complètement vers la mission » (La joie de l’Évangile, n. 28). Sans oublier la gratuité. Le don de soi et le service des prêtres et des fidèles doivent être généreux et désintéressés pour refléter la gratuité de l’amour salvifique de Dieu.

Lorsque cette priorité est bien comprise, on peut réfléchir à la conversion pastorale des structures. Pour rester une réalité vivante, au service de la communauté des fidèles et de sa mission, la structure paroissiale doit évoluer avec la communauté qui la compose. Or on sait que les problématiques d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’au 19ème ou 20ème siècle. Dans l’option missionnaire qui veut rejoindre tout le monde, les structures paroissiales, leur taille en particulier, doivent servir la « culture de la rencontre » en favorisant en toute chose la proximité des hommes au milieu desquels l’Eglise vit, témoigne et accueille. Une réorganisation peut être nécessaire en certains endroits, à condition qu’elle soit ordonnée à la mission et réalisée avec souplesse et sagesse, dans le respect du droit.

Il est des cas où il faudra associer des paroisses, ou bien fondre l’une dans l’autre, ou au contraire en créer deux à partir d’une seule qui serait devenue trop importante en taille ou en nombre d’habitants. Dans certaines situations difficiles, comme le manque de prêtres, l’exercice de la charge pastorale pourra être exceptionnellement confié à un ou plusieurs diacres ou laïcs, sous la responsabilité d’un prêtre modérateur. Des lieux de vie chrétienne qui n’ont pas la capacité d’être une paroisse ou une quasiparoisse, peuvent devenir des centres missionnaires pour promouvoir l’évangélisation et la charité.

L’Instruction envisage ainsi de nombreux cas de figure, en précisant les procédures canoniques à suivre. Outre la question de la structure de chaque paroisse, on pourra donner plus d’importance aux « unités pastorales » qui promeuvent des formes de collaboration organique entre paroisses voisines (Apostolorum Successores, art. 216b), aux vicariats forains déjà décrits dans le Code de droit canonique, voire aux « zones pastorales » qui, dans les grands diocèses, favorisent le lien entre leur « centre » et leurs « périphéries » (Apostolorum Successores, art. 220). Les droits et les devoirs de chacun sont explicités pour que chaque acteur de la vie diocésaine et paroissiale puisse donner le meilleur de lui-même dans le respect de la fonction et du charisme des autres.

L’Instruction s’attarde sur deux organismes paroissiaux : le Conseil pour les affaires économiques et le Conseil pastoral. Le premier, obligatoire et présidé par le curé, permet, par sa gestion prudente et transparente, de mettre au service de la communion missionnaire les biens ecclésiastiques dont dispose la paroisse. Quant au second, le Saint-Père sait que le Droit n’en exige pas l’existence, mais il l’encourage vivement car il y voit un organisme essentiel en faveur de l’engagement fructueux des acteurs de la vie paroissiale.

Le 15 août 1997 a vu la publication d’une Instruction interdicastérielle Ecclesia de mysterio, « sur quelques questions relatives à la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres ». La Congrégation pour le Clergé a ensuite publié l’Instruction « Le prêtre, pasteur et guide de la communauté » (4 août 2002). Cette nouvelle Instruction tient compte de la situation actuelle de l’Eglise en mettant en relief l’importance et la spécificité des différents ministères qui contribuent à l’action évangélisatrice des paroisses. Elle ne contient pas de nouveauté législative mais profite de l’expérience de la Congrégation pour le Clergé et des Eglises locales pour expliciter les normes existantes (cf. can. 34) et aider ainsi chacun à évaluer, améliorer, éventuellement corriger des choix pastoraux déjà mis en œuvre pour adapter les structures paroissiales aux nécessités actuelles de l’évangélisation. En considérant inséparablement la norme et la pastorale, le droit et la prophétie en vue d’une action authentiquement ecclésiale, cette Instruction invite donc les Evêques à unir l’expérience juridico-pastorale séculaire de l’Eglise et sa « capacité inventive » pour que la paroisse, comme « lieu de créativité, de référence, de maternité », se renouvelle selon une « conversion pastorale » qui la met en dynamisme de « sortie ». Il s’agit bien de tout mettre en œuvre pour aller à la rencontre des plus lointains, leur annoncer la joie de l’Evangile du Christ et les inviter à son banquet eucharistique, d’où part et aboutit toute l’évangélisation.

Vatican, 20 juillet 2020

© Librairie éditrice du Vatican

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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