Coronaspection, capture @ YouTube

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« Coronaspection »: le rabbin Alon Goshen-Gottstein et « la bonté de Dieu en tous »

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Entretien avec l’inventeur de « Coronaspection »

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Après trois épisodes du projet Coronaspection du rabbin Alon Goshen-Gottstein, présentés ici par Zenit, et le rabbin a bien voulu nouer la gerbe dans cette interview, où il explique comment il a perçu les messages des leaders chrétiens, et spécialement celui du pape François.

Les trois épisodes précédents se trouvent ici:

« Coronaspection »: « C’est le moment pour les chefs religieux de faire preuve d’unité »

« Coronaspection »: « Le thème de la bonté de Dieu et de la façon dont elle s’exprime »

Dialogue interreligieux : Maria Voce et l’imam Feisal Abdul Rauf dans “Coronaspection”

***

Zenit – Pour les lecteurs qui n’auraient pas suivi les épisodes précédents, pourriez-vous nous résumer ce qu’est Coronaspection ?

Rabbin Alon Goshen-Gottstein – Coronaspection est une série de 40 entretiens et messages vidéo avec des chefs religieux concernant les défis spirituels provoqués par le virus Corona. Des leaders de 15 pays et de 7 religions ont été interrogés et on leur a demandé comment gérer certains des principaux défis religieux du moment : comment gérer la peur et l’anxiété ; comment faire face à la perte ; comment utiliser le temps de l’enfermement et comment utiliser la solitude ; comment maintenir un sentiment de solidarité avec les autres ; quel genre de monde envisagent-ils pour l’avenir. La somme totale est un réservoir d’enseignements et d’inspiration, dispensés par certaines des voix les plus éminentes de la religion, en général, et du monde chrétien, en particulier.

Qui sont les dirigeants chrétiens dont les voix ont été présentées dans Coronaspection ?

Commençons par le Pape François, qui a soutenu le projet et notre utilisation de ses messages dans le cadre de Coronaspection. Parmi les autres voix catholiques, on trouve le cardinal Christoph Schonborn, l’évêque Domenico Sorrentino et Maria Voce. Du côté orthodoxe, nous avons eu un message du patriarche Daniel de Roumanie et un entretien avec l’évêque Kallistos Ware d’Oxford. L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, donne une interview très engagée et joyeuse, et le chef de l’Église de Suède, l’archevêque luthérien Antje Jackelen, nous fait part des préoccupations de son Église durant cette période. Le nouveau patriarche de l’Église arménienne d’Istanbul, le patriarche Mahsalian, offre un point de vue de la Turquie, et enfin, l’ancien Jeffrey Holland de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours partage son propre processus spirituel pendant la période du coronavirus. Il s’agit d’un groupe de penseurs large et diversifié, et ce fut un plaisir d’avoir des contacts avec eux et d’apprendre leur foi, leur vie spirituelle et leur message pendant cette période difficile.

Les réponses aux questions se répartissent-elles en fonction des différences de religion ?

L’un des résultats frappants du processus d’interview est qu’il y a une grande unanimité entre les religions. Il y a des messages fondamentaux qui résonnent dans tout le projet, quelle que soit l’affiliation religieuse. L’un d’eux est la reconnaissance de l’unité fondamentale de l’humanité et de la façon dont nous sommes tous interconnectés. Comme le déclare l’archevêque de Canterbury, le virus nous a appris que nous sommes tous connectés. Il frappe tout le monde sans discrimination et sa diffusion montre à quel point nous sommes tous étroitement liés. Le défi, dit-il, est de transformer cette interconnectivité en une interconnectivité de compassion. C’est probablement le plus grand message qui ressort du projet et il est partagé par les chefs religieux de toutes les confessions. Une autre caractéristique clé qui émerge est le sentiment fondamental de positivité qu’apportent les religions. Les religions enseignent l’espoir, et chacun des messages du projet est un message d’espoir. Mgr Sorrentino parle des différents aspects positifs qui émergent de la crise liée au virus, de la découverte de la vie familiale comme vie de prière au sens accru de la recherche spirituelle qui caractérise cette période. Citant le cantique de saint François aux créatures, il dit : si saint François peut parler de sœur mort, pourquoi ne pouvons-nous pas parler de frère Corona ?

Peut-on identifier des différences d’approche spirituelle selon les confessions ?

L’une des choses intéressantes à observer est que les différences de confession comptent moins que les différences de personnalité religieuse. C’est vrai pour toutes les religions et c’est également vrai pour toutes les confessions chrétiennes. Ainsi, les réponses se décomposent en fonction des dispositions personnelles, plutôt qu’en fonction de l’adhésion théologique. Permettez-moi d’illustrer ceci en me référant aux deux voix orthodoxes. Toutes deux abordent la question de Dieu en tant qu’auteur du Covid-19. Le patriarche Daniel en parle comme d’une épreuve de Dieu, par laquelle notre amour et notre foi sont mis à l’épreuve. En revanche, le métropolite Ware refuse de voir la pandémie comme quelque chose de provoqué par Dieu. Le Dieu de l’amour, affirme-t-il, ne pourrait pas causer la souffrance d’innocents. Dieu, par conséquent, permet la pandémie, mais ne la provoque pas intentionnellement. Il s’agit là d’un clivage théologique important et nous voyons deux théologiens et hommes d’église réputés du monde orthodoxe prendre des positions différentes sur la question.

L’archevêque de Canterbury prend le parti du métropolite Ware, tandis que Mgr Sorrentino semble plus à l’aise avec la perspective du patriarche Daniel. Je ne vois pas ces différences comme provenant de clivages confessionnels.

Il y a peut-être un point où l’on pourrait suggérer une division, mais celle-ci peut provenir davantage du contexte social dans lequel ces dirigeants se situent que de leur théologie confessionnelle. Il y a deux orientations fondamentales en réponse aux questions directrices. Certains des dirigeants proposent des réponses plus spirituelles, en soulignant les bienfaits de la solitude selon des lignes plus monastiques, l’invitation à la prière et la culture d’une vie spirituelle plus intense avec Dieu. Dans ce camp, je compterais le patriarche Mashalian, le métropolite Ware et d’autres. La réponse alternative met en évidence la solidarité humaine et des réponses plus pratiques, psychologiques. L’archevêque Antje Jackelen et l’archevêque de Canterbury sont plus proches de cette orientation. Je me suis demandé si c’est leur responsabilité envers les Églises nationales qui les amène à se concentrer sur des réponses plus pratiques et psychologiques, ou si cela en dit long sur leur propre orientation religieuse, qui à son tour s’applique aussi à leur contexte confessionnel. Les deux parlent également de l’importance de la prière, de sorte que personne ne propose une réponse purement humaine et psychologique.

Y a-t-il néanmoins une particularité commune dans le message des dirigeants chrétiens ?

Comme je l’ai dit, les messages de tous les leaders religieux, au-delà des clivages religieux, tendent à être très similaires dans leur réponse aux défis de la pandémie. On remarque deux caractéristiques qui caractérisent la plupart, sinon la totalité, des intervenants chrétiens. Premièrement, l’accent est mis sur l’amour. Je ne veux pas dire que les dirigeants chrétiens sont les seuls à mettre l’accent sur l’amour. En fait, un article précédent de Zenit présentait Maria Voce en relation avec l’imam Abdul Rauf et tous deux considèrent que l’amour est une réponse importante. Cependant, dans l’ensemble, la réponse d’amour est beaucoup plus forte parmi les dirigeants chrétiens, ce qui suggère la centralité de l’amour dans l’expérience et la spiritualité chrétiennes. Pour beaucoup, c’est le test, ou le résultat, ou le moyen de s’exprimer pendant la pandémie.

Dans le même ordre d’idées, l’accent est mis sur la prière. Je pense que tous les dirigeants chrétiens, sans exception, parlent de l’importance de la prière pendant cette période. Je suis sûr que la prière est importante pour toutes les religions, mais on remarque un rôle très central attribué à la prière par les dirigeants chrétiens. L’amour et la prière apparaissent sans aucun doute comme des éléments centraux dans la vie des dirigeants chrétiens.

Il existe un autre élément très important : la capacité à réfléchir sur soi. Bien que cela ne concerne pas tous les dirigeants chrétiens, il me semble que le plus grand pourcentage des participants au projet qui partagent leur doute, leur combat et un processus spirituel personnel pendant le Covid-19 vient des dirigeants chrétiens. Le cardinal Schönborn partage ses combats liés à la foi. Le métropolite Ware partage sa façon de faire face à ses doutes. L’archevêque Welby nous fait part de son propre examen de conscience et de son apprentissage pour acquérir une plus grande confiance en Dieu. Il est clair qu’il y a quelque chose dans la formation et l’éducation chrétiennes qui permet un grand degré de réflexion sur soi. Le groupe de personnes présenté dans Coronaspection est très évolué et conscient de lui-même, mais je considère néanmoins qu’il s’agit là d’une caractéristique très importante des participants chrétiens.

Dans quelle mesure les messages des chrétiens sont-ils de nature universelle et dans quelle mesure s’inspirent-ils de la particularité de la foi chrétienne ?

C’est là aussi un fait très intéressant. Quelque chose dans la situation liée au Covid révèle les dimensions universelles dans les enseignements offerts par les participants au projet. La plupart d’entre eux formulent leur message dans des termes qui parlent facilement à toutes les religions. Mgr Sorrentino fait appel à l’histoire de saint François, mais c’est la particularité de l’exemple personnel, et non de la foi. Je pense que le seul cas où la foi en Jésus est affirmée comme une partie importante du message se trouve dans le message du patriarche Daniel. C’est peut-être le fait même qu’il s’agissait d’un message pour le projet, plutôt que d’une interview, qui a conduit à affirmer la particularité de la foi. Il semble que dans une situation d’interview, les dirigeants soient capables d’extraire un message universel de leur foi particulière. Cela a été le cas pour des dirigeants de différentes religions.

L’enseignement du pape François trouve-t-il un écho dans les messages des autres voix chrétiennes du projet ?

J’aimerais suggérer deux points dans lesquels les enseignements du pape François fournissent un cadre grâce auquel nous pouvons apprécier les enseignements d’autres leaders chrétiens. Premièrement, la question du jugement. Une des grandes « tentations » est de considérer le Covid-19 comme une punition pour une certaine transgression. Presque tous les participants au projet évitent ce point de vue. Prétendre qu’il s’agit d’une punition pose de sérieux problèmes en termes d’identification du péché et de proportionnalité de la punition, ce que nous appelons le problème de la théodicée. Le pape François a fait un brillant retournement de situation en déclarant : « Ce n’est pas le temps de votre jugement, mais de notre jugement : un temps pour choisir ce qui importe et ce qui passe, un temps pour séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas. C’est le moment de remettre notre vie sur les rails en ce qui te concerne toi, Seigneur, et les autres. Cette approche se reflète dans la plupart des enseignements, même s’ils ne sont pas directement redevables au Pape. On cherche à faire de cette période une période de croissance spirituelle et de choix approprié, et à ne pas se « cacher » derrière la notion de punition.

Une deuxième, et très belle, façon dont le pape est présent dans le projet, est à travers certaines des métaphores et des cadrages qu’il fournit. Il parle de cette période comme d’une période de nuit. Cela trouve ensuite un écho dans les enseignements des autres. Le cardinal Schönborn offre une merveilleuse homélie sur la nuit et l’attente de la lumière, comme comme pour prolonger les enseignements du pape.

Qu’avez-vous appris, en tant que rabbin, des messages des dirigeants chrétiens qui ont participé à «Coronaspection»?

J’ai appris quelque chose de chacune des interviews. Si vous me le permettez, je choisirais trois moments, sans pour autant diminuer des autres.
Tout d’abord, l’intervention du patriarche Mashalian qui parle de la nécessité de construire un « magasin » de spiritualité dans le dessein de faire face aux défis du moment et de comment notre vie entière est une préparation pour construire un tel « magasin ». Je suis profondément en consonance avec cette approche, comme avec l’accent qu’il met sur les Psaumes comme moyen de prière dans de nombreuses circonstances. Étonnamment, il est le seul enseignant à avoir fait explicitement appel aux Psaumes.
Ensuite, on a demandé à Mgr Sorrentino: que nous dirait saint François maintenant? Et il a répondu: il nous dirait de chanter le Cantique des créatures. Je suis un grand admirateur de saint François, et cela m’a finalement conduit à mon amitié avec Mgr Sorrentino. J’aime sa réponse. Chanter en réponse aux difficultés et affirmer la bonté de Dieu en tous.
Enfin, le Métropolite Ware parle de regarder le visage de l’autre et d’apprendre à apprécier la valeur de chaque personne comme la leçon à tirer de cette pandémie. Une idée similaire est exprimée par Elder Holland. Je pense qu’en fin de compte, tout revient à notre capacité à regarder l’autre personne et à trouver Dieu en face de l’autre.

Comment les lecteurs peuvent-ils visionner ces interviews?

C’est simple. Si vous tapez www.coronaspection.org, vous serez redirigé vers une page avec un mur d’images. Cliquez sur l’image de la personne et vous trouverez des versions longues ou brèves des entretiens. Ou allez sur le lien des leaders chrétiens, et vous trouverez tous les leaders chrétiens listés là. Et ne manquez pas la bande-annonce du projet. Elle raconte à quel point nous sommes proches et unis

Merci Rabbin Alon!

Je suis reconnaissant de cette opportunité de partage.

 

Propos recueillis par Anita Bourdin

Traduction d’Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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