nuages © lukasz-szmigiel-221650-001 (Unsplash)

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UNESCO : « C’est Dieu le premier qui pose les questions fondamentales aux humains »

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Qui dis-tu que je suis ? Qu’as-tu fait de ton frère ?

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« La foi n’a rien à craindre de la raison… Aucune question n’est à craindre si le premier qui pose les questions fondamentales aux humains est Dieu lui-même », a affirmé Mgr Francesco Follo à l’occasion de la Table Ronde de haut niveau pour la présentation du « Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2020: inclusion et éducation », à l’UNESCO, le 23 juin 2020.

L’observateur permanent du Saint-Siège a souligné que les questions de Dieu étaient « en général sous deux formes : qui dis-tu que je suis ? Contre toute idolâtrie, et : qu’as-tu fait de ton frère ? Contre toute violence ».

« Le défi ici est de trouver la juste place de la théologie dans l’espace public », a-t-il ajouté dans son discours : « Cela n’est pas facile, mais négliger cet apport serait un manque certain dans la recherche de la paix. »

AK

Discours de Mgr Francesco Follo

Excellences,

Mesdames et messieurs,

Je remercie Mme Helen Clark de me donner la parole pour apporter une contribution qui puisse aider à bien comprendre la valeur de ce Rapport sur l’éducation et l’inclusion, et à bien s’en servir pour une éducation intégrale, donc inclusive.

L’éducation est fondamentale pour la construction d’une société inclusive capable d’intégrer les périphéries sociales et existentielles.

« L’éducation est un mouvement inclusif. Une inclusion qui va vers tous les exclus: exclus en raison de la pauvreté, de la vulnérabilité à cause des guerres, des famines et des catastrophes naturelles, de la sélectivité sociale, des difficultés familiales et existentielles. (Pape François, 20 février 2020). Et le Saint-Père continue : « Il est plus que jamais nécessaire d’unir nos efforts dans une vaste alliance éducative pour former des personnes mûres, capables de surmonter les morcellements et les oppositions, et recoudre le tissu des relations en vue d’une humanité plus fraternelle». […] il faut du courage: Le courage de placer la personne au centre. Le courage d’investir les meilleures énergies […]. Le courage de former des personnes disponibles pour servir la communauté’ ». (Ibid.).

J’ai cité le Pape François parce qu’entre ses enseignements et les contenus de ce Rapport il y a des inspirations communes et un but partagé : soutenir une éducation dont le rôle est de faire grandir la personne dans son humanité et en faveur de la construction de ce monde » (cf. Rapport 2020 sur éducation et inclusion, p 57), et de la fraternité. En effet, le texte que nous présentons aujourd’hui traite également de l’inclusion dans l’éducation, en portant une attention particulière à tous ceux et celles qui en sont exclus. Le Rapport est motivé par la référence explicite à l’inclusion dans la Déclaration d’Incheon de 2015 et par l’appel à assurer une éducation de qualité, inclusive et équitable, qui figure dans la formulation de l’ODD 4, l’objectif global de l’éducation. Le Rapport nous rappelle que, quel que soit l’argument contraire évoqué, nous avons l’obligation morale de veiller à ce que chaque enfant se voit reconnu le droit à une éducation appropriée et de haute qualité.

Le texte analyse également les défis qui nous empêchent de réaliser cette vision et expose des exemples concrets des politiques des Pays qui sont parvenus à les relever avec succès.

Parmi ces défis, je note les différences de conceptions du mot inclusion, le manque de soutien des enseignants, l’absence de données sur les personnes exclues de l’éducation, les infrastructures inappropriées, la persistance des systèmes parallèles et des écoles spécialisées, le manque de volonté politique et de soutien communautaire, le financement non ciblé, la gouvernance non coordonnée, les lois multiples mais non cohérentes et les politiques qui ne sont pas accompagnées de mécanismes de suivis.

En coordination et complémentarité avec les autres intervenants, je me limiterai à de courtes remarques sur le mot inclusion et sur l’importance d’une éducation multiculturelle pour arriver à une vraie société inclusive.

  1. Inclusion

Il faut nous laisser habiter par le langage de la réciprocité, du don de soi, de l’échange, du vivre ensemble. Interagir et communiquer c’est plus qu’échanger et transmettre une information. C’est constituer un espace commun où chacun est appelé à faire participer l’autre, à poser sur lui un regard positif, sans jamais le considérer comme un problème; c’est un enrichissement à partager à travers un échange réciproque.

Cela découle aussi du fait que – comme le Rapport le met en évidence, cf. pp. 23 et ss – une transformation progressive de la signification du mot « inclusion » s’est opérée, loin du langage officiel imprégné de références aux « déficits » et aux « handicaps ». La Déclaration de Salamanque de 1994, signée par 92 pays, s’est révélée être un tournant décisif pour l’agenda mondial. Elle a accéléré le mouvement en faveur de l’éducation inclusive en élargissant l’approche pour englober non seulement les enfants ayant des besoins spéciaux, mais aussi les enfants de tous profils, concluant que « chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d’apprentissage ».

Mais l’inclusion ne concerne pas que des individus, petits ou grands. Elle est aussi liée à l’inclusion des peuples avec leurs différentes cultures.

Le problème en effet, à notre avis, n’est pas la diversité culturelle en tant que telle – la diversité c’est un fait, un donné – mais l’inter-culturalité qui est à construire jour après jour.

La diversité culturelle est une richesse effective si elle devient « diversité féconde et créatrice », comme le dit le document UNESCO de 1997. En ce sens, et je peux dire que le Saint-Siège apprécie les articles qui parlent de solidarité et de coopération (surtout des pays développés vers les pays en voie de développement). Toutes les cultures et toutes les religions doivent reconnaître le respect interculturel et aussi le principe de réciprocité.

Un proverbe kabyle dit : « Dieu a diversifié les têtes des hommes pour permettre la paix ».

Et dans l’Évangile, il est écrit : « Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous ». Il s’agit de la célèbre Règle d’or, qu’on trouve dans l’Évangile, mais aussi dans toutes les autres religions… c’est une formule transversale. Toutes les religions, justement, sont une ressource et non un problème. Une ressource dont l’éducation inclusive doit tenir compte pour être intégrale.

  1. Éducation.

À cet égard, je saisis l’occasion pour rappeler que le Saint-Siège partage ce souci d’une éducation inclusive et intégrale et il le fait dans le sillon indiqué par le Pape François qui a lancé le Pacte éducatif global, pour « une rencontre qui ravive l’engagement pour et avec les jeunes générations, en renouvelant la passion pour une éducation plus ouverte et inclusive, capable d’une écoute patiente, d’un dialogue constructif et d’une mutuelle compréhension » (Pape François). « Penser à l’éducation, c’est penser aux générations futures et à l’avenir de l’humanité », a affirmé le Pape François lors d’une audience à laquelle ont assisté, le 7 février 2020, la Sous-Directrice générale adjointe de l’UNESCO pour l’éducation, Stefania Giannini, et des experts universitaires.

Attirant l’attention sur les inégalités d’accès à l’éducation et sur la « mondialisation de l’indifférence », le Saint-Père a souligné que le pacte éducatif s’est rompu et que l’on « ne peut pas le raccommoder, sinon à travers un effort renouvelé de générosité et d’accord universel » de la part des familles, des institutions religieuses, culturelles, sociales et politiques. Cela implique également la contribution de l’UNESCO.

En effet, l’enjeu principal concerne l’éducation. Donc je me permets d’ajouter ma voix à celle de tous ceux qui soulignent que l’inclusion passe par la promotion et protection de la diversité culturelle. Á ce propos, j’aimerais préciser que la question de l’éducation devrait être considérée – et valorisée – en deux sens, distincts et complémentaires :

  1. D’abord il y a l’éducation comme véhicule de connaissance de la diversité culturelle, comme transmission des différents savoirs : on ne respecte véritablement que ce que l’on connaît, et ce que l’on connaît cesse d’être considéré « barbare ». Education à la diversité culturelle qui est donc éducation à la paix, à la reconnaissance, au respect jusqu’à l’accueil de l’autre.
  2. Il y a aussi éducation dans le sens du droit de l’individu et de la communauté à recevoir – ou à donner – une éducation selon sa propre appartenance culturelle, linguistique et religieuse. On ne peut pas aller vers l’autre si on ne part pas d’un chez soi, si on n’a pas la possibilité de se former sa propre identité culturelle, selon ses propres convictions et valeurs.

Enfin, pour bien utiliser ce Rapport Mondial, je propose cinq lieux décisifs, ou des stratégies qui seraient utiles pour construire la paix : 1) le lieu décisif du politique, avec sa légitime autonomie, de telle sorte qu’aucune religion n’en devienne le substitut ; 2) l’importance de l’alliance entre foi et raison contre la violence ; 3) l’importance de la recherche de la vérité, 4) l’importance de l’autre qui est une richesse, une ressource et non un problème et, enfin, 5) le caractère sacré du devoir d’éducation et de la liberté de conscience, qui constituent deux facteurs essentiels de la démocratie.

Premier point : je plaide pour une réflexion, une fois encore, puisque le problème est complexe et récurrent, sur l’articulation du religieux, du social ou de la société civile et du politique. Les responsables religieux ici seront d’un grand apport quand ils accepteront de n’être ni instrumentalisés, ni indifférents par rapport au politique. Sans doute leur rôle est-il tout simplement de rappeler l’éthique en politique, en demeurant eux-mêmes exemplaires et garants de cette éthique.

Second point : l’importance extrême de l’inséparabilité de la foi et de la raison dans la lutte contre la violence. Prôner un absolu qui suspendrait l’esprit critique n’est pas prôner l’absolu, mais élever, consciemment ou inconsciemment, en tout cas indûment ses propres conceptions à l’absolu.

Une mystique qui ne serait pas critique ne mériterait pas son nom : le mot couvrirait alors toutes sortes d’irrationnels. Vous l’aurez compris, je plaide ici pour la théologie, en tant que réflexion de la foi dans la raison, par toutes les médiations savantes et culturelles disponibles.

La foi n’a rien à craindre de la raison (je n’ai pas dit les dérives rationalistes et positivistes). Aucune question n’est à craindre si le premier qui pose les questions fondamentales aux humains est Dieu lui-même, en général sous deux formes : qui dis-tu que je suis ? Contre toute idolâtrie, et : qu’as-tu fait de ton frère ? Contre toute violence. Le défi ici est de trouver la juste place de la théologie dans l’espace public. Cela n’est pas facile, mais négliger cet apport serait un manque certain dans la recherche de la paix.

Ce point de vue nous aide à comprendre que la philosophie est le terrain possible d’entente et de dialogue avec qui ne partages pas la foi, parce que la foi ne se pose pas comme destructrice de la philosophie, mais comme la plus haute intégration possible pour elle (la philosophie).

Raison et foi sont deux sources de connaissance, ni identiques ni concurrentes : l’une est l’exercice de notre intelligence, l’autre est l’ouverture au mystère de la vie, l’accueille de la transcendance. Mais il faut être également attentif à l’autonomie de la raison et de la foi et je suis sûr que vous tous et toutes serez d’accord, qu’il ne s’agit pas de confondre les niveaux.

Il ne s’agit pas, par exemple, de mettre un peu de piété dans la science pour sauver la raison ou pour faire de la bonne théologie et de la bonne philosophie. Complaisance et fondamentalisme nuisent à la foi et à la raison.

Le Pape rappelle que la véritable grandeur de la raison est de chercher la vérité, y compris la vérité concernant la religion. La vérité ne se cherche que par le dialogue, le travail, dans un climat de respecte et de liberté (Conc. Vatican II, Déclaration « Dignitatis humaine » sur la liberté religieuse). C’est là que la raison humaine apparait dans toute sa splendeur et qu’elle révèle ses potentialités. Il y a un enjeu non seulement pour les croyants, mais aussi pour tous dans une société sécularisée qui risque de ne plus se poser les questions métaphysiques essentielles.

Il faut maintenir vive la sensibilité pour la vérité » et « inviter la raison à se mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu », sans quoi elle perd sa grandeur et se dénature.

Troisième point : l’importance de chercher la vérité, laquelle unit toujours.

Ce n’est pas en renonçant à la vérité que la rencontre des religions et des cultures sera possible, mais en s’engageant plus profondément en elle. Le scepticisme ne rassemble pas, pas plus que le simple pragmatisme. Les deux choses ne servent que de porte d’entrée aux idéologies qui se présentent ensuite avec d’autant plus d’assurance. Renoncer à la vérité et à ses convictions n’élève pas l’homme, mais le livre au calcul du profit, le prive de sa grandeur.

Mais ce qu’il faut exiger, c’est le respect de la foi de l’autre et la disponibilité à rechercher, dans les éléments étrangers que je rencontre, une vérité qui me concerne et qui peut me corriger, me mener plus loin. Ce qu’il faut exiger, c’est d’être prêt à rechercher dans les manifestations peut-être déconcertantes la réalité plus profonde qui se cache derrière. Ce qu’il faut exiger, c’est en outre d’être prêt à faire éclater les étroitesses de ma compréhension de la vérité, à mieux me mettre à l’écoute de ce qui est mon bien propre, en comprenant l’autre et en me laissant mettre sur la voie d’un Dieu plus grand, avec la certitude que je n’ai jamais totalement en main la vérité sur Dieu et que, devant elle, je suis toujours un apprenti, que, en marchant vers elle, je suis toujours un pèlerin dont le chemin ne prendra jamais fin.

S’il en est ainsi, on a le quatrième point, parce qu’il faut toujours rechercher également en l’autre le positif et que, dans cette mesure, l’autre est nécessairement aussi pour moi une aide dans la poursuite de la vérité, cela ne signifie pourtant pas que l’élément critique puisse et doive manquer. La religion offre pour ainsi dire un abri à la perle précieuse de la vérité, mais elle la dissimule aussi sans cesse, et elle court toujours à nouveau le risque de rater ce qui fait sa nature propre. La religion peut tomber malade et peut se transformer en phénomène destructif.

Elle sait et elle doit conduire à la vérité, mais elle est aussi capable de couper l’homme de celle-ci. La critique des religions dans l’Ancien Testament n’a de loin pas perdu son objet. Il peut nous être relativement facile de critiquer la religion des autres, mais il nous faut tout autant être prêts à l’accepter également pour nous-mêmes, pour notre propre religion. Karl Barth a distingué dans le christianisme la religion et la foi. Il avait tort pour autant qu’il voulait séparer totalement les deux, voyant uniquement dans la foi un facteur positif, tandis qu’il considérait la religion comme un facteur négatif. La foi sans la religion est irréelle, la religion en fait partie et il est de la nature de la foi chrétienne qu’elle soit une religion. Mais il avait raison dans le sens que même chez le chrétien, la religion peut tomber malade et devenir superstition, que la religion concrète dans laquelle la foi est vécue doit donc être continuellement purifiée à partir de la vérité qui se manifeste dans la foi et qui, d’autre part, permet, dans le dialogue, de reconnaître de façon neuve son mystère et son infinitude.

Enfin, cinquième et dernier point ou lieu décisif, lié finalement au « besoin de l’autre » sans lequel aucune société ne peut se construire dans la paix : la reconnaissance du caractère sacré du devoir d’éducation (je pense en particulier à l’éducation des filles, devoir prioritaire entre tous) et de la liberté de conscience (à placer lui aussi parmi les fondements premiers d’une société pacifique, car là où cette liberté n’est pas assurée, l’un ou l’autre des droits humains finira par vaciller).

Tocqueville écrivait un jour qu’il n’est pas de démocratie sans deux conditions pour le vote, à savoir l’éducation et la liberté de la presse. Il plaidait au fond pour la capacité de prononcer une parole informée et responsable. J’irai encore plus loin : la culture du débat est au fondement des deux activités majeures qui passionnent les peuples : les sciences et la politique, le savoir et le pouvoir.

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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