« Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus nous montre le chemin concret pour que notre liberté s’ouvre à L’accueillir et que nous marchions avec Lui vers l’accomplissement de notre destin », écrit Mgr Francesco Follo dans ce commentaire des lectures de la messe du 5 juillet 2020 (14e dimanche du Temps ordinaire – Année A ).
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France), fait notamment remarquer que l’humilité, c’est le « fondement de la vie spirituelle ».
AB
Pour se redécouvrir fils il faut être « petits »,
donc humbles et intelligents
Avant-propos.
Avant de commenter l’évangile de ce XIVème dimanche du temps ordinaire, il est utile d’illustrer brièvement la prière de Jésus à Dieu le Père qui est proposée aujourd’hui.
Tout d’abord, le Fils de Dieu bénit son Père. Bénir signifie « dire-bien » en public, cela signifie être heureux du Père et lui exprimer cette joie. La prière est fondamentalement une bénédiction parce que nous sommes heureux de Dieu. Lui, il « donne-bien », nous « disons-bien », ce qui signifie que nous reconnaissons le bien qu’Il nous donne comme don, et que nous expérimentons en toutes choses qu’Il nous donne son amour. Dans la bénédiction, au lieu de nous arrêter sur ce que Dieu donne, ce qui en fait un fétiche, nous allons vers lui et vers son amour. Et quand nous ne bénissons pas, après tout, d’une manière idolâtre, nous nous approprions des choses qui deviennent notre Dieu.
Par conséquent, la bénédiction est ce qui nous éloigne de l’idolâtrie. Seul Dieu doit être béni, puis aussi tous les êtres humains parce qu’ils sont ses enfants. Et ce Dieu s’appelle Père. Le mot Père, en hébreu Abbà, doit être considéré comme le centre de toute la révélation chrétienne. Abbà est le premier bégaiement du bébé. Et comme à travers « ba, ba, ba ba », l’enfant entre en communion avec le Père, ainsi, en disant « Abba », Dieu est reconnu Père par nous.
Jésus a placé sur nos lèvres et dans nos cœurs ce mot « Abba », par lequel nous reconnaissons que Dieu est Père avec tout ce que le terme Père implique.
À la lumière de ces annotations, nous pouvons nous demander : « Qu’est-ce que Jésus est venu nous apporter ? Le Fils de Dieu fait homme est venu pour nous apporter une relation différente avec Dieu. Précisément à travers le mot le plus fondamental, en effet c’est le premier mot précisément que l’enfant dit. Il s’adresse à une personne et n’exprime pas seulement un besoin ou une plainte. En disant « papa », nous réalisons une vraie communication, une communication de confiance, de tendresse, d’amour.
Jésus est venu nous redonner ce que nous sommes, nous sommes des fils et nous, êtres humains, ne pouvons exister que lorsque nous pouvons nous abandonner à un amour infini, car avant d’en avoir fait l’expérience, nous le recherchons, sinon il n’a pas de raison suffisante d’exister, c’est toujours dans un état d’abandon et en quête de confirmation d’amour, de valeur. Notre valeur est infinie, c’est l’amour infini que Dieu Père a pour le Fils. « Tu les aimes comme Tu m’aimes » dit Jésus de chacun de nous, c’est-à-dire que Dieu nous aime d’un amour unique et total, comme le Père aime le Fils : Jésus est venu révéler cela et nous le donner. Il en découle une attitude de liberté : le Fils est le Fils car il est libre d’amour, d’abandon, de tendresse, de don. En disant le Notre Père nous recevons le sourire du Père sur notre vie qui -donc- est dans la sécurité et la confiance.
1) Les doux [1]de cœur
Après le chemin du Carême et de la Passion (le chemin de la croix) et de Pâques (le chemin de la Lumière), après les solennités de la Trinité (communion d’Amour et de Lumière) et du Corps du Christ (le don de Sa vie pour la nôtre), la liturgie reprend le cours du « temps ordinaire ». La liturgie nous offre la Parole de Dieu pour poursuivre le parcours commencé en janvier, nous invitant à suivre Jésus et à écouter ce qu’il a à nous dire dans la vie ordinaire d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, les paroles de Jésus sont réellement consolantes : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes » (Mt 11,29-30). A l’humilité du Fils de Dieu qui s’incarne, il faut répondre avec l’humilité de notre foi. L’humilité de reconnaître que, pour vivre, la bonté miséricordieuse d’un Dieu qui pardonne chaque jour nous est indispensable. Et nous, nous nous faisons, autant que nous le pouvons, semblables au Christ, le seul Parfait, lorsque nous devenons, comme Lui, des hommes de miséricorde, en l’imitant Lui qui est doux et humble de cœur.
Souvenons-nous aussi des paroles du prophète Zacharie : « Ainsi parle le Seigneur : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient vers toi ; il est juste et victorieux, humble et monté sur un âne, un âne tout jeune. Ce roi fera disparaître d’Ephraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays (Za 9,9-10 – Première lecture de la messe d’aujourd’hui). Ces paroles encadrent celles de Jésus qui nous sont proposées aujourd’hui, comme celle de la béatitude dans laquelle il dit « Heureux les doux : ils auront la terre en partage » (Mt 5, 4). En rapprochant cette béatitude de l’invitation : « mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29), nous en déduisons que les béatitudes ne sont pas uniquement un beau programme éthique que le maître tracerait à son bureau à l’intention de ses disciples ; elles sont l’autoportrait de Jésus. C’est lui le vrai pauvre, le doux, le pur de cœur, le persécuté pour la justice. C’est lui, le vrai roi de la paix qui restore ses sujets et les protège avec le sceptre de la croix, sceptre de puissante douceur.
En effet, la plus grande preuve de la douceur royale du Christ est sa passion. Nul mouvement de colère, nulle menace : « Lui qui, insulté, ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas » (1P 2,23). Ce comportement de Jésus était tellement ancré dans la mémoire de ses disciples que saint Paul, en voulant exhorter les Corinthiens par quelque chose de cher et de sacré, leur écrit : « Je vous le demande par la douceur et la bonté du Christ » (2Co 10,1). Mais Jésus a fait bien plus que de nous donner un exemple de douceur et de patience héroïque ; il a fait de la douceur le signe de la vraie grandeur qui ne consistera plus désormais à s’élever au-dessus des autres, de la masse, mais à s’abaisser pour servir et élever les autres. Augustin dit que sur la Croix, Il révèle que la vraie victoire ne consiste pas à faire des victimes, mais à se faire une victime, « Vainqueur parce qu’il est victime (Victor quia victima) » (Les Confessions, 10,43).
2) Les humbles de cœur
Dans un monde où l’on est incité à se mettre en avant, l’Evangile nous invite à rester en arrière, « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes » (Mt 11,29). Doux et humbles sont deux termes que Jésus s’applique à lui-même. Justement parce qu’ils témoignent de son attitude envers Dieu et envers les hommes. Envers Dieu, une attitude de confiance, d’obéissance et de docilité. Envers les hommes, une attitude d’accueil, de patience, de discrétion, de disponibilité et de pardon, à savoir, le service des autres. L’adjonction de la tournure « de cœur » n’est pas anodine : elle indique que les dispositions de Jésus envers le Père et envers les frères, s’enracinent au plus profond de son cœur et englobent toute sa Personne.
Il est bien vrai que l’humilité, comme la pauvreté, semble être une condition pour que l’homme puisse vivre un rapport avec Dieu. Elle en est même la condition essentielle. Mais comme saint François d’Assise le perçut, il est tout aussi vrai que l’humilité est une caractéristique de Dieu.
Quand un être humain s’agenouille devant Dieu, le Seigneur du ciel, ce n’est pas de l’humilité, c’est seulement du réalisme. Lorsque Dieu se penche sur le malade, sur le pécheur, quand il s’incline pour laver les pieds de l’homme, c’est de l’humilité divine. En s’incarnant, le Fils de Dieu ne renie pas sa dignité infinie, il la manifeste de façon sublime, délicate et pleine d’amour. Dieu s’abaisse pour se donner totalement à l’homme, pour le sauver. Il se fait « rien », pour que l’homme soit tout.
Il ne s’agit d’un événement unique, advenu il y a deux mille ans, mais cela se produit chaque fois qu’Il est présent à la Messe à travers le pain et le vin pour se donner, pour être mangé : la Messe trouve son accomplissement dans la communion eucharistique où Il se donne totalement jusqu’à disparaître. Il est tout pour chacun de nous et en chacun de nous.
Dieu est humilité parce qu’Il est amour, nous enseigne saint François d’Assise qui connaissait Dieu de façon sublime. Un peu parce qu’il en avait l’expérience, un peu parce qu’il méditait les Saintes Ecritures dans l’Eglise. En effet, déjà dans l’Ancien Testament, Dieu affirme que « ses délices (celles de Dieu) résident dans le fait qu’Il est avec les fils des hommes ». Pensons à la joie du Père d’être dans le cœur de Jésus, pensons à la joie de Jésus parce que Dieu s’est plu à cacher sa grandeur aux grands pour la révéler plutôt aux petits et aux oubliés jusqu’à se faire le garant de notre pauvre et fragile vie humaine et en subir le sort. Saint Paul se réfère à ce mystère lorsqu’il dit : »Lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu, mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme… C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2,6-9). C’est là l’humilité de Dieu, c’est-à-dire sa complaisance envers ce qui, devant Lui, n’est rien ; ceci n’est possible que parce qu’il est le Tout-Puissant. C’est là l’humilité de Jésus-Christ « Lui aussi, le Fils de Dieu s’abaisse pour recevoir l’amour du Père » (le Pape François, dans son homélie du 27 juin 2014).
Enfin, l’amour chrétien, cet amour que porte la vie de Jésus, et qui, selon saint Jean, est Dieu lui-même, repose sur l’humilité.
3) L’humilité, fondement de la vie spirituelle
Nous pourrons dire en conclusion que l’humilité est le fondement de la vie spirituelle, en particulier pour les Vierges consacrées au milieu du monde.
La vie spirituelle implique toujours le sentiment du vraiment rien devant Dieu, un rien qui n’exclut pas le fait que la créature existe, mais qui exclut tout sentiment d’opposition, tout sentiment d’altérité, tout sentiment qui donne à l’homme la conscience d’être quelque chose indépendamment de Lui et par Lui. La créature, pour tout ce qu’elle est, est de Dieu et en Dieu.
Reconnaître Dieu comme Seigneur implique donc un certain anéantissement intérieur de notre moi. Dans la lumière infinie de Dieu, l’homme disparaît ; comme le soleil qui, dès qu’il monte à l’horizon, éclipse les étoiles.
Dieu se révèle à nous à travers la création, mais sa révélation la plus parfaite est Jésus Christ. Et le Christ, pour François d’Assise, est humilité. Il ne peut s’empêcher de vivre dans l’étonnement né de la contemplation du mystère chrétien comme mystère de suprême humilité : l’humilité du Christ dans sa naissance, dans sa passion, dans l’Eucharistie.
Avec une parfaite dévotion et une parfaite affection, les vierges cultivent avec la Vierge Marie, modèle de toute consécration, l’humble confiance filiale, la prière d’intercession, la contemplation des mystères de son Fils Jésus. Elles témoignent dans l’Eglise que la fidélité du chrétien se niche dans la fidélité de Dieu qui manifeste son humilité de cœur : Jésus n’est pas venu pour conquérir les hommes comme les rois et les puissants de ce monde, mais il est venu offrir l’amour dans la douceur et l’humilité.
Ces femmes se laissent envelopper dans l’humble fidélité et la douceur de l’amour du Christ, révélation de la miséricorde du Père. Leur vocation est de servir Dieu au milieu du monde avec courage et humilité, de toute la force de leur cœur.
Lecture Patristique
Saint Jean Chrysostome (+ 407)
Homélie sur la mémoire de saint Bassus, 2
PG 50, 721-722.
Le Christ est pour nous, aujourd’hui encore, un maître plein de douceur et d’amour. Il ne cesse jamais de prendre soin de notre salut. Il le déclare nettement dans l’Évangile, comme nous venons de le lire: Venez à moi, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur (Mt 11,28-29). Qu’elle est grande, la bienveillance du Créateur! Comment la créature n’est-elle pas saisie de stupeur? Venez à moi, devenez mes disciples, le Maître est venu consoler ses serviteurs déchus.
Voyez comme il agit. Il se montre compatissant pour le pécheur qui mérite pourtant ses rigueurs. La race de ceux qui déchaînent sa colère devrait être anéantie, mais il adresse aux hommes coupables des paroles pleines de douceur: Venez à moi, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur. Dieu est humble, l’homme, orgueilleux. Le juge se montre clément, le criminel, arrogant. L’artisan fait entendre des paroles d’humilité, l’argile discourt à la manière d’un roi. Venez à moi, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur. <> Il n’apporte pas le fouet pour frapper, mais le remède pour guérir.
Songez donc à son ineffable bonté. Allez-vous refuser votre amour au Maître qui jamais ne frappe et votre admiration au juge qui implore pour le coupable? Ses paroles si simples ne peuvent vous laisser insensibles: Je suis le Créateur et j’aime mon oeuvre. Je suis le statuaire et je prends soin de celui que j’ai formé. Si je ne voulais me soucier que de ma dignité, je ne relèverais pas l’homme déchu. Si je ne traitais pas sa maladie incurable avec des remèdes appropriés, jamais il ne pourrait recouvrer la santé. Si je ne le réconfortais pas, il mourrait. Si je ne faisais que le menacer, il périrait. Il gît sur le sol, mais je vais lui administrer les onguents de la bonté. Plein de compassion, je m’incline profondément pour le relever de sa chute. Celui qui se tient debout ne saurait relever un homme couché par terre sans se pencher pour lui tendre la main. Venez à moi, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur.
Je ne fais point étalage de paroles, vous pouvez m’examiner sur mes oeuvres. Vous serez persuadés que je suis doux et humble de coeur, si vous pensez à mon origine. Voyez quelle est ma nature. Songez à ma dignité. Adorez ma bienveillance pour vous. Comparez le séjour d’où je suis venu avec le lieu où je vous parle. Le ciel est mon trône, et je m’entretiens avec vous sur la terre! On me glorifie dans les hauteurs célestes, mais ma longue patience retient ma colère, car je suis doux et humble de coeur.
[1] Pour découvrir qui sont les humbles proclamés bienheureux par Jésus, on passera brièvement en revue les divers termes qui, dans les traductions modernes, rendent le mot « humbles (praeis) ». L’italien a deux mots : miti et mansueti. Ce dernier se retrouve dans l’espagnol los mansos (les doux). En français on traduit littéralement i dolci par les doux , ceux qui possèdent la vertu de la douceur. (Il n’existe pas en français un terme spécifique pour mitezza ; dans le « Dictionnaire de spiritualité », cette vertu figure à l’entrée douceur , dolcezza).
En allemand, il existe plusieurs traductions. Luther traduisait ce terme par Sanftmuetigen, c’est-à-dire humbles, doux ; dans la traduction eucuménique de la Bible, la Eineits Bibel, les doux sont ceux qui n’exercent pas de violence – die keine Gewalt anwenden – soit, les non-violents ; certains auteurs insistent sur la dimension objective et sociologique et traduisent praeis par Machtlosen, les sans défense, les sans pouvoir. L’anglais rend généralement praeis par the gentle, introduisant dans la béatitude la nuance de gentillesse et de courtoisie.
Chacune de ces traductions met en lumière une composante réelle m ais partielle de la béatitude. Il faut tenir compte de toutes à la fois, sans en isoler aucune, pour avoir une idée de la richesse originelle du terme de l’Evangile. Deux associations constantes dans la Bible et dans la parenesis chrétienne antique permettent de saisir « tout le sens » du mot mitezza : l’une rapproche douceur et humilité, l’autre rapproche douceur et patience ; l’une met en lumière les dispositions intérieures d’où naît la douceur, l’autre les comportements qu’elle induit vis-à-vis du prochain : affabilité, douceur, gentillesse. Ce sont les mêmes traits que l’Apôtre met en évidence en parlant de l’amour : « L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne s’irrite pas… » (1Co 13,4-5).