Julia Danzas @ Editions des Syrtes

Julia Danzas @ Editions des Syrtes

La théologienne russe Julia Danzas, «grande figure spirituelle et intellectuelle»

Hommage de « Femmes – Eglise – Monde »

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Le supplément « Femmes – Eglise – Monde » de L’Osservatore Romano rend hommage à la théologienne russe Julia Danzas (1879-1942), « une grande figure spirituelle et intellectuelle », selon les paroles de l’académicien français Michel Niqueux qui lui consacre une biographie accompagnée de textes inédits: Julia Danzas, De la cour impériale au bagne rouge (Editions des Syrtes, février 2020). Nous résumons le long article du mensuel.

« La multiplicité des expériences, subies ou recherchées par Julia, et de ses talents, combinées à une recherche métaphysique constante, écrit Niqueux, ses idées si peu conformistes, enrichissent considérablement la lecture actuelle, souvent trop simplifiée, de la pensée russe du XXe siècle. »

Niqueux souligne surtout, continue le supplément de L’Osservatore Romano, « l’extrême modernité de son chemin spirituel, ce qui fait d’elle l’une des figures qui ont le plus inspiré le monde contemporain ».

Collaboratrice de Maxime Gorski et … du card. Tisserant

Née à Athènes en 1879, fille d’un diplomate et petite-nièce du témoin du duel du célèbre poète russe Alexandre Pouchkine, elle est demoiselle d’honneur de la dernière impératrice de Russie, sous-officier d’un escadron de Cosaques pendant la Première guerre mondiale, bibliothécaire et religieuse catholique cloîtrée dans le Petrograd révolutionnaire.

Collaboratrice de l’écrivain Maxime Gorki, elle est arrêtée en 1923 pour son activité religieuse et est condamnée à dix ans d’emprisonnement purgé d’abord à la prison d’Irkoutsk puis au camp des îles Solovki. Elle est libérée en 1932 à la demande de Gorki et de sa femme et est rachetée au gouvernement soviétique par son frère, qui la fait émigrer en France.

À Lille, Julia travaille dans un centre dominicain s’occupant du magazine « Russie et Chrétienté ». Cette revue bimestrielle du centre d’études Istina (La Vérité) lancée en 1934 vise à informer les chrétiens d’Occident sur la situation des Églises, alors persécutées, en Russie, mais aussi plus généralement à faire connaître l’histoire, la spiritualité et la théologie orthodoxes russes.

Elle écrit également les mémoires sur le camp de travail pénitentiaire de Solovki – « Bagne rouge. Souvenirs d’une prisonnière au pays des Soviets » (Juvisy, 1935) – et un livre sur l’histoire de la pensée religieuse en Russie : « L’Itinéraire religieux de la conscience russe » (Juvisy, 1935).

Les trois dernières années de sa vie Julia Danzas l’amène à Rome en tant que collaboratrice du cardinal français Eugène Tisserant (1884-1972), secrétaire (1936-1959) de la Sacrée Congrégation pour les Églises orientales, devenue plus tard Congrégation pour les Églises orientales. Julia collabore aussi à L’Osservatore Romano. Elle meurt le 13 avril 1942 à Rome.

La lecture de saint Augustin

Passionnée par les études et la lecture, Julia « dévore » les livres de la bibliothèque familiale. À 15 ans, elle a déjà lu tous les historiens, des classiques de l’Antiquité à ceux du XIXe siècle, tous les philosophes « et surtout, dit-elle, les philosophes matérialistes du XVIIIe siècle: Voltaire, Rousseau, Hume, Montesquieu: je les ai tous lus, jusqu’à la Grande Encyclopédie! » Profondément marquée par ce qu’elle décrit comme une « vague d’athéisme », elle considère le christianisme comme « une superstition typiquement féminine, à laquelle une certaine concession a été faite par la tradition et le snobisme ».

Mais à seize ans, sa vie est bouleversée par les Confessions de saint Augustin : « Au début, écrit-elle, j’ai feuilleté ce livre sans intérêt, comparant son style à la belle prose latine des classiques, puis soudain je me suis passionnée, il m’a ouvert des horizons inconnus. »

L’ouvrage lui fait découvrir le christianisme comme grand système philosophique : « Pour la première fois de ma vie, explique Julia, j’ai vu que le christianisme était un grand système philosophique, qui abordait directement le problème du mal et les autres problèmes qui tourmentent la pensée humaine; j’ai vu que ce système philosophique avait satisfait de grands penseurs. J’ai découvert un nouveau monde et j’ai décidé d’étudier le christianisme d’un point de vue philosophique et historique. »

Elle commence à lire les Pères de l’Église, surprise par les œuvres de saint Basile le Grand (Basile de Césarée, IVe siècle) et saint Justin le Philosophe (IIe siècle). Mais, bien qu’elle admire la profondeur de la pensée chrétienne, son cœur garde le silence : « J’ignorais Jésus, avoue-t-elle. Et pendant une quinzaine d’années, j’ai débattu dans un agnosticisme douloureux, toujours à la recherche d’une vérité qui semblait insaisissable. »

À la cour impériale, elle s’intéresse au mysticisme et à l’occultisme, comme le fait à l’époque la haute société de Saint-Pétersbourg. Puis elle se passionne pour les gnostiques des premiers siècles, concevant la gnose comme « une recherche mystique de la Divinité dont le christianisme s’est éloigné suite à sa démocratisation et à son ascension au rang de religion officielle … mais que le monachisme a conservé dans l’idéal de l’ascète contemplatif », explique Michel Niqueux.

Sa recherche de la « divinité » – à partir du gnosticisme, vers lequel elle devient de plus en plus critique – s’incarne finalement dans le Christ crucifié et ressuscité, écrit Niqueux : « Des contradictions douloureuses ont accompagné Julia dans son parcours rendu si cahoteux par l’Histoire. »

« Le titre de confesseur de la foi » 

L’académicien français  étudie le « paradoxe » de Julia Danzas, cette « jeune femme noble, destinée à un avenir mondain heureux », qui, « influencée par le stoïcisme et le gnosticisme, n’aspire qu’à se séparer d’un monde perçu comme trompeur et illusoire, et qui se retrouve au contraire plongée dans le four de la guerre, puis dans le gel et la promiscuité du Goulag, avant de trouver la paix, à Rome, dans une sorte d’ermite voué à l’étude, après avoir compris qu’abdiquer sa volonté et abandonner le travail intellectuel pour se plier aux besoins de la vie monastique communautaire … était au-dessus de ses forces ».

« Tout en aspirant au détachement du monde, elle s’y immerge corps et âme, poursuit Niqueux. Et malgré … les contradictions et les épreuves, sa foi en Dieu est restée inébranlable et missionnaire ». Pour cette raison, selon l’académicien français, « elle mérite le titre de confesseur de la foi ».

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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