Card. Stella © L'Osservatore Romano

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Etre proches des baptisés qui ont « faim » de l’Eucharistie, par le card. Stella

Une « occasion propice pour discerner »

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Pour le prêtre, cette pandémie est « une occasion propice pour s’arrêter, discerner et évaluer le drame que nous vivons, dans le cadre de sa responsabilité ministérielle », estime le cardinal Beniamino Stella, préfet de la Congrégation pour le clergé, dans une interview publiée dans L’Osservatore Romano du 9 avril 2020 (Nicola Gori). Il invite les prêtres à être proches des baptisés qui actuellement souffrent de la « faim » des sacrements ».

Le préfet de la Congrégation vaticane constate « un nouveau désir d’évangélisation et de sollicitude pastorale à l’égard du peuple de Dieu » chez les prêtres. Il se réjouit d’une « créativité » qui « nous rend de toutes façons proches des gens », en particulier à travers l’usage des médias sociaux et des « moyens par lesquels ils peuvent exercer un véritable ministère, notamment en temps de pandémie, en restant proches, malgré la distance ».

Évoquant le sacrifice et le dévouement de tant de prêtres en ce temps de contagion, le cardinal Stella forme le voeu qu’après la pandémie, « l’on pense aux prêtres avec une gratitude et une affection semblables à celles avec lesquelles tant de personnes parlent aujourd’hui des médecins, infirmiers, professionnels de la santé et forces de l’ordre présents sur le terrain jusqu’à l’héroïsme ».

Voici notre traduction de l’interview du cardinal Stella.

HG

Interview du cardinal Stella

Cette année, à cause de la pandémie, la messe chrismale du Jeudi saint n’est pas célébrée dans de nombreux diocèses ; elle est reportée à une date ultérieure. Comment renouveler les promesses sacerdotales dans ce contexte ?

L’histoire biblique nous raconte bien souvent des situations de grandes crises et de drames pour le peuple, dans lesquelles même le Temple est détruit et où il devient impossible de pratiquer le culte. À cet égard, Jérémie a des paroles de désolation : « Même le prophète, même le prêtre parcourent le pays sans comprendre » (14,18). Et pourtant, en ces circonstances apparemment sans espérance, Dieu suggère d’autres espaces pour le louer et le servir ; de cette façon, il nous purifie aussi de certains de nos schémas pastoraux habituels et de certaines formes trop extérieures, qui peuvent parfois obscurcir la beauté de l’Évangile et la fraîcheur du rite liturgique. Il est notoire que, dans la messe chrismale, ainsi nommée parce que l’évêque y consacre les huiles pour les sacrement du baptême, de la confirmation, de l’ordre sacré et de l’onction des malades, le rite prévoit le renouvellement des promesses sacerdotales, qui explicitent les engagements pris le jour de l’ordination en ce qui concerne la vie et à le ministère.

Maintenant, si ces promesses veulent exprimer l’identité profonde du prêtre, à savoir qu’il ne reçoit pas l’ordination pour sa satisfaction personnelle, mais qu’il est le signe vivant du Christ Bon Pasteur qui offre sa vie pour ses frères, le Jeudi Saint, nous avons l’opportunité de les renouveler non seulement avec les lèvres et dans la prière de la messe chrismale, mais cette fois-ci en portant sur nos épaules l’immense souffrance du peuple chrétien et de l’humanité, nous offrant comme intercesseurs auprès du coeur de Dieu. Tout en respectant les distances de précaution qui nous sont demandées, nous avons de nombreuses possibilités pour exprimer notre proximité humaine et spirituelle et témoigner de façon opportune de l’offrande de notre vie pour le troupeau. Dans le silence du coeur, c’est une prière authentique qui plaît au Père et qui retombe sur le peuple de Dieu comme un baume qui adoucit la solitude, la peur et le mal. Je suis certain que le matin du Jeudi Saint, en souffrant intérieurement de l’absence du geste liturgique, aucun prêtre n’a oublié de se mettre devant le Seigneur en renouvelant avec humilité et profondeur les promesses de son ordination.

Comment les prêtres peuvent-il exercer leur ministère en cette période ?

Je suis convaincu que, pour le prêtre, interpellé devant Dieu et le peuple chrétien, c’est une occasion propice pour s’arrêter, discerner et évaluer le drame que nous vivons, dans le cadre de sa responsabilité ministérielle. J’observe que, justement pendant ces semaines, s’est réveillé chez les prêtres, un nouveau désir d’évangélisation et de sollicitude pastorale à l’égard du peuple de Dieu et qu’il émerge donc une créativité qui nous rend de toutes façons proches des gens qui ressentent, ce qui nous surprend agréablement, la « faim » de l’Eucharistie. Peut-être jamais comme maintenant les communautés n’ont perçu dans leur coeur une véritable nostalgie de leur église, des rencontres fraternelles qui s’y tiennent et surtout de la célébration de la messe. Les prêtre, en particulier grâce à l’usage des médias sociaux et des nombreux instruments de communication numérique, se sont aussi activés dans une série d’initiatives qui parcourent la toile, cherchant à offrir une riche variété de messages, de prières, d’homélies et de méditations sur la Parole de Dieu, etc. Ce sont des moyens par lesquels ils peuvent exercer un véritable ministère, notamment en temps de pandémie, en restant proches, malgré la distance.

Peut-on voir des modalités intéressantes pour la pastorale ?

En réponse  à une situation de grande fatigue et de grande souffrance, qui a paralysé nos énergies et qui contraint les personnes à un isolement forcé, d’autres initiatives pastorales de présence, pas seulement virtuelle, se sont activées, et elles arrivent au coeur des fidèles à travers des gestes et des paroles. Dans ces nouveautés créatives, l’Esprit Saint oeuvre aussi et soutient le chemin des croyants, à l’heure de la traversée du désert. Toutefois, il y a un aspect à ne pas négliger, qui demande aux prêtres une attention pastorale particulière : ce moment difficile peut aider les personnes à redécouvrir la dimension de l’Église domestique, la beauté de la prière en famille, l’importance de la lecture de l’Évangile à la maison. Pour aider le peuple chrétien à retrouver de la profondeur dans sa relation à Dieu, je constate que beaucoup de curés, par exemple, préparent pour les familles des feuillets semblables à ceux de la messe, dans lesquels, avec les lectures du dimanche et une brève réflexion, sont aussi proposés un signe à mettre au centre de la table, un geste chrétien à partager, la récitation du Notre Père ou d’une prière mariale. Nous avons vu aussi de petits rameaux d’olivier et les dessins bibliques des enfants exposés à l’extérieur de leurs maisons, comme l’expression vivante de la foi de la famille.

 

De quelle manière le prêtre peut-il éviter la tentation – contre laquelle le pape a mis en garde ces jours derniers – « de faire le ‘don Abbondio’ » ? (un curé peu courageux, du roman de Manzoni, Les fiancés, ndlr)

Avant tout, la conviction intérieure, pour tous les prêtres, doit être celle-ci : la suspension des liturgies et les distances de sécurité ne doivent jamais devenir un alibi pour s’isoler ou pour se reposer. Je ne doute pas que les prêtres ont été touchés par le sacrifice de tant de leurs confrères morts de la contagion ; dans leur souffrance et dans l’isolement des services médicaux, en regardant en face l’éternité, ces prêtres auront prié et offert leur vie pour leurs communautés, apportant devant le Seigneur, dans le tourment de la maladie, les besoins matériels et spirituels de leur peuple. Avec le coeur, ils auront vu le visage de leurs jeunes qui traversent une crise dans leur foi et de toutes les mamans dans la détresse et dans la souffrance pour soutenir les lassitudes et les fatigues de leurs familles.

En parlant avec des prêtres, j’ai été ému d’entendre au téléphone la voix brisée par un véritable sanglot, à cause de l’impossibilité humaine de secourir les fidèles dans le drame actuel. J’ai donc perçu la valeur de la prière d’intercession pour le peuple de Dieu, si souvent soulignée par le pape François, comme lorsqu’il a demandé aux prêtre de « lutter avec Dieu » en faveur de leurs fidèles. J’ai également recueilli la fatigue des prêtres, épuisés à force de converser avec les gens au téléphone, parce qu’ils perçoivent l’importance de ce soutien spirituel pour tant de coeurs désespérés. À la différence de ‘don Abbondio’ enfermé dans son presbytère, dont le pape a parlé, je vois aussi le prêtre sur les bancs de son église, dans l’attente de la visite de quelque fidèle, prêt à donner sa bénédiction et à dire une parole d’espérance et de consolation. Comme nous l’a recommandé le pape au début de cette douloureuse tragédie, j’imagine que les pasteurs ont pu dans certains cas apporter l’onction des malades ou le saint viatique chez un mourant.

J’ai été très impressionné par l’exemple de fidèles laïcs – médecins ou infirmiers – qui ont su manifester leur foi en Jésus ressuscité, en traçant sur le front des mourants le signe de croix. Nous ne pourrons jamais oublier le geste des prêtres qui sont passés devant les cercueils de leurs fidèles avec la bénédiction de l’Église, confiant les défunts entrés dans la vie éternelle au coeur miséricordieux de Dieu le Père et portant en leur propre personne, dans l’impossibilité de faire autrement, la présence de la communauté tout entière. Tout bon prêtre aura su inventer sa formule, ses gestes, recueillant l’élan intérieur de son identité de pasteur et celui de la voix de l’Esprit Saint qui le pousse à être actif et vigilant au milieu de son peuple, selon les usages culturels et liturgiques de chaque pays. Je voudrais vraiment que dans le futur, quand nous serons sortis de cette pandémie infinie, l’on pense aux prêtres avec une gratitude et une affection semblables à celles avec lesquelles tant de personnes parlent aujourd’hui des médecins, infirmiers, professionnels de la santé et forces de l’ordre présents sur le terrain jusqu’à l’héroïsme.

 

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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