Confinement en temps de carême (2/2)
- De l’isolement à la solitude avec Dieu : le chemin pascal
- L’isolement et la solitude
L’isolement quel qu’il soit (être « mis en quarantaine », ou dans des « chambres isolées » à l’hôpital) est une rupture avec les relations humaines. On est privé du réconfort d’une personne, du visage de l’autre et de sa parole. Le silence devient « pesant ».
Mais l’isolement est aussi nécessaire à la prière. Jésus va « à l’écart » pour prier. Cet « écart », cette distance du monde et des siens (les disciples) est un « pas en retrait » du monde vers la transcendance divine. C’est aussi une entrée dans l’intériorité, le voyage dans ces espaces intérieurs où nous nous découvrons à nu devant Dieu. Cela peut-être une chance, une grâce, une joie : « O beata Solitudo, sola beatitudo », disait saint Bernard.
- La peur de la mort, l’angoisse et l’abandon. Gethsémani.
La mort est là, elle rôde, elle joue avec nous une partie d’échecs comme dans le film d’Ingmar Bergman Le septième sceau, qui se situe au XIVe siècle au moment où la peste noire (autre pandémie) ravage la Suède : « Échec et mat », dit la mort au chevalier. Elle gagne toujours à la fin. La mort entraîne aussi les vivants dans sa danse, comme dans la fresque de la « danse macabre » de l’Abbaye de la Chaise-Dieu.
L’homme se découvre, selon Heidegger, un « être pour la mort ».
La peur est là, la peur de souffrir, la peur de mourir, la peur de ma mort et la peur de la mort de ceux que j’aime.
Cependant cette « pensée de la mort » est salutaire : « Vivre aujourd’hui comme si je devais mourir ce soir », disait le Père de Foucauld. Elle fait partie des « exercices spirituels » de la vie monastique, comme des « dialogues » philosophiques. À ses amis qui se demandent ce qu’ils pourront partager avec lui dans les derniers instants qui lui sont accordés, Socrate répond ainsi : « Un autre regard sur ce qui nous tient et à quoi nous tenons. » Face à la mort, nous apprenons ce qui est essentiel et ce qui est provisoire.
Jésus a vécu cette peur à Gethsémani et son corps s’est couvert de « sueur de sang », mais il a vaincu son angoisse par son abandon entre les mains du Père : « Père non pas ce que je veux, mais ce tu veux » (Mt 26,39//Luc 22,42). Et c’est dans l’abandon de Jésus que nous pouvons aujourd’hui nous abandonner au Père. Et cet abandon est notre repos. « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer… Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi. Ton bâton me guide et me rassure » (Ps 22, 1-2.4).
- Le triomphe de la vie. Pâques.
Mais le temps du carême ne s’arrête pas au Vendredi Saint, il nous conduit au matin de Pâques, à la Résurrection qui fait éclater le temps et l’espace de la vie limitée ici-bas.
La Résurrection ne peut être vécue que dans la foi, l’espérance et la charité : la Foi, qui témoigne du triomphe de la vie, d’une vie éternelle (temps), l’espérance de l’ouverture des tombeaux et de l’appel au large de l’immensité de la mission (espace), et enfin de la charité, car l’amour n’a pas de limites. « La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ».
La Résurrection est l’ouverture des tombeaux, mais aussi de la porte des enfers et de la porte du paradis, la sortie de tous les enfermements ou « confinements », et cette sortie n’est possible que parce que l’homme est un « homme nouveau » qui est « envoyé » jusqu’aux « confins » de la terre.
L’icône de la Résurrection est celle de la descente aux enfers du Christ qui saisit Adam et Eve pour les faire « sortir » de cet espace clos de la mort et remonter à la vie.
Conclusion : du Désert à la Résurrection. Lazare
Le chemin pascal du carême va de Gethsémani à Pâques, du désert (Évangile du premier dimanche de carême) à la résurrection de Lazare, signe de la résurrection du Christ et de notre propre résurrection (Évangile du cinquième dimanche de carême).
Jésus se révèle comme « la résurrection et la vie » et demande à Marthe de le croire : « Je suis la résurrection et la vie. Si quelqu’un croit en moi, il vivra » (Jn 11,25). Face à la mort, le seul « salut » est la foi dans le Christ.
Jésus pleure : Voyant Marie et « les Juifs qui l’accompagnaient pleurer », « Jésus pleura. Les Juifs dirent alors : “Voyez comme il l’aimait” » (Jn 11,35). Ces larmes sont des larmes de compassion. Devant la mort de ceux que l’on aime, nous sommes « bouleversés ». Cet « ébranlement » de tout l’être est la prise de conscience que l’homme est mortel, que tout a une fin, que tout passe. Une part de nous-mêmes se détache de nous, celle des êtres que nous ne reverrons plus, un passé qui ne reviendra plus.
Marthe oppose à Jésus le « réalisme » de la mort, sa froidure et son odeur : « il sent déjà » (Jn 11,39). Et de nouveau, Jésus lui demande de le croire : « Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » (Jn 11,40). On ne voit pas la gloire de Dieu sans mourir, mais dans la foi dans la résurrection, le passage de la mort à la vie, on voit la gloire de Dieu ; ce que Moïse a demandé, Marthe l’a obtenu.
Alors Jésus prie : « Père, je te rends grâce de ce que tu m’as exaucé » (Jn 11,41-42).
La prière de Jésus d’action de grâces au Père manifeste que les paroles et les actes de Jésus obéissent à la volonté du Père et sont exaucées par le Père. En ce sens, la résurrection est un « sacrifice de louange ».
Enfin Jésus ordonne à Lazare de sortir du tombeau : « Lazare sors ! » (Jn 11,43) et sa forte voix portant la parole du Verbe (« Il parla, et ce qu’il dit exista ; il commanda, et ce qu’il dit survint», Ps 32,9), fait surgir Lazare de la mort à la vie.
Docteur en philosophie (Sorbonne), agrégée de philosophie et docteur en théologie (Rome), vierge consacrée du diocèse de Paris, Ysabel de Andia est l’auteur de nombreux livres notamment en patristique.