L’ancien nonce italien, Carlo Maria Vigano, 77 ans, ordonné évêque en 1992 par Jean-Paul II, en poste à Washington de 2011 à 2016, a publié le 25 août 2018, une lettre rédigée avec le « vaticaniste » italien Marco Tosatti. Ils ne demandent pas moins que la démission du pape qui a, pour sa part, gardé le silence, tout en promettant de répondre ensuite, mais quand la presse aura étudié le document et se sera fait une idée.
Voici donc quelques points de ce « communiqué » de 11 pages, et environ 7 000 mots, en italien, mais disponible aussi en anglais. Et quelques réponses d’un historien italien.
Sous le pontificat de Jean-Paul II
Dans Vatican Insider, Andrea Tornielli a résumé les accusations de ce réquisitoire : « Les autorités du Saint-Siège étaient au courant depuis 2000 de l’existence d’accusations contre l’archevêque Theodore McCarrick, promu à la fin de cette année archevêque de Washington et créé cardinal par Jean-Paul II l’année suivante : il était (soi-disant, ndlr) connu que le prélat invitait ses séminaristes à dormir avec lui dans sa maison au bord de la mer. C’est ce qu’on lit dans un document de 11 pages signé de Carlo Maria Vigano, ancien secrétaire du Gouvernatorat (du Vatican, ndlr) et ancien nonce apostolique aux Etats-Unis, qui fut éloigné du Vatican et envoyé au siège diplomatique de Washington en 2011. Le texte de Vigano est truffé de dates et de circonstances et il est clairement adressé contre le pape François dont l’ancien nonce demande la démission parce que, selon lui, il aurait supprimé des sanctions existantes contre MacCarrick après le conclave de 2013. Étayant les rumeurs et les informations qui circulent depuis au moins deux mois (…) le document cherche à attribuer toutes les responsabilités au pape actuel. » Rappelons aussi que McCarrick ayant plus de 80 ans, il n’a pas participé au conclave de 2013.
Tornielli ajoute à cette première salve : « Vigano affirme que les dénonciations de 2000, avec des témoignages écrits contre McCarrick – accusé d’avoir agressé des séminaristes (majeurs) et des jeunes prêtres – furent régulièrement transmises par les nonces apostoliques qui se sont succédé au siège de Washington (…). Mais que ces rapports sont restés sans réponse. Vigano accuse de tout cela le secrétaire d’État de l’époque, le cardinal Sodano, mais aussi le substitut, Leonardo Sandri, qui, selon lui, auraient couvert McCarrick. Et Jean-Paul II qui a approuvé la nomination à Washington et, l’année suivante, l’inclusion de l’archevêque en question dans le collège cardinalice ? Vigano écrit à ce sujet : « La nomination à Washington et comme cardinal de McCarrick a-t-elle été l’œuvre de Sodano, lorsque Jean-Paul II était déjà très malade ? Il ne nous est pas donné de le savoir. Il est licite de le penser, mais je ne crois pas qu’il ait été le seul responsable. McCarrick allait très fréquemment à Rome et s’était fait des amis partout, à tous les niveaux de la Curie ». »
Tornielli rectifie: « En 2000, le pape Jean-Paul II n’était pas du tout en fin de vie (il est mort cinq ans plus tard) et le faire passer pour fatigué, malade et incapable de prendre des décisions semble tout à fait inapproprié. »
Sous le pontificat de Benoît XVI
L’historien italien continue : « Un second « round » d’accusations contre McCarrick date de 2006. Vigano écrit avoir préparé deux notes détaillées contre le cardinal, les adressant à ses supérieurs – à cette époque le cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone (accusé d’avoir promu trop d’homosexuels à des postes de responsabilité dans la Curie et dans l’Église). Le résultat de ces notes tarda à arriver, même si Vigano affirme qu’en 2009 et 2010 Benoît XVI décida d’imposer des sanctions à McCarrick, alors démissionnaire, lui imposant de ne pas vivre dans un séminaire, de ne plus apparaître ni célébrer en public et de ne pas voyager. Mais McCarrick ne prit pas au sérieux ces sanctions restées secrètes. Il suffit de naviguer sur le web quelques minutes pour se rendre compte que même après les sanctions présumées du pape Ratzinger, le cardinal américain a continué de célébrer en public et à donner des conférences. »
Le second fait rappelé par Tornielli (période 2006-2013) : « Viganò assure qu’il existe des sanctions secrètes contre McCarrick de la part de Benoît XVI et accuse le successeur de McCarrick à Washington, Donald Wuerl, d’avoir fait semblant de ne pas savoir. Ces sanctions obligeaient le cardinal harceleur de séminaristes adultes et de jeunes prêtres à vivre retiré dans la prière et la pénitence, sans apparaître ni célébrer en public. Pourquoi McCarrick n’a-t-il pas obéi à ces sanctions et a-t-il continué à faire ce qu’il faisait avant d’être à la retraite en célébrant des messes et en donnant des conférences ? Pourquoi personne n’a-t-il demandé le respect des ordres du pape et pourquoi personne n’a-t-il avisé le pape de cette grave désobéissance ? Et encore, pourquoi le pape Ratzinger a-t-il choisi de maintenir secrètes ces sanctions – si tant est que ces affirmations de Vigano correspondent à la vérité – sans jamais les rendre publiques ? » Des accusations fustigées par Mgr Gänswein le 28 août : « Fake news ! ».
En outre, une vidéo publiée par CNS montre Mgr Vigano à un dîner en l’honneur de McCarrick le 2 mai 2012 dans un hôtel de Manhattan : Vigano est élogieux. Un tel hommage public est impensable si le cardinal devait être sanctionné.
Sous le pontificat du pape François
« Enfin, dernier chapitre, résume Tornielli : en juin 2013, lors d’une audience privée, à une question de François sur McCarrick, Vigano aurait répondu au pape qu’il y avait un dossier rempli d’accusations contre le cardinal, déposé à la Congrégation pour les évêques. Vigano n’affirme pas avoir transmis au nouveau pape, ce jour-là, ni plus tard, de documents ou de dénonciations contre McCarrick. Mais pour lui ces quelques paroles échangées sont suffisantes pour affirmer que le pape François ne se serait pas comporté correctement, mais aurait en quelque sorte aidé l’ancien cardinal ; l’ancien nonce affirme encore, mais sans aucune précisions et sans rapporter de faits précis, que McCarrick serait aussi devenu un conseiller écouté du nouveau pape, pour les nominations épiscopales américaines. Il ne faut pas oublier que, depuis 2006, McCarrick n’était plus que cardinal archevêque émérite, sans aucune charge. »
Troisième fait qui vient confondre l’accusation: « Lorsqu’est arrivée la nouvelle d’une dénonciation concrète d’abus sur un mineur de la part de McCarrick – épisode remontant à lorsqu’il était prêtre à New York – le pape François lui a imposé de vivre retiré et lui a enlevé la pourpre cardinalice : la première véritable et radicale sanction contre l’ancien archevêque, qui n’a pas de précédent dans l’histoire récente de l’Église. Jusqu’en 2018, c’est-à-dire jusque à l’ouverture formelle de l’enquête canonique contre McCarrick, les accusations concernaient des relations homosexuelles avec des personnes adultes. »
Et Tornielli pose la question: « Pourquoi Mgr Vigano n’a pas fait connaître avant ce jour ces informations s’il était tellement convaincu qu’il s’agissait de quelque chose de la plus grande importance pour l’Église ? » Plus encore : « Pourquoi, étant nonce apostolique aux Etats-Unis, il ne les a pas mises par écrit, invitant le nouveau pape à prendre des provisions contre McCarrick, pour faire en sorte que les sanctions secrètes de Benoît soient enfin appliquées, ce qui n’était évidemment pas arrivé avant ? » Mgr Vigano se serait-il tiré une balle dans le pied ?
Le journaliste et historien italien y voit des « batailles ecclésiastiques personnelles d’un prélat qui n’a jamais digéré son éloignement du Vatican sur décision de Benoît XVI ».
Nouvelles accusations du nonce
Il persévère cependant dans une interview téléphonique accordée – d’un lieu secret (pourquoi ?) – à l’un des 5 journalistes qui ont relayé son acte d’accusation, Aldo Maria Valli. Il affirme avoir parlé uniquement « pour que la vérité sorte », à savoir la vérité de la couverture des abus par des clercs : « J’ai parlé parce que la corruption a désormais atteint le sommet de la hiérarchie de l’Église ».
Vigano déplore aussi comme « calomnieuses » les évocations par les médias de ses conflits avec son frère et sa sœur, pour des raisons d’héritage : il s’agirait de « venin pour détruire ma crédibilité ».
Puis il met en cause des fidélissimes de Benoît XVI: les cardinaux Julian Herranz, Jozef Tomko, Salvatore De Giorgi, qui ont été chargés de l’enquête interne sur Vatileaks 1, en 2012. Par conséquent les mandataires qui auraient convaincu le majordome du pape émérite de soustraire des documents de ses appartements devraient être connus de Benoît et donc de François. Mais le rapport des trois cardinaux n’a pas été rendu public.
Pourtant, le fait que d’autres personnes – une dizaine – naguère accusées par le même archevêque ont toutes été blanchies, fait penser à Luis Badilla (Il Sismografo), que l’on se trouve devant un phénomène d’accusations « en série ».
Quant au pape François, qui prépare sa réponse (naguère mal informé sur le dossier chilien, il ne se contentera pas de réponses faciles), il a tenu l’audience du mercredi 29 août, disponible au Peuple de Dieu qui l’attendait avec enthousiasme Place Saint-Pierre. Il a offert le bilan de ses deux jours sur l’île verte : l’important, c’était « Dublin 2018 », où il a rencontré les victimes d’abus, l’Irlande et les familles du monde.
Avec des traductions d’Hélène Ginabat
Messe au Phoenix Park, rencontre des familles de Dublin © Vatican Media
Le cas Vigano: des accusations, quelques questions
Et quelques repères historiques