COE Homélie 21/62018 capture @ Vatican Media

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"Entre histoire et avenir. L'élan vital de mai 68", par Mgr Bruno Forte

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La bannière de l’Evangile et le primat de la charité

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Entre histoire et avenir
L’élan vital de mai 68
(Il Sole 24 Ore, dimanche 24 juin 2018, 1 et 6)
de
Bruno Forte
Archevêque de Chieti-Vasto
Cinquante ans se sont écoulés depuis le « mai français », ce mois fatidique de 1968 traversé en France par un vaste ensemble de mouvements de révolte sociale, politique et idéologique, dirigée contre la société traditionnelle, le capitalisme, l’impérialisme, et en premier lieu contre le pouvoir « gaulliste » alors dominant. De la jeunesse étudiante de Paris la révolte s’est étendue au monde du travail et à beaucoup d’autres catégories, au point que l’on peut considérer les événements de 68 comme le mouvement social le plus important du XXe siècle en France. Le motif d’inspiration a été la contestation de tout type d’autorité, au nom d’une libéralisation totale des moeurs et contre les logiques dominantes de la tradition. Que reste-t-il de tout cela cinquante ans plus tard? Il y a ceux qui répondent en ne dessinant qu’un bilan négatif, car il voit dans cette période le début du processus qui aurait fait dégénéré la valeur de la liberté en anarchie. Pour d’autres, le mouvement né pour lutter contre le conformisme a fini par en créer un autre encore plus étouffant. Pour beaucoup, il est et reste indéniable l’importance des instances qui ont vu le jour dans ces années-là, tant dans le domaine de l’éducation que dans ceux du travail, de la famille, des relations entre les générations, sur le fond d’un large désir de revanche et de protagonisme des classes sociales plus faibles. Quelle que soit l’évaluation qu’on en offre, 68 a représenté une étape fondamentale pour le changement et pas seulement de la France, donnant une impulsion à une vaste saison de revendication des droits.
Tous les processus mentionnés sont nés d’une participation collective intense, caractérisée par des slogans d’une grande force évocatrice: parmi ceux-ci – «l’imagination au pouvoir» – a particulièrement touché l’héritage culturel de 68. S’y exprimait la tension de mettre en question une société bloquée, injuste, autoritaire et inégalitaire, en manifestant en même temps, l’urgence de lancer un nouveau départ, en mettant aussi en relation entre la vie personnelle et la vie politique, parce que le changement des structures était une propédeutique pour un mode de vie différent. Ont émergé la question du bonheur, la centralité des désirs, l’affirmation de l’autodétermination. Dans l’ensemble dominait une force utopique liée à la primauté de l’idéologie, de « passions fortes », au désir de prendre position, par rapport auquel la saison post-idéologique actuelle semble être caractérisér par un malaise, des passions tristes, le mécontentement sempiternel, des revendications impuissantes, l’absence de vastes horizons. L’héritage culturel le plus profond qui découle de notre société de 68 c’est toutefois la remise en question non seulement de telle ou telle autorité, mais du principe même d’autorité, ainsi que le processus de prise de distance et de désaffection des institutions et de la tradition, ainsi que l’importance attribuée à la dimension individuelle de la vie. Face au conformisme, on exalte l’expérience personnelle: elle parle de «l’âge de l’authenticité», visant à modifier amplement les façons de vivre, les croyances et les relations sociales.
Le processus initié alors a eu des répercussions significatives aussi dans le domaine religieux, à la fois par rapport aux institutions du sacré, en particulier à l’Église, et dans l’interprétation de l’instance religieuse et de la dimension spirituelle de la vie. Surgit un «non» à une foi imposée ou héritée de façon passive. Le désaccord avec l’éthique sexuelle prêché par les Églises, amplement répandue, s’unit au rejet de la fonction disciplinaire de la religion. Le phénomène de l’athéisme et de l’indifférence religieuse grandit et, en même temps, une recherche spirituelle alternative émerge, impliquant également les communautés religieuses plus établies. Le sentiment de solitude et de non-appartenance de l’individu grandit, la perception d’un égarement général, le besoin d’une ancre à laquelle s’accrocher. C’est ici que la fascination du christianisme, en tant que religion de la liberté et inséparablement d’appartenance au peuple de Dieu, continue de s’exercer, d’autant plus que chez beaucoup le rejet de la tradition s’unit à la nostalgie des certitudes passées, à l’abandon à la recherche inquiète, à la démolition des idoles, au besoin de figures charismatiques auxquelles s’identifier.
Il reste vif le défi d’une saison qui a été et est une occasion unique pour une possible renaissance de notre Occident, combinée à un élan de nouvelle évangélisation de la part des croyants, à cinquante ans d’une contestation encore féconde en horizons inédits, malgré tout. Une preuve de cette vitalité peut être saisie dans les paroles et dans les gestes du pape François, dont l’engagement pour l’authenticité et pour le style d’une «Église en sortie» intègre tant d’exigences de 68. Témoin, par exemple, ce qu’il a dit à Genève le 21 juin au Conseil œcuménique des Églises, invitant tous les chrétiens à un chemin courageux du renouveau: « Le chemin est une métaphore qui révèle le sens de la vie humaine, d’une vie qui ne se suffit pas à elle-même, mais qui est toujours à la recherche de quelque chose de plus. (…) Il faut renoncer à beaucoup de chemins pour choisir celui qui conduit au but et vivifier la mémoire pour ne pas la perdre. (…) Marcher demande l’humilité de retourner sur ses propres pas, quand c’est nécessaire, et le souci des compagnons de voyage, car ce n’est qu’ensemble qu’on marche bien. Marcher, en somme, exige une conversion de soi continue. C’est pourquoi beaucoup y renoncent, en préférant la quiétude de la maison, où ils s’occupent commodément de leurs propres affaires sans s’exposer aux risques du voyage. Mais ainsi, on s’accroche à des sécurités éphémères, qui ne donnent pas cette paix et cette joie auxquelles le cœur aspire, et qui ne se trouvent qu’en sortant de soi-même. ». On pourrait peut-être parler d’un nouveau 68, sous la bannière de l’Evangile et du primat de la charité.
Traduction de ZENIT
 
 
 

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Bruno Forte

Arcivescovo di Chieti-Vasto

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