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Europe: Nouvelle offensive pro-gestation par autrui, par Priscille Kulczyk, ECLJ

En droit français, «toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle»

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NOUVELLE OFFENSIVE PRO-GESTATION PAR AUTRUI
PAR PRISCILLE KULCZYK, ECLJ

Le 23 mai 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a communiqué au gouvernement français la requête Martine Maillard et autres c. France (n° 17348/18) introduite auprès de la Cour le 10 avril 2018. Avec les requêtes Pierre Anne Braun c. France (n° 1462/18) et D c. France (n° 11288/18) introduites respectivement le 4 janvier 2018 et le 2 mars 2018 et communiquées le 29 mars 2018, il s’agit d’une nouvelle offensive pro-GPA au niveau européen. Ces trois affaires concernent le refus de transcrire intégralement sur les registres d’état civil français l’acte de naissance établi à l’étranger en vertu d’une convention de gestation par autrui (GPA), le but d’une telle demande étant que soit reconnu un lien de filiation entre l’enfant et chacun des membres du couple ayant eu recours à cette pratique.

Rappelons tout d’abord que l’article 16-7 du code civil français énonce que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » : l’interdiction de la GPA est d’ordre public (c. civ., art. 16-9). Concernant la transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger, l’article 47 du code civil dispose que « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Suivant ce texte, un acte de naissance dressé à la suite d’une GPA et indiquant pour mère la femme commanditaire et non la mère porteuse ne peut faire foi puisque les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. C’est pourtant la transcription d’un tel acte à l’état civil qu’exigent les requérants dans ces trois affaires soumises à l’examen de la CEDH.
Dans l’affaire Braun, Mme Pierre-Anne et M. Robert Braun (nés en 1965 et 1963) sont deux ressortissants français qui se sont mariés en 2004 et résident en Thaïlande. En 2014, ils demandèrent que soit transcrit sur les registres d’état civil français l’acte de naissance d’Eliott, né en 2010 aux États-Unis : le document mentionne M. et Mme Braun comme étant ses père et mère. Le procureur de la République de Nantes refusa de transcrire l’acte de naissance en raison d’indices laissant croire à l’existence d’une GPA : absence de lien avec les États-Unis et de mention d’un enfant sur le livret de famille, âge avancé qu’aurait eu Mme Braun à l’accouchement (45 ans), refus de fournir le certificat de naissance et le bracelet de l’hôpital. Le 30 août 2016, le tribunal de grande instance de Nantes ordonna cette transcription en affirmant que le ministère public ne rapportait pas la preuve que l’acte litigieux n’était pas conforme à la réalité (cf. c. civ. art. 47). Le 11 septembre 2017, la cour d’appel de Rennes confirma ce jugement mais uniquement quant à la transcription de la filiation paternelle. Relativement à la filiation maternelle, la juridiction expliqua que « Concernant la désignation de la mère dans l’acte de naissance, la réalité au sens [de l’article 47 du code civil], est la réalité de l’accouchement », que des indices laissent effectivement penser que Mme Braun n’a pas accouché, que l’acte de naissance n’est donc pas conforme à la réalité et ne peut par conséquent faire l’objet d’une transcription.
Dans l’affaire D., Mme et M. D. (nés en 1972 et 1957), de nationalité française, se sont mariés en 2008 et résident en France. Ils ont eu recours à une mère porteuse en Ukraine pour obtenir B., née en 2012. En 2014, ils demandèrent la transcription de l’acte de naissance de la fillette les mentionnant comme ses père et mère. Le procureur de la République de Nantes refusa de faire droit à leur demande dès lors que la mention de Mme D. en tant que mère ne correspondait pas à la réalité, celle-ci n’ayant pas accouché. Le tribunal de grande instance de Nantes ordonna la transcription de l’acte de naissance le 12 janvier 2017, arguant notamment que le recours à une GPA prohibée par l’article 16-7 du code civil ne fait pas obstacle à la reconnaissance en France du lien de filiation qui en résulte, et ce dans l’intérêt de l’enfant qui ne peut se voir opposer les conditions de sa naissance. Le 18 décembre 2017, la cour d’appel de Rennes confirma ce jugement mais uniquement quant à la transcription de la filiation paternelle. Au terme d’une argumentation similaire à celle de l’affaire Braun, la cour jugea que l’acte de naissance ne peut être transcrit relativement à la filiation maternelle dès lors que, le recours à la GPA n’étant pas contesté, la mention de Mme D. en tant que mère ne correspond pas à la réalité, qui est celle de l’accouchement aux termes de l’article 47 du code civil.
Dans l’affaire Maillard, Mme Martine et M. Christian Maillard (nés en 1962 et 1969) sont tous deux français et se sont mariés en 2001. Ils ont eu recours à la pratique de la GPA au Ghana où Brice, Camille et Lucile sont nés en 2014. La même année, ils demandèrent la transcription à l’état civil français des actes de naissance les mentionnant comme père et mère. Le procureur de la République de Nantes ayant sursis à la transcription, le couple saisit à cette fin le Tribunal de grande instance de Nantes qui leur donna raison le 17 septembre 2015, tout comme la Cour d’appel de Rennes le 6 mars 2017 sur le fondement de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le 14 mars 2018, la Cour de cassation cassa toutefois cet arrêt et, faisant prévaloir la réalité de l’accouchement, ordonna la transcription des actes litigieux mais uniquement quant à la filiation paternelle.
Avec les enfants, les trois couples ont saisi la CEDH afin que celle-ci constate que le refus des juridictions françaises de transcrire sur les registres d’état civil français l’intégralité des actes de naissance dressés à l’étranger en vertu d’une convention de GPA viole la Convention européenne des droits de l’homme, particulièrement le droit au respect de la vie privée (art. 8) de l’enfant, et constitue une atteinte discriminatoire à ce droit sur le fondement de la naissance (art. 8 et 14 combinés).
Dans l’engrenage de la libéralisation de la GPA
La CEDH a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question de la transcription à l’état civil français d’actes de naissance établis à l’étranger suite à une GPA dans les affaires Mennesson c. France (n° 65192/11) et Labassee c. France (n° 65941/11) (voir aussi Foulon et Bouvet c. France, n° 9063/14 et 10410/14, 21 juillet 2016) : le 26 juin 2014, la Cour a jugé que, bien que les enfants aient été identifiés à l’étranger comme étant ceux des époux Mennesson ou Labassee, cette qualité leur avait toutefois été niée en droit français, ce qui portait atteinte à l’identité des enfants au sein de la société française. Elle a noté que la jurisprudence empêchait tant la reconnaissance (par transcription de l’acte de naissance étranger) que l’établissement (par reconnaissance de paternité, adoption ou possession d’état) du lien de filiation entre les enfants nés d’une GPA régulière à l’étranger et leur père biologique, ce qui allait au-delà de ce que permet l’ample marge d’appréciation que reconnaît la Cour aux États dans leurs décisions relatives à la GPA. Si la Cour avait ainsi conclu à la violation du droit des enfants au respect de leur vie privée (art. 8 de la Convention), elle a toutefois fait prévaloir la vérité biologique et le principe de réalité dès lors que l’homme indiqué en tant que père dans l’acte de naissance de l’enfant en est véritablement le père biologique.
Suite à ces condamnations, la jurisprudence française évolua : le 3 juillet 2015, l’assemblée plénière de la Cour de cassation admit l’établissement du lien de filiation paternelle par la transcription de l’acte de naissance étranger dressé suite à une GPA et mentionnant l’homme commanditaire en tant que père et la mère porteuse en tant que mère, faisant prévaloir de même le principe de réalité. Le 5 juillet 2017, la Cour de cassation admit encore qu’un lien de filiation soit établi entre l’enfant né par GPA à l’étranger et le conjoint (en l’occurrence un homme) du père biologique par le biais d’une adoption simple. Le 14 mars 2018, dans l’affaire Maillard, la Cour de cassation a rappelé l’impossibilité de transcrire un acte de naissance étranger qui mentionne en qualité de mère une femme qui n’a pas accouché.
À l’heure actuelle, le droit français permet ainsi à la filiation paternelle d’être reconnue à l’égard du père biologique par transcription partielle de l’acte de naissance et à la filiation maternelle d’être établie à l’égard de la femme commanditaire par l’adoption simple. La Cour de cassation a rappelé que la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, dès lors que les autorités françaises n’empêchent pas ce dernier de vivre « en famille », qu’un certificat de nationalité française lui est délivré et qu’il existe une possibilité d’adoption par l’épouse ou l’« époux » du père.

Des affaires à fort enjeu

Dans les affaires Mennesson c. France et Labassee c. France, la CEDH s’était donc prononcée sur la filiation paternelle en exigeant qu’elle puisse être établie à l’égard du père biologique de l’enfant né par GPA, conformément à la vérité biologique. Il lui est à présent demandé de statuer sur l’établissement de la filiation maternelle dans le contexte de la transcription d’actes de naissance mentionnant en tant que mère, non pas la mère porteuse qui a accouché, mais la femme commanditaire. C’est donc le statut du « parent d’intention » qu’il lui est demandé de définir.
Il faut toutefois préciser que l’exposé des faits des affaires BraunSeanz Cortes et Maillard ne permet pas de déterminer la provenance de l’ovule avec lequel l’enfant a été conçu. Or la Cour pourrait juger différemment, suivant son acception de la vérité biologique, selon qu’il s’agisse de l’ovocyte de la femme commanditaire ou de celui de la mère porteuse ou d’une donneuse.
Si ces trois nouvelles affaires constituent une occasion pour la CEDH de condamner la pratique de la GPA ou au-moins d’en limiter les effets, une condamnation de la France aurait de graves conséquences. Elle reviendrait à obliger les États à reconnaître de manière automatique l’ensemble de la filiation figurant sur l’acte de naissance étranger au contenu mensonger, c’est-à-dire à donner automatiquement effet à toute GPA régulièrement pratiquée à l’étranger. Tendant à se réduire comme peau de chagrin sous la pression des arrêts de la CEDH, la liberté des États de ne pas reconnaître les effets de GPA pratiquées à l’étranger, alors même qu’ils interdisent cette pratique sur leur sol, serait ainsi annihilée. L’enjeu de ces trois affaires est donc important : il est demandé à la Cour d’actionner encore un peu plus l’engrenage de la libéralisation de la GPA par l’acceptation de son principe en validant cette pratique a posteriori au stade de la production de ses effets.
Plus loin, c’est l’identification du véritable intérêt supérieur de l’enfant qui est en jeu. Selon les requérants, celui-ci réside dans l’établissement d’une filiation maternelle mensongère à l’égard d’une femme qui n’est pas la mère de l’enfant puisque la maternité découle de l’accouchement. Pourtant une filiation conforme à la réalité pourrait être établie entre eux par l’adoption simple. Les requérants demandent donc une nouvelle fois à la Cour d’obliger les États à établir une filiation mensongère, ce qu’elle a jusque-là systématiquement refusé. Cette question est d’autant plus importante que la CEDH tend à reconnaître le droit de l’enfant à connaître ses origines (voir p. ex. Mikulic c. Croatie, n° 53176/99, 4 septembre 2002). Elle a ainsi jugé que « La naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 de la Convention » (Odièvre c. France [GC], n° 42326/98, 13 février 2003, § 29) et que « l’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance biologique ne cesse pas avec l’âge, bien au contraire » (Jäggi c. Suisse, n° 58757/00, 13 juillet 2006, § 37 et § 40). Or ce droit à connaître ses origines serait bafoué si la Cour donnait raison aux requérants.
Dans ce contexte, la récente « Proposition de résolution appelant à une interdiction universelle de la gestation pour autrui », présentée à l’Assemblée nationale le 22 mai 2018 à l’initiative de Xavier Breton résonne particulièrement. Quarante députés s’inquiètent ainsi de voir l’interdiction de la GPA peu à peu vidée en France de sa substance car « régulièrement des coups de butoir des juridictions françaises viennent [l’]affaiblir », sous la pression de la Cour de Strasbourg. Ils se demandent ainsi : « que reste-t-il de l’article 16-7 du code civil ? Alors que la loi française frappe de nullité toute convention de GPA, nous voyons par toutes ces décisions de justice une diminution inquiétante de la portée de cet article. » Ils rappellent en outre qu’alors qu’Emmanuel Macron était candidat à l’élection présidentielle, il « [s’était engagé] aussi à ce que la France participe « à une initiative internationale pour lutter contre les trafics et la marchandisation des femmes liés au développement de la GPA dans le monde » ». Or, comme le soulignent les députés avec lucidité, comment donner corps à une telle initiative s’ « Il suffit d’aller à l’étranger pour obtenir le résultat défendu ! » ? C’est ce paradoxe actuel qui risque d’être accentué si la CEDH venait à donner raison aux requérants dans ces trois affaires. Celles-ci interrogent également le rôle et la fiabilité de l’état civil : sert-il à réaliser des désirs personnels ou a-t-il un objectif d’intérêt général ? Sur ce point, les députés mettent en évidence la « filiation de pure convenance, qu’une pratique de maternité de substitution réalisée hors de France [a] pour objet de produire ».
En tout état de cause, la question de l’épuisement des voies de recours internes, qui conditionne la recevabilité d’une affaire par la Cour, se pose dans ces affaires puisque la Cour de cassation française n’a été saisie avant l’introduction des recours auprès de la CEDH que dans l’affaire Maillard. Il reste donc à savoir si la Cour admettra la recevabilité de ces requêtes afin de se prononcer sur le fond ou si elle fera une application rigoureuse des principes relatifs à l’épuisement des voies de recours internes, comme cela a été le cas dans l’affaire Charron et Merle-Montet c. France (n° 22612/15). Le 8 février 2018, la CEDH a déclaré irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes la requête d’un couple de femmes réclamant un « droit à l’enfant sans père ». Celles-ci étaient d’ailleurs défendues par le même avocat que les requérants dans ces trois affaires.
© ECLJ

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