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Une finance au service de l’économie réelle, par Mgr Forte

Le principe clé du « non à l’absolutisation du profit »

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« Le non à l’absolutisation du profit », c’est « un principe clé » du nouveau document « Oeconomicae et pecuniariae quaestiones » sur le discernement éthique de « certains aspects du système économique et financier », estime Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti-Vasto.
Il a commenté ce texte – co-rédigé par la Congrégation pour la doctrine de la foi et le Dicastère pour le service du développement humain intégral – sur les pages du quotidien économique italien Il Sole 24 Ore, le 10 juin 2018. Nous publions ces réflexions en français avec l’aimable autorisation de l’auteur.
En citant le document, Mgr Forte rappelle que « tout progrès du système économique doit … se mesurer sur la base de la qualité de la vie » et qu’« aucun profit n’est légitime lorsque fait défaut la vision de la promotion intégrale de la personne humaine ».
Il souligne que « l’activité financière, en somme, doit être au service de l’économie réelle » et qu’elle doit créer « de la valeur par des moyens moralement licites ».
Les « autorités nationales de régulation des marchés », poursuit-il en citant le document, devraient « rester indépendantes et liées aux exigences de l’équité et du bien » : si cette « tâche » est « assumée par l’Union européenne », estime Mgr Forte, cela « pourrait la rendre, certes, bien plus proche du rêve de ses Pères fondateurs … »
Voici notre traduction intégrale de la réflexion du théologien italien.
MD
Une finance au service de l’économie réelle
« Oeconomicae et pecuniariae quaestiones » – Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel » est le titre d’un document important de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et du Dicastère du Vatican pour le Service du Développement Humain Intégral, publié le 17 mai 2018. Le texte part du constat que les questions économiques et financières prennent de plus en plus de place dans la vie quotidienne, « en raison de l’influence croissante des marchés sur le bien-être matériel d’une bonne partie de l’humanité ». D’où la nécessité d’une juste régulation de leur dynamique, liée à un fondement éthique nécessaire, « qui garantisse au bien-être obtenu une qualité humaine de relations que les mécanismes économiques ne sont pas en mesure de produire à eux seuls » (n. 1). Sans un juste ordre éthique, « la volonté et l’abus des plus puissants finissent par dominer la scène humaine » (n. 3). La vérification historique de cette conviction est évidente : avec la croissance du bien-être économique mondial dans la seconde moitié du XXe siècle, les inégalités entre les pays et à l’intérieur des pays se sont accrues, alors qu’un « grand nombre de personnes continue de vivre dans l’extrême pauvreté » (n. 5) et le nombre des personnes rejetées et des exclus augmente. Il devient donc urgent « d’élaborer de nouvelles formes d’économie et de finance dont les pratiques et les règles visent le progrès du bien commun ainsi que le respect de la dignité humaine » (n. 6). Le Document entend contribuer à cet objectif en marchant dans le sillon tracé par l’enseignement social de l’Église, selon lequel l’économie « a besoin de l’éthique pour fonctionner correctement ; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne » (Benoît XVI, Caritas in veritate, n. 45).
Dans la perspective de cette conception éthique, un principe clé est le non à l’absolutisation du profit, entendue comme une optimisation pure et simple des gains pécuniaires : dans la transmission des biens entre les personnes, il y a de plus en plus d’enjeux que quelque chose de matériel, « car les biens matériels sont souvent le véhicule de biens immatériels, dont la présence ou l’absence effective détermine de manière décisive la qualité même des rapports économiques (par exemple, la confiance, l’équité, la coopération…) » (n. 9). Dans cette ligne, le texte va jusqu’à dire qu’« aucun profit n’est légitime lorsque fait défaut la vision de la promotion intégrale de la personne humaine, de la destination universelle des biens et de l’option préférentielle pour les pauvres » (n. 10). Tout progrès du système économique doit alors se mesurer « sur la base de la qualité de la vie  qui produit et de l’extension sociale du bien-être qu’il diffuse, et ce bien-être ne peut de fait se limiter seulement à ses aspects matériels » (ib.) et doit donc être évalué avec des critères plus amples que ceux du Produit Intérieur Brut (PIB) d’un pays, en tenant compte aussi d’autres paramètres, comme par exemple, la sécurité, la santé, la croissance du « capital humain », la qualité de la vie sociale et du travail. « Tout cela rend plus que jamais urgente une alliance renouvelée entre les agents économiques et les agents politiques, pour promouvoir ce qui sert le développement accompli de chaque personne humaine et de toute la société, en conjuguant les exigences de la solidarité avec celles de la subsidiarité » (n. 12). Le document relève avec réalisme que « le puissant moteur de l’économie que sont les marchés n’est pas en mesure de se réguler par lui-même : les marchés, en effet, ne peuvent ni produire les conditions qui leur permettent de se développer dans les règles (cohésion sociale, équité, confiance, sécurité, lois…), ni corriger leurs effets et leurs expressions nuisibles à la société humaine (inégalités, dégradation de l’environnement, insécurité sociale, fraudes…) » (n. 13). Dans ce contexte, la menace que l’industrie financière conditionne l’économie réelle jusqu’à ce qu’elle la domine est loin d’être aléatoire : de même, doit être considéré comme immoral le processus selon lequel « le revenu issu du capital porte maintenant atteinte au revenu issu du travail qu’il risque de supplanter », avec pour conséquence que « le travail lui-même, avec sa dignité, devient non seulement une réalité toujours plus menacée, mais perd aussi sa qualification de « bien » pour l’homme, devenant ainsi un simple moyen d’échange à l’intérieur de relations sociales inégales » (n. 15). L’activité financière, en somme, doit être au service de l’économie réelle, en créant de la valeur par des moyens moralement licites et en favorisant « la libéralisation des capitaux afin de générer une circularité vertueuse de la richesse. À titre d’exemple, les coopératives de crédit, le micro-crédit, ainsi que le crédit public au service des familles, des entreprises, des collectivités locales ou le crédit d’aide aux pays en voie de développement sont des réalités très positives et dignes d’être encouragées » (n. 16).
Dans l’actuelle mondialisation du système financier, devient alors urgente « une coordination stable, claire et efficace s’impose entre les différentes autorités nationales de régulation des marchés, avec la possibilité, et parfois aussi la nécessité, de partager en temps opportun les décisions contraignantes, quand le bien commun est en danger. Ces autorités de régulation doivent toujours rester indépendantes et liées aux exigences de l’équité et du bien commun » (n. 22). Une tâche qui – si elle était assumée par l’Union européenne – pourrait la rendre, certes, bien plus proche du rêve de ses Pères fondateurs …
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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