Congrès du Latran 19/06/2017 © L'Osservatore Romano

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Education des adolescents: non aux analphabètes du cœur et des mains

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Oui à une éducation intégrée

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Le pape François recommande aux éducateurs, et en premier aux parents, de ne pas offrir aux adolescents une formation purement intellectuelle qui produit des jeunes « analphabètes » dans les domaines des émotions et dont les projets restent « inachevés » parce qu’on ne leur a pas enseigné à « faire » : « On a centré l’éducation sur le cerveau en négligeant le cœur et les mains », ce qui  constitue « une forme de fragmentation sociale », a fait observer le pape, en développant un principe éducatif qui lui est cher. Il a aussi, et c’est un thème à contre-courant, invité à une éducation à « l’austérité » qui favorise l’imagination et la solidarité.
Le pape François a présidé l’ouverture du Congrès ecclésial annuel du diocèse de Rome avec le pape François dans la basilique Saint-Jean-du-Latran, ce lundi 19 juin 2017, entouré du cardinal Vicaire pour Rome, Agostino Vallini et celui qui va lui succéder, Mgr Angelo De Donatis.
Un congrès ayant pour thème l’éducation des adolescents et avec pour titre : « Ne les laissons pas seuls ! Accompagner les parents dans l’éducation de leurs enfants adolescents ».
Le pape quitté le Vatican vers 18h15, pour se rendre en voiture au Latran où, à 18h30, il a rencontré un groupe de réfugiés hébergés dans les paroisses romaines ou des instituts religieux, pendant plus de 30 minutes, au salon du Palais des Chanoines.
Après l’allocution du cardinal Vallini, le pape a souligné différents aspects : la nécessité de réfléchir à partir du « concret » de la vie des familles de cette ville, de travailler à une éducation qui donne des « racines », à croître mais en bougeant, « en mouvement », pour « intégrer » l’intellect (la tête), les émotions (le cœur) et l’action (la main), à favoriser la confrontation entre générations (et pas la compétition), avant d’insister sur l’importance de « l’austérité » qui « ouvre à l’autre ».
Travailler à partir de la vie concrète des familles
Le pape a d’abord recommandé d’être « concret » et de parler de choses concrètes, avec un « réalisme stimulant » : « Il nous est demandé de penser à nos familles dans le contexte d’une grande ville comme Rome. Avec toute sa richesse, ses opportunités, sa diversité et en même temps avec tous ses défis. Non pas pour nous renfermer et ignorer le reste (nous sommes toujours italiens) mais pour aborder la réflexion, et même les moments de prière, avec un réalisme sain et stimulant » : « Ce n’est pas la même chose d’éduquer ou d’être une famille dans un petit village et dans une grande métropole. »
Le pape a précisé certains éléments de cette tension typique des villes : « les distances entre la maison et le travail (dans certains cas, jusqu’à deux heures pour y arriver), le manque de liens familiaux proches, à cause du fait que l’on a dû déménager pour trouver un travail ou pour pouvoir payer un loyer, la vie toujours « au centime près » pour arriver à la fin du mois » et un « rythme de la vie » qui est « plus cher » que dans un village.  Il ajoute : « le temps si souvent insuffisant pour connaître ses voisins là où l’on vit, devoir laisser ses enfants seuls, dans de nombreux cas… »
Transmettre des racines
Le pape a aussi évoqué une autre caractéristique de la vie des grandes villes : « l’expérience de se sentir ‘déracinés’» : « Cela signifie des personnes, des familles qui perdent peu à peu leurs liens, ce tissu vital si important pour se sentir partie prenante les uns des autres, participants avec les autres à un projet commun. C’est l’expérience de savoir que « nous appartenons » à d’autres (au sens le plus noble du terme). Il est important de tenir compte de ce climat de déracinement, parce que peu à peu il passe dans nos regards et spécialement dans la vie de nos enfants. Une culture déracinée, une famille déracinée est une famille sans histoire, sans mémoire, sans racines, justement. Et quand il n’y a pas de racines, n’importe quel vent finit par t’entraîner. »
Le pape en tire immédiatement une conséquence pour l’éducation des jeunes il faut trouver « les scénarios où nous enraciner, où générer des liens, trouver des racines, où faire grandir ce réseau vital qui nous permette de nous sentir ‘chez nous’ » car « il n’y a pas pire aliénation pour une personne que de sentir qu’elle n’a pas de racines, qu’elle n’appartient à personne ».
Le pape a aussi critiqué une formation des enfants « excessive dans certains domaines que nous considérons importants pour leur avenir », mais sans donner « autant d’importance au fait qu’ils connaissent leur terre, leurs racines » : « Nous les privons de la connaissance des génies et des saints qui nous ont engendrés. »
Le pape a cité un passage du prophète Joël qu’il cite souvent : « Vos vieillards auront des songes et vos jeunes gens des visions » (cf. Jl 3,2), et il l’a commenté ainsi : « Afin que nos jeunes aient des visions, soient des « rêveurs », qu’ils puissent affronter avec audace et courage les temps futurs, il est nécessaire qu’ils écoutent les rêves prophétiques de leurs pères. »
« C’est seulement ainsi qu’ils pourront voler haut, sinon ils seront pris par les ‘visions’ des autres », a fait observer le pape.
Rester en mouvement
Puis il a insisté sur le « mouvement » : « L’adolescence est une phase de passage dans la vie » des adolescents et de leurs familles : « les adolescents ne sont ni d’ici ni de là-bas, ils sont en chemin, en transit ».
Le pape a précisé ce « mouvement » : « Ce ne sont pas des enfants (et ils ne veulent pas être traités comme tels) et ce ne sont pas des adultes (mais ils veulent être traités comme tels, spécialement au niveau des privilèges). »
Pour le pape, « c’est un temps précieux dans la vie » des jeunes, et « un temps de croissance pour eux et pour toute la famille ». L’adolescence n’est pas une pathologie et nous ne pouvons pas l’affronter comme si elle l’était. Un enfant qui vit son adolescence (aussi difficile soit-elle pour ses parents) est un enfant avec un avenir et une espérance. »
Puis le pape a mis en garde : « L’adolescence n’est pas une pathologie que nous devons combattre. Elle fait partie de la croissance normale, naturelle de la vie de nos jeunes. Là où il y a la vie, il y a le mouvement, là où il y a le mouvement, il y a des changements, une recherche, des incertitudes, il y a l’espérance, la joie et aussi l’angoisse et la désolation. »
Dans ce « mouvement » vital le pape a appelé au « discernement » : « Il faut discerner quelles batailles sont à mener et lesquelles, non. » Il renvoie pour cela à « des couples qui ont de l’expérience ».
L’intégration de la pensée, des émotions et de l’action
Comme il le disait récemment aux jeunes de Scholas Occurrentes », le pape François a ensuite insisté sur une éducation « intégrée », intégrant la tête, le cœur, la main, ce que l’on pense, l’intellect, ce que l’on ressent, les affects, ce que l’on fait, l’action.
C’est cette « intégration » de ces trois dimensions qui permet aux jeunes, a fait observer le pape François, « une croissance harmonieuse » à la fois personnelle et sociale.
Il s’agit, de façon « urgente », de « créer des lieux où la fragmentation sociale ne soit pas le schéma dominant » et d’enseigner « à penser ce que l’on ressent et ce que l’on fait, de ressentir ce que l’on pense et ce que l’on fait, à faire ce que l’on pense et ce que l’on ressent. »
Il y voit un « dynamisme » au service « de la personne et de la société » : les jeunes « actifs e protagonistes » de leur propre croissance se sentiront aussi « appelés à participer à la construction de la communauté ».
Comme ils cherchent à être acteurs, il convient de donner une « orientation » et des « instruments » à cette croissance active, à la « construction de leur personnalité ».
Il ne s’agit pas, a fait observer le pape de donner une formation purement intellectuelle qui produit des jeunes « analphabètes » dans les domaines des émotions et de l’action, dont les projets restent « inachevés » parce qu’on ne leur a pas enseigné à « faire » : « On a centré l’éducation sur le cerveau en négligeant le cœur et les mains », ce qui  constitue « une forme de fragmentation sociale », a fait encore remarquer le pape sous les applaudissements de l’assemblée diocésaine.
Oui à la confrontation, non à la compétition
Le pape a aussi épinglé une culture où les jeunes veulent faire « les grands » et où « les grands » deviennent des adolescents.
Normalement, les générations offrent l’occasion d’une « confrontation », mais pas d’une « compétition ». Or il semble que « vieillir » deviennent un « mal » synonyme de « vie frustrée et épuisée » comme si la vie elle-même n’avait pas de « sens ».
Le pape dénonce comme l’un des plus grands dangers de l’éducation des jeunes aujourd’hui  le fait de « les exclure de leurs processus de croissance parce que les adultes occupent leur place », « jouer à être toujours des adolescents » : c’est une forme de « marginalisation » des jeunes qui augmente leur tendance à s’isoler.
Du bon usage de l’austérité
Enfin, face à une société “consumériste”, le pape a invité à redécouvrir les vertus de “l’austérité”, un « principe spirituel important et sous-évalué ».
Car, « éduquer à l’austérité  est une richesse incomparable » a déclaré le pape : « elle réveille l’ingéniosité et la créativité, elle engendre des possibilités pour l’imagination et elle ouvre spécialement au travail en équipe, en solidarité. Elle ouvre aux autres. »
C’est, a insisté le pape, “une façon de se rencontrer, de jeter des ponts, d’ouvrir des espaces, de croître avec les autres et pour les autres » : « Seul celui qui sait être austère peut le faire. »
Le pape a conclu en citant un passage d’Amoris laetitia où il est dit notamment: « On ne vit pas ensemble pour être toujours moins heureux mais pour être heureux d’une façon nouvelle. » Et il a invité à vivre l’éducation des enfants « comme un appel du Seigneur à faire de ce passage, en famille, un passage de croissance, pour apprendre à mieux savourer la vie qu’il nous donne ».

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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