Amen !
Pour la quatrième fois, l’assemblée se fait entendre. Deux interventions étaient communes au prêtre et à l’assemblée : le Sanctus et l’anamnèse. L’Amen final, au contraire, est une réponse à l’invitation du prêtre, comme dans le dialogue qui précède la préface.
Certes, la réponse est brève : deux syllabes. Il est bon que le chant l’amplifie et la fasse résonner. Mais elle perdrait de sa force si elle était simplement la conclusion de la phrase précédente.
Elévation
Pendant que le prêtre dit ou chante la doxologie, il élève le calice et la patène. S’il est assisté d’un diacre, il remet le calice au diacre. Cette élévation était appelée autrefois « petite », parce que le geste est moins ample que celui qui suit la consécration. Mais sa signification est nettement plus importante. Elle est d’ailleurs bien plus ancienne : on en trouve mention à Orléans au IVe siècle.
Après la consécration, la double élévation est, pourrait-on dire, fonctionnelle : l’assemblée veut voir le pain consacré et le calice pour adorer la Présence réelle du Seigneur. C’est une ostension. Le destinataire est l’assemblée. L’élévation qui accompagne la doxologie est une offrande. C’est Dieu qui est le destinataire. Le prêtre célébrant le plus souvent face à l’assemblée, il est particulièrement inutile d’exagérer le geste.
L’assemblée peut s’associer au geste du prêtre, comme cela se fait ici ou là. « Offrir » est le propre du sacerdoce. Tourner les mains vers le ciel est une manière de gestuer le sacerdoce commun des fidèles et de s’associer au sacerdoce du ministre de l’Eucharistie.
Avec lui, avec nous
La doxologie commence en désignant clairement le Christ. « Par lui », puisqu’il est l’unique médiateur. « En lui », comme saint Paul et saint Jean le disent très souvent : « Vous êtes vivants pour Dieu en Jésus Christ », « hors de moi vous ne pouvez rien faire ». Ces deux prépositions vont de soi dans la foi chrétienne.
La deuxième est plus originale : « avec lui ». En célébrant l’Eucharistie, chaque fidèle et l’assemblée entière est entraînée, aspirée par et dans l’offrande du Christ. Nous sommes avec lui et il est avec nous pour rendre grâce au Père. « Dieu qui nous a créés sans nous ne nous sauvera pas malgré nous » : la parole de saint Augustin s’applique éminemment et positivement à l’Eucharistie.
Dans la Prière III comme dans les autres, alternent les termes d’action de grâce, d’eucharistie, de bénédiction, de louange, d’une part ; d’offrande et de sacrifice, d’autre part. Il n’y a pas à choisir : c’est en offrant sa vie que le Fils rend gloire à son Père. « Tu ne voulais ni holocauste ni victime ; alors j’ai dit : « Voici, je viens ». » « Je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jean 17, 4), dit Jésus en anticipant de quelques heures sur sa Passion.
Il sait que son Père le glorifiera en retour – c’est la Résurrection – et cette gloire s’étendra à tous ceux que le Père lui a « donnés » (Jean 17, 24). Je veux que « là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jean 14, 3). L’autre nom de Jésus n’est-il pas l’Emmanuel, « Dieu avec nous » ? « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » sont ses dernières paroles dans l’évangile selon saint Matthieu.
S’unir de cœur, et peut-être par le geste, à l’offrande du Christ nous prépare à répondre l’Amen qui est le sommet de la Prière eucharistique.
Deux syllabes de poids !
Avec Alleluia et Hosanna, Amen est un des mots que nous avons reçus d’Israël. De même qu’un peu de grec (Kyrie) et un peu de latin (Sanctus) donnent la dimension de l’universel, un peu d’hébreu empêche d’oublier nos racines : « En toi, toutes nos sources » (Psaume 86-87, 4).
Mieux vaut ne pas chercher à traduire les deux syllabes de l’Amen. Jadis, les prières se terminaient en disant : « Ainsi soit-il ! » C’était la transposition en français de la traduction de l’hébreu au grec. Telle était la réponse de la Vierge à l’ange Gabriel : « Qu’il m’advienne selon ta parole. »
Mais cette traduction ne convient pas dans tous les cas. Très souvent, Jésus introduit un enseignement par ces mots : « Amen, amen, je vous le dis… » Il s’engage totalement dans sa parole. Elle est solide. On peut y croire. Les gens faisaient la différence avec les scribes : Jésus, lui, parlait avec « autorité ». « On vous a dit ; moi, je vous dis … » « Amen » est même un des noms de Jésus dans l’Apocalypse (3, 14).
Parce que c’est solide, parce que c’est vrai, parce que je peux faire confiance, j’adhère du fond du cœur ; j’engage toute ma liberté. Quand le prêtre présente l’hostie au fidèle pour la communion, celui-ci répond « Amen » : il professe sa foi en la présence du Christ et sa décision de communier au Christ, mort et ressuscité pour le salut du monde. La communion n’est pas une récompense mais un engagement.
L’Amen qui conclut la Prière eucharistique a le même sens. Sa force, sa solennité vient de ce qu’il est prononcé par toute l’assemblée. Rien n’interdit d’ailleurs au prêtre de s’y joindre, comme les fidèles ont pu se joindre à son geste d’offrande lors de l’élévation qui précède. Le prêtre, lui aussi, est un « fidèle du Christ ».
« Le Fils de Dieu, le Christ Jésus, n’a pas été « oui » et « non » ; il n’a été que « oui ». Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur « oui » dans sa personne. Aussi est-ce par le Christ que nous disons à Dieu notre « Amen », notre « oui », pour sa gloire » (2 Corinthiens 1, 19-21).
Ces phrases de saint Paul ne sont-elles pas la meilleure conclusion de ce long parcours à travers la Prière eucharistique ?