« L’inquiétude de l’amour pousse toujours à aller à la rencontre de l’autre, sans attendre que l’autre manifeste son besoin », souligne le pape François.
Le pape a célébré la messe d’ouverture du 184e Chapitre général de l’Ordre de Saint-Augustin, hier, 28 août 2013, pour la fête de saint Augustin, en la basilique de Rome dédiée au saint évêque d’Hippone (cf. Zenit du 27 août 2013).
Au cours de son homélie, il a exhorté à ne pas être des chrétiens « endormis » mais à garder « l’inquiétude spirituelle de la recherche de la vérité, de la recherche de Dieu » et « l’inquiétude de l’amour » qui recherche « toujours, sans répit, le bien de l’autre, de la personne aimée ».
La messe, privée mais retransmise par les médias du Vatican, s’est déroulée dans une atmosphère de simplicité et de recueillement, avec les membres de l’Ordre, hommes et femmes. Au terme de la célébration, le pape est allé se recueillir devant les reliques de sainte Monique, dans une chapelle de la basilique.
Un lieu où le pape venait régulièrement lorsqu’il était cardinal : « sainte Monique se sera peut-être fatiguée de mes prières, car je suis souvent entré dans cette église pour prier sur sa tombe, parce qu’il y a tant de familles qui en ont besoin dans le monde actuel en crise. »
A l’exemple de sainte Monique, le pape François a encouragé les parents qui « versent des larmes pour que leur enfant retourne au Christ » à « ne pas perdre l’espérance dans la grâce de Dieu ».
Homélie du pape François :
« Tu nous as fait pour Toi et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi » (Les Confessions, I,1,1). Dans ces paroles, devenues célèbres, avec lesquelles saint Augustin d’adresse à Dieu dans les Confessions, est exprimée la synthèse de toute sa vie.
« Sans repos / Inquiétude ». Cette parole me touche et me fait réfléchir. Je voudrais partir d’une question : quelle inquiétude fondamentale Augustin vit-il dans sa vie ? Ou peut-être devrait-je dire: quelles inquiétudes est-ce que ce grand homme et saint nous invite à susciter et à maintenir vives dans notre vie ? J’en propose trois : l’inquiétude de la recherche spirituelle, l’inquiétude de la rencontre avec Dieu, l’inquiétude de l’amour.
1. La première : l’inquiétude de la recherche spirituelle. Augustin vit une expérience assez commune aujourd’hui : assez commune parmi les jeunes d’aujourd’hui. Il est éduqué par sa mère Monique dans la foi chrétienne, même s’il ne reçoit pas le baptême, mais en grandissant il s’en éloigne, il ne trouve pas en elle la réponse à ses questions, aux désirs de son coeur, et il est attiré par d’autres propositions. Il entre alors dans le groupe des manichéens, il se dévoue avec implication à ses études, il ne renonce pas aux distractions insouciantes, aux spectacles de l’époque, aux amitiés intenses, il connait l’amour intense et entreprend une brillante carrière de professeur de rhétorique qui le conduit jusqu’à la cour impériale de Milan. Augustin est un homme « arrivé », il a tout, mais dans son cœur demeure l’inquiétude de la recherche du sens profond de la vie; son cœur n’est pas endormi, je dirais qu’il n’est pas anesthésié par le succès, par les biens, par le pouvoir. Augustin ne se ferme pas sur lui-même, il ne se repose pas, il continue à chercher la vérité, le sens de la vie, il continue à chercher le visage de Dieu. Certes il commet des erreurs, il prend aussi des voies erronées, il pèche, c’est un pécheur; mais il ne perd pas l’inquiétude de la recherche spirituelle. Et de cette façon il découvre que Dieu l’attendait, ou plutôt, qu’il n’avait jamais cessé de le chercher en premier. Je voudrais dire à celui qui se sent indifférent envers Dieu, envers la foi, à qui est éloigné de Dieu ou l’a abandonné, et à nous aussi, avec nos « éloignements » et nos « abandons » envers Dieu, petits, peut-être, mais qui sont si nombreux dans la vie quotidienne : regarde au plus profond de ton cœur, regarde à l’intime de toi-même, et demande-toi: as-tu un cœur qui désire quelque chose de grand ou un cœur endormi par les choses ? Ton cœur a-t-il conservé l’inquiétude de la recherche ou l’as-tu laissé étouffer par les choses, qui finissent par l’atrophier ? Dieu t’attend, te cherche : qu’est-ce que tu lui réponds ? Es-tu attentif à la situation de ton âme ? Ou bien est-ce que tu dors ? Est-ce que tu crois que Dieu t’attend ou bien pour toi cette vérité n’est-elle que « des mots »?
2. En Augustin c’est cette inquiétude du cœur qui le porte à la rencontre personnelle avec le Christ, qui le pousse à comprendre que ce Dieu qu’il cherchait loin de lui-même, est le Dieu proche de tout être humain, le Dieu proche de notre cœur, plus intime à nous que nous-mêmes (cf. ibid., III,6,11). Mais même dans la découverte et dans la rencontre avec Dieu, Augustin ne s’arrête pas, ne se repose pas, ne se referme pas sur lui-même comme celui qui est déjà arrivé, mais il poursuit le chemin. L’inquiétude de la recherche de la vérité, de la recherche de Dieu, devient l’inquiétude de le connaître toujours plus et de sortir de lui-même pour le faire connaître aux autres. C’est justement l’inquiétude de l’amour. Il voudrait une vie tranquille d’étude et de prière, mais Dieu l’appelle à être Pasteur à Hippone, dans un moment difficile, avec une communauté divisée et la guerre aux portes. Et Augustin se laisse inquiéter par Dieu, il ne se lasse pas de l’annoncer, d’évangéliser avec courage, sans crainte, il cherche à être l’image de Jésus Bon Pasteur qui connaît ses brebis (cf. Jn 10,14), ou encore, comme j’aime le redire, qui « sent l’odeur de son troupeau », et sort pour chercher celles qui sont égarées. Augustin vit ce que saint Paul indique à Timothée et à chacun de nous : « proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, mais avec une grande patience et avec le souci d’instruire » (cf. 2 Tm 4,2) comme Pasteur inquiet pour ses brebis. Le trésor d’Augustin est justement cette attitude : sortir toujours vers Dieu, sortir toujours vers le troupeau… C’est un homme en tension, entre ces deux sorties ; ne pas « privatiser » l’amour… toujours en chemin ! Toujours en chemin. Toujours inquiet ! C’est la paix de l’inquiétude. Nous pouvons nous demander : suis-je inquiet pour Dieu, pour l’annoncer, pour le faire connaître ? Ou est-ce que je me laisse séduire par cette mondanité spirituelle qui pousse à faire tout par amour de soi-même ? Nous consacrés pensons aux intérêts personnels, au fonctionnalisme des oeuvres, au carriérisme. Tant de choses auxquels nous pouvons penser… Je me suis pour ainsi dire « assis » dans ma vie chrétienne, dans ma vie sacerdotale, dans ma vie religieuse, dans ma vie de communauté, ou bien est-ce que je garde la force de l’inquiétude pour Dieu, pour sa Parole, qui me porte à « aller à l’extérieur », vers les autres ?
3. Nous en venons à la dernière inquiétude, l’inquiétude de l’amour. Ici je ne peux pas ne pas m’arrêter sur la maman : cette Monique ! Que de larmes a versé cette sainte femme pour la conversion de son fils ! Et combien de mamans encore aujourd’hui versent des larmes pour que leurs enfants retournent au Christ ! Ne perdez pas l’espérance dans la grâce de Dieu ! Dans les Confessions nous lisons cette phrase qu’un évêque dit à sainte Monique qui lui demandait d’aider son fils à retrouver le chemin de la foi : « Il n’est pas possible qu’un fils de tant de larmes périsse » (III,12,21). Augustin, après la conversion, écrit en s’adressant à Dieu : « par amour pour moi ma mère pleurait devant toi, toute fidèle, versant plu
s de larmes que n’en versent les mères à la morte physique de leurs enfants » (ibid., III,11,19). Femme inquiète, cette femme, qui, à la fin, dit cette belle parole : cumulatius hoc mihi Deus praestitit! [mon Dieu m’a largement comblée] (ibid., IX,10,26). Celui pour lequel elle pleurait, Dieu le lui avait donné abondamment ! Et Augustin est héritier de Monique, d’elle il reçoit la graine de l’inquiétude. Voici l’inquiétude de l’amour : chercher toujours, sans répit, le bien de l’autre, de la personne aimée, avec cette intensité qui porte aussi aux larmes. Me viennent à l’esprit Jésus qui pleure devant le sépulcre de son ami Lazare, Pierre qui, après avoir renié Jésus croise son regard riche de miséricorde et d’amour et pleure amèrement, le Père qui attend sur la terrasse le retour de son fils et court à sa rencontre alors qu’il est encore loin ; me vient à l’esprit la Vierge Marie qui suit son Fils Jésus jusqu’à la croix, avec amour. Comment sommes-nous par rapport à l’inquiétude de l’amour ? Croyons-nous à l’amour envers Dieu et envers les autres ? Ou sommes-nous nominalistes à ce sujet ? Non pas de façon abstraite, non seulement en paroles, mais le frère concret que nous rencontrons, le frère qui est à côté de nous ! Est-ce que nous nous laissons inquiéter par leurs nécessités ou bien nous restons fermés en nous-mêmes, dans nos communautés, qui souvent sont pour nous « communauté-confort »? On peut parfois vivre dans une copropriété sans connaître celui qui vit à côté de soi; ou on peut être en communauté, sans connaître vraiment son confrère : je pense avec douleur aux consacrés qui ne sont pas féconds, qui sont « vieux garçons ». L’inquiétude de l’amour pousse toujours à aller à la rencontre de l’autre, sans attendre que l’autre manifeste son besoin. L’inquiétude de l’amour nous offre le don de la fécondité pastorale, et nous devons nous demander, chacun de nous : comment va ma fécondité spirituelle, ma fécondité pastorale?
Demandons au Seigneur pour vous, chers augustiniens, qui commencez votre chapitre général, et pour nous tous, qu’il garde dans notre coeur l’inquiétude spirituelle de toujours le recherche, l’inquiétude de l’annoncer avec courage, l’inquiétude de l’amour envers tout frères et soeur. Ainsi soit-il.
Traduction de Zenit, Anne Kurian