L'autre "encyclique" du pape François

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Discours aux évêques d’Amérique latine

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Dans son discours à ses « frères » de l’épiscopat latino-américain, le 28 juillet, à Rio de Janeiro, le pape Françoisa appelé à une réforme en profondeur de l’Église universelle, à partir du cœur des chrétiens. Un exposé dense et structuré, pour la mise en oeuvre du document d’Aparecida, où d’aucuns ont vu comem une autre encyclique du appe François (cf. Zenit du 28 juillet 2013, http://www.zenit.org/fr/articles/les-tentations-auxquelles-les-eveques-doivent-resister). Carmine Tabarro développe ce thème.

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Voir l’histoire avec les yeux de la foi est vraiment quelque chose d’unique. Quand Benoît XVI a convoqué, il y a trois ans, les Journées mondiales de la jeunesse au Brésil, seul l’Esprit-Saint pouvait imaginer que celles-ci auraient coïncidé avec le premier voyage du premier pape latino-américain sur son continent.

On ne pouvait pas non plus prévoir que ce pape venu « du bout du monde » rassemblerait plus de 3 millions de jeunes originaires de 178 pays, qu’il visiterait une favela, qu’il se laisserait « embrasser » par la population, qu’il apporterait de la tendresse aux anciens drogués et aux détenus, qu’il verrait la présence de 1.500 évêques et 60 cardinaux. Le Seigneur a fait de nous les témoins et les spectateurs de ces merveilles, en particulier grâce aux anciens et aux nouveaux médias.

Parmi tous ces événements, celui qui a été le moins souligné par les moyens de communication a été la rencontre avec les évêques responsables du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) à l’occasion de la réunion générale de coordination  au Centre d’études de Sumaré, à Rio de Janeiro, le 28 juillet. Le pape a parlé à 45 évêques du Comité de coordination du CELAM, mais son discours concernait l’Église universelle.

Ce qui a émergé des paroles du pape François, c’est qu’il veut une Église synodale. On en avait eu une preuve dès les premiers jours après son élection, lorsqu’il avait salué les évêques des « Églises particulières » en tant qu’évêque de Rome, envoyé dans les diocèses d’autres évêques, et non en tant que « Chef » de l’Église.

De la même manière, les 27 et 28 juillet, lorsqu’il s’est adressé à ses « frères » évêques du Brésil, il ne l’a pas tant fait sur le modeex cattedra que de manière synodale, en invitant au dialogue à travers une série de questions et de propositions, et en écoutant les témoignages des évêques.

Cette « forme » d’Église, le pape François la reprend du concile Vatican II, plus spécifiquement de la Constitution Lumen gentium qui affirme que le pape est « primus inter pares », le premier parmi les autres à prendre place dans un collège épiscopal auquel revient la tâche du gouvernement de l’Église. Il ne décide donc pas tout seul, de manière arbitraire ou monarchique.

Ce changement est la maîtresse poutre fondamentale de l’ecclésiologie du pape François. Le Saint-Père a commencé son discours au CELAM en mettant au centre la conférence d’Aparecida (2007). Le pape a rappelé le mode original selon lequel l’Amérique latine a incarné le concile Vatican II et a parlé de « juger », « agir » et « voir ».

En réfléchissant à sa mission continentale, qui fut le grand engagement de l’Église latino-américaine et des Caraïbes en 2007, le pape est revenu sur l’importance d’un « changement des structures, de caduques à nouvelles » qui, a-t-il souligné, « n’est pas le fruit d’une étude sur l’organisation ecclésiastique fonctionnelle», mais qui dépend du « cœur des chrétiens », précisément de la « dimension missionnaire ».

Ce que le pape demande à l’Église, c’est de convertir en clé missionnaire les activités habituelles des Églises et que toute réforme des structures ecclésiales soit « la conséquence de la dynamique de la mission ». C’est pour cette raison qu’il a demandé à ses confrères : « Faisons-nous en sorte que notre travail et celui de nos prêtres soit plus pastoral qu’administratif ? Qui est le principal bénéficiaire du travail ecclésial, l’Église comme organisation ou le Peuple de Dieu dans sa totalité ? » Et encore : « Rendons-nous participants de la mission les fidèles laïcs ? », « Le discernement pastoral est-il un critère habituel, en nous servant des Conseils diocésains ? Ces Conseils et les Conseils paroissiaux de la pastorale et des affaires économiques sont-ils des lieux réels pour la participation des laïcs dans la consultation, l’organisation et la planification pastorales ? ».

Dans cette optique de renouvellement, le pape pose des questions précises sur les laïcs et sur le mode dont les évêques et les prêtres donnent « la liberté pour qu’ils discernent, conformément à leur chemin de disciples, la mission que le Seigneur leur confie ». Il le fait en mettant le doigt dans la plaie de ce qui retarde encore la réalisation d’un plein engagement des laïcs et le fonctionnement des conseils pastoraux diocésains, c’est-à-dire une certaine dérive cléricale qui en a conduit beaucoup à privilégier les dogmes et les directives plutôt que la proximité avec les personnes et la compréhension de leurs efforts.

Le thème suivant, abordé par le pape, concerne en revanche le rapport au monde. Bergoglio cite Vatican II pour expliquer les fondements du dialogue avec la société contemporaine. « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ », a-t-il affirmé.

Il faut faire attention, a-t-il poursuivi, aux nouveaux langages, aux « scénarios et aux aréopages les plus divers ». « Si nous restons seulement dans les paramètres de « la culture de toujours », le résultat sera finalement d’annuler la force de l’Esprit Saint. Dieu est partout : il faut savoir le découvrir pour pouvoir l’annoncer dans l’idiome de chaque culture ; et chaque réalité, chaque langue, a un rythme propre ».

Le pape touche encore un autre point, à propos des certaines « tentations » qui guettent les missionnaires. La première est « l’idéologisation du message évangélique » qui tombe dans une sorte de « prétention interprétative » fondée sur les sciences sociales, qui recouvre les champs les plus divers, « du libéralisme de marché aux catégories marxistes ». Il y a ensuite l’idéologisation « psychologique », une tentation élitiste basée surtout sur les retraites spirituelles, qui finissent par aboutir à « une attitude immanente et autoréférentielle ». Et aussi la « proposition gnostique » de groupes et d’élites de « catholiques des Lumières » qui prétendent à une « spiritualité supérieure, désincarnée de l’histoire », et enfin la « proposition pélagienne » qui apparaît « sous forme de restauration ».

N’hésitant pas à utiliser le terme de « séduction » ou de « ruse évangélique », le pape François propose au contraire une Église plus « pastorale » qui sache accueillir avant de juger. Dans ces paroles, transparaît la vision ignatienne du cheminement aux côtés des personnes à partir de la situation dans laquelle elles se trouvent, et non à partir d’une morale établie a priori.

Deux autres tentations soulignées par le Saint-Père sont le « fonctionnalisme », c’est-à-dire une conception « qui ne tolère pas le mystère » mais qui « va à l’efficacité » en réduisant « la réalité de l’Église à une ONG ». Pour le pape François, en effet, beaucoup de fidèles ont laissé l’Église parce que « elle n’a pas su les rejoindre là où ils étaient ». Ensuite, le « cléricalisme », une « complicité pécheresse » où « le curé cléricalise et le laïc est di
sposé à se laisser cléricaliser ». Le phénomène du cléricalisme, observe-t-il, est en grande partie alimenté par le « manque de maturité et de liberté chrétienne » de la part des laïcs.

« Ou bien le laïc ne grandit pas, dit-il, ou bien il se blottit sous les couvertures des idéologisations, dont nous avons parlé, ou dans des appartenances partielles et limitées. Il existe, dans nos régions, une forme de liberté des laïcs à travers des expériences de peuple : le catholique comme peuple ».

Le pape a donc exhorté à s’engager dans l’aujourd’hui en gardant le passé en mémoire et l’avenir comme une promesse, mais en sachant que l’invitation faite au disciple est de s’engager dans la réalité quotidienne. « Le disciple, dit-il, vit en tension vers les périphéries… y compris celles de l’éternité dans la rencontre avec Jésus Christ ». Dans l’annonce évangélique, habituellement, nous avons peur de sortir du centre ; le missionnaire, au contraire, est un « décentré » envoyé par le Christ, « ce n’est pas une personne isolée dans une spiritualité intimiste, mais une personne en communauté pour se donner aux autres ».

Enfin, après avoir mis en garde contre la « projection utopique » dans l’avenir et par celle « de la restauration » dans le passé, le pape explique que « Dieu est réel et se manifeste dans l’aujourd’hui ». Quand l’Église s’érige en « centre », elle prétend avoir sa propre lumière, elle devient plus autoréférentielle et de « servante » elle se transforme en « contrôleur ». Il existe, souligne le pape François, des pastorales « lointaines » qui « privilégient les principes, les conduites, les procédures organisationnelles » sans aucune « proximité, tendresse, caresse ». C’est pourquoi il invite à nouveau les évêques à être « des pasteurs proches du peuple », patients et miséricordieux. Les évêques, conclut-il, « doivent aimer la pauvreté, même la pauvreté extérieure », la « simplicité et l’austérité de vie », sans avoir une « psychologie de princes » et sans être « ambitieux ».

Traduction Hélène Ginabat

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Carmine Tabarro

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