Le pape François a frappé à la porte de notre cœur et il est entré en douceur. Serein et avec les fenêtres toujours ouvertes, il s’est fait pèlerin. Et le peuple « carioca » (de Rio) l’a aimé avec passion. Et François le leur a rendu avec le sourire qui naît dans le cœur du Christ Rédempteur. Quels sont les fruits à cueillir ? L’espérance, sous ses huit facettes évangéliques, née de l’amour de Dieu et transmise de manière viscérale par ce cher argentin. L’avenir exigera de réhabiliter la politique, dans la foi et l’espérance. De là la demande et l’impératif catégorique du pape aux jeunes, lors de la messe de clôture à Copacabana : « Chers jeunes, de retour chez vous, n’ayez pas peur d’être généreux avec le Christ, de témoigner de son Evangile. » Les bonheurs de François sont les béatitudes mêmes de Jésus et ils promeuvent la culture de la rencontre et du dialogue.
Le premier bonheur vital du pape : « Heureux les pauvres en esprit : le Royaume des cieux est à eux. »Mt 5,3. Les pauvres de la communauté de Varginha furent les interlocuteurs de la rencontre de François avec le peuple brésilien. Il entra dans une maison, embrassa et reçut des baisers, pria avec les évangéliques, toucha et fut touché. Il reçut la bannière de la Pastorale de la Jeunesse et l’anneau de tucum. Il omit de faire l’éloge des Communautés de base et de la Théologie de l’Amérique Latine. Le peuple fut enchanté par le style de Jorge Mario Bergoglio, car il a vu en lui le compère fidèle de luttes et utopies. Ce n’était plus un étranger, mais l’ami de cœur, le camarade. Il se fit « pape cyrénéen » qui aide dans le combat pour vivre en affrontant les croix de l’injustice.
Le second bonheur du successeur de Pierre : «Heureux les doux : ils recevront la terre en héritage. » Mt 5,4. Les doux sont ceux qui ne le sont pas par tempérament, mais par la dure nécessité de leur condition sociale et politique. La tendresse en embrassant tant de petits enfants dans les rue de Rio est arrivée à son comble avec cet enfant de 12 ans qui, en pleurs, l’embrasse plein de bonheur cordial. Les doux s’exercent à la douceur et se reconnaissent. Des doux remplis de la candeur des enfants. Et cela peut être le chemin d’une politique nouvelle : « écouter le peuple, dialoguer avec tous, respecter les différences » avec sérénité et douceur, donnant priorité aux enfants, aux personnes âgées et aux jeunes.
Le troisième bonheur de Jorge Mario Bergoglio : « Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés » Mt 5,5. Celui qui souffre et subit l’injustice, celui qui perd l’espérance. En écoutant le pape au Chemin de Croix, sur la plage de Copacabana, il nous semblait entendre l’aria « Une larme furtive », dernier acte de l’Opéra « L’élixir de l’amour » de Gaetano Donizetti, quand il chante : « Une larme furtive jaillit de ses yeux. Des jeunes en fête semblent l’envier. Ce que je dois chercher le plus. Il m’aime : je le vois ! Un seul instant et je peux sentir le battement de son cœur. Ses soupirs se mêlent aux miens. Ô cieux, je peux mourir, mais je ne le demande pas. » Le pape a dit qu’il y avait un lien mystérieux entre la Croix de Jésus et la croix des jeunes. Jésus sur sa croix porte toutes nos peurs les plus profondes et nos pleurs les plus fous !
Le quatrième bonheur de François : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice : ils seront rassasiés. » Mt 5,6. Avoir faim et soif de justice est l’attitude de qui est un élu de Dieu. Avoir faim de justice est une part fondamentale de la foi biblique. Le pape n’est pas venu pour nous nous endormir avec des discours mielleux et lénifiants. Il est venu déranger les élites et les groupes qui oppriment le peuple. Il est venu proposer aux jeunes de marcher joyeux et rebelles sur la route de la justice. Qu’ils fassent du bruit et ébranlent les structures obsolètes de la société et des Eglises. En fin de compte, le sens éthique est un défi sans précédents, a dit François. Le pape fut vaillant et veut des chrétiens vaillants et sans arrogance. Lutteurs et prophètes, avec l’histoire en mémoire, les pieds sur terre et des projets de transformation. Organisés, car « quand nous affrontons ensemble les défis, alors nous sommes forts, nous découvrons des ressources que nous ignorions posséder. »
Le cinquième bonheur de l’évêque de Rome : « Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde » Mt 5,7 Voilà le bonheur central de la vie et du programme de l’évêque François, car il sait que celui qui a de la compassion, assume l’autre comme un frère en vérité. La miséricorde est fille de Dieu. Et l’amour miséricordieux n’est ni rachitique, ni éphémère. C’est un amour abondant, généreux, fort, heureux, plein et débordant. Dieu donne Dieu. Comme le dit la belle mélodie du Pe Zezinho : « Par un morceau de pain et un tout petit peu de vin, Dieu est devenu repas et s’est fait le chemin. » François a demandé, exigé, convoqué évêques et prêtres à sortir des sacristies, à aller vers les périphéries, pour s’imprégner de l’odeur des brebis et du peuple de Dieu.
Le sixième bonheur du pape argentin : « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. » Mt 5,8. La propreté et pureté de cœur, c’est le cœur sincère. François a parlé à la Présidente de la République, aux indigènes, au préfet de Rio, à l’élite, aux millions dans les rues. Aux trois millions de jeunes de la Journée et aux milliers d’évêques, de prêtres et de religieux dans la Cathédrale. Ce ne fut pas une opération de marketing, ni de théologie de la prospérité. Il n’a pas proposé de prosélytisme et encore moins de confrontation avec les frères évangéliques. Il a présenté l’Evangile du Christ comme témoignage personnel et qualitatif d’un chrétien et pasteur engagé pour la foi et dans la foi. François a voulu être en vérité plutôt que de s’affirmer maître et possesseur exclusif des trésors de la révélation.
Le septième bonheur du fils d’immigrés : « Heureux ceux qui agissent pour la paix : ils seront appelés fils de Dieu » Mt 5,9. Le pape François n’a pas proclamé une paix couarde ou une absence de conflits. Il n’a pas prié pour une paix de cimetière ou pour la religion couarde et résignée de servilité ou de prières fondamentalistes. Il a proposé une paix inquiète, rebelle, créative, pleine de rêves. Une paix où la personne humaine est la méthode, la clé et le but. La dignité humaine comme critère divin : la gloire de Dieu, c’est que le pauvre ait la vie ! A chaque instant de cette semaine au Brésil, il a crié contre la corruption des élites et des institutions, il a clamé en faveur d’ une juste distribution des richesses en ce monde. Et il a dit au clergé brésilien : ayez le courage d’aller contre ce courant qui transforme les personnes en objets jetables. L’idolâtrie est un fruit de l’injustice sociale et un signe maudit qui refuse la vie au peuple noir, aux habitants des périphéries, aux paysans, femmes, vieillards et enfants. .
Le huitième bonheur du dévot de Marie : « Heureux les persécutés à cause de la justice : le Royaume des Cieux est à eux. » Mt 5,10. Au cours de sa première visite internationale, il nous a fait nous souvenir de la vigueur prophétique de Dom Helder Câmara et de l’amour préférentiel de Luciano Mendes de Almeida. Aujourd’hui le pape François fortifie la foi de qui s’est trouvé au côté des appauvris, au côté du Christ crucifié par le régime dictatorial. Il a parlé de l’audace évangélique. Il a célébré la vie de ceux qui ont donné leur vie : des vies pour la vie. Il a manqué de rappeler la remise de soi de tant de martyrs
de notre Eglise Latino-américaine, tels Dom Oscar Arnulfo Romero y Gadamez, Frei Tito Alencar Lima, Père Henrique Pereira Neto, Sœur Dorothy Stang, Santo Dias da Silva et ce jeune torturé Alexandre Vannuchi Leme, parmi les centaines qui ont livré leur vie pour les pauvres. Il nous faudra vivre obéïssants dans l’amour et la fidélité sans oublier leurs témoignages. L’amour vrai est la mémoire célébrée du sang versé, comme le Christ sur la croix.
Sainte Thérèse de Lisieux – le pape avait emporté un livre sur elle dans sa sacoche moire – écrivait à sa sœur Léonie : « L’unique bonheur sur la terre est de s’appliquer à trouver délicieuse la part que Jésus nous donne » (12.08.1897). Le pape François a ouvert notre immense appétit pour déguster les « régals » délicieux de Dieu. En touchant notre chair, notre peau, notre vie, notre plage, il a ému notre cœur. En marchant dans les rues au milieu de l’hiver glacial, il a réchauffé notre espérance. Plus jamais le Brésil ne sera le même. Les chrétiens ont pu déguster un savoureux apéritif de la foi. Faisons maintenant notre « feijoada » ( = plat typique brésilien, espèce de cassoulet). Les ingrédients, nous les avons déjà. Il suffit d’allumer le feu sous la marmite et mettre à tremper les haricots pour que personne n’en soit exclus ! Plus personne en dehors de la vie publique ! Personne hors de la table de la citoyenneté ! Chacun fait advenir la foi libre et libératrice, à la manière franciscaine et avec l’accent carioca. Nous avons entendu un appel brûlant : suivre Jésus. De manière convaincue et passionnée ! Le cœur du message du pape : sortir du centre pour la marge, brisant les cocons, pour élever notre vol de pèlerin sans crainte, enveloppé dans le mystère de Dieu. Comme chantait le poème musical de Ednardo : « Paon mystérieux/Bel oiseau/ Tout est mystère/ Dans ton vol/ … Ah ! Si je courais ainsi/ A travers tant de cieux ainsi/ Beaucoup d’histoire j’aurais à raconter… »
Va avec Dieu, pape François, fais attention ! Reviens vite, car nous sentirons bien des « saudades » de toi, « mon frère Chico ». Tu es un bon sang ! Pour le moment, à nous revoir à Cracovie, en 2016.
Prof. Dr Fernando Altemeyer Junior
Départ. Science de la Religion – Université Pontificale Catholique de Sao Paolo