Du mariage pour tous à la GPA pour tous, en passant par l'Europe

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Les enjeux européens de la mobilisation française

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Grégor Puppinck,, docteur en droit, directeur du European Centre for Law and Justice (Strasbourg), explique dans un entretien vidéo Mariage pour tous – Adoption – PMA – GPA : l’effet domino via l’Europe  (http://www.youtube.com/watch?v=E5pqBo-WFzg) que le vote de la loi sur le « mariage pour tous » ouvre aux couples de même sexe l’accès à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et la Gestation Pour Autrui (GPA ou Mères porteuses). Explications.

G. Puppinck – Il faut bien comprendre que l’adoption, la PMA et la GPA, c’est-à-dire les mères porteuses, suivent inévitablement le simple vote du mariage. Il est vain de dire « j’accepte le mariage pour tous, mais pas le reste ». C’est tout ou rien : en raison de la Cour européenne des droits de l’homme, dès lors que l’on ouvre le mariage aux couples de même sexe, c’est une cascade, un effet domino : le droit au mariage entraine le droit à l’adoption et le droit à la PMA, lequel entraine à son tour le droit à la GPA.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est la plus haute instance judiciaire européenne ; ses décisions s’imposent sur les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, de l’Islande à l’Azerbaïdjan. Il n’y a pas de pouvoir humain au dessus d’elle ; elle peut censurer des lois adoptées par referendum, elle peut condamner des Etats à changer même leur constitution.

Comment la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) définit-elle le mariage ?

Pour les instances internationales, dont la CEDH, le mariage n’a pas vraiment une définition substantielle qui s’imposerait aux Etats. Il est simplement un cadre juridique proposé aux couples par la société pour qu’ils puissent fonder une famille dans des conditions optimales, c’est-à-dire qu’il présente avant tout un aspect formel : il confère un statut. L’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit seulement à « l’homme et à la femme », « à partir de l’âge nubile », « le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Ainsi, les couples de même sexe ou/et n’ayant pas l’âge nubile n’ont pas de droit garanti au mariage par la Convention ; mais la Cour a précisé que cela n’excluait pas – et ce point est crucial – que ce droit puisse être conféré par la législation nationale à d’autres « configurations », comme aux binômes de même sexe ; on pourrait même déduire de cette logqiue que le mariage pourrait être ouvertaux jeunes mineurs, aux groupes de plus de deux personnes.

Et dans ce cas – deuxième point crucial –, la CEDH considère que le pays concerné doit en tirer alors toutes les conséquences…

Quelles conséquences ?

En application du principe d’égalité, la CEDH considère que les effets du mariage doivent être les mêmes pour toutes les personnes mariées : un Etat peut poser des conditions pour accéder au mariage ; il peut « discriminer » à l’entrée dans le mariage, mais une fois que les personnes sont mariées, elles doivent toutes, sans discrimination selon la composition sexuelle de leur couple, bénéficier des mêmes droits, facultés et obligations conférés par le statut du mariage dans le droit national. Ainsi, en France, si le mariage homosexuel devait être adopté, les couples homosexuels pourront, dans les mêmes conditions que les couples mariés hétérosexuels, prétendre à l’adoption et à la PMA. Cela étant, il est important de conserver à l’esprit qu’en France l’accès à la PMA vise uniquement à pallier les cas de stérilité et d’infertilité pathologique. Or, puisque la stérilité des binômes homosexuels n’est pas due à une pathologie physique, il serait possible, sur cette base, de justifier objectivement le non-accès des binômes homosexuels à la PMA Mais cet argument est fragile car il ne correspond plus à la mentalité dominante fascinée par l’utilisation des biotechnologies comme moyen d’accroître la liberté et l’égalité des individus, de satisfaire leurs désirs, et non plus seulement de soigner. La majorité actuelle des juges de Strasbourg a déjà intégré les biotechnologies comme instrument de réalisation des droits de l’homme. Ils ont ainsi déclaré qu’il existait un droit « à procréer en faisant appel à la procréation médicalement assistée », et même un « droit de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie dont [ses parents] sont porteurs sains » dans les récentes affaires S. H. contre Autriche et Costa et Pavan contre Italie.

Et qu’en est-il de la gestation pour autrui ?

En ce qui concerne les mères porteuses, ou gestation pour autrui (GPA), c’est un peu différent, plus complexe. Il y a moins d’automatisme en l’occurrence. Mais, suivant la logique de la non-discrimination, la GPA sera tôt ou tard à l’ordre du jour : en effet, dès lors que les binômes de femmes auront accès à la PMA, les binômes d’hommes se plaindront d’être discriminés dans l’exercice de leur droit de fonder une famille et d’avoir des enfants, dans la mesure où il existe une technique – la GPA- qui leur permettrait « d’avoir » ou plutôt « d’acquérir » des enfants, mais que cette voie leur est absolument fermée sans motif suffisant.. La CEDH pourrait alors, reconnaissant une différence de traitement dans l’exercice d’un droit relevant de la vie privé et familiale, considérer qu’il n’existe pas a priori  de motif suffisant pour justifier une interdiction générale et absolue de la GPA, que c’est une affaire de circonstances et d’encadrement juridique, et que cela doit être décidé au cas par cas… ce qui revient à imposer sa légalisation.

Actuellement, trois affaires sont pendantes devant la CEDH dans lesquelles les requérants reprochent à la France et l’Italie d’avoir refusé de « reconnaître » la filiation d’enfants nés de mères porteuses aux Etats-Unis et en Russie. Or, ne pas reconnaître ces filiations est le seul moyen dont disposent les Etats pour lutter contre ce phénomène et dissuader d’y avoir recours. Retirer ce moyen de dissuasion, c’est encourager le phénomène. La responsabilité de la CEDH sera très grande à cet égard. Aura-t-elle conscience que la GPA constitue non un progrès, mais une régression ? J’espère que la Cour sera lucide et qu’elle se rendra compte que la GPA est en elle-même une violation des droits et de la dignité de la femme et de l’enfant ! Ce n’est rien d‘autre qu’un contrat de vente d’enfant et de louage de corps humain, avec obligation d’abandonner l’enfant à la naissance. Dans l’affaire mettant en cause l’Italie (Paradisio contre Italie), l’enfant n’a aucun lien biologique avec ses parents- acquéreurs : alors, je ne vois pas la différence avec le marché d’esclaves : un être humain est pris à ses parents, il « change de mains » contre paiement, et ce sans son consentement.

Qu’en est-il des droits de l’enfant ? Comment la CEDH les prend-elle en compte ?

En fait, les droits de l’enfant ne sont pas spécifiquement évoqués dans la Convention européenne des droits de l’homme, si ce n’est à propos du droit à l’éducation. Ils sont mentionnés dans le cadre d’autres traités internationaux, mais la CEDH ne se considère pas contrainte par le reste du droit international ; elle est auto-référencée : elle se cite elle-même sans se considérer pour autant liée par sa propre jurisprudence. Elle tend à une forme de souveraineté normative, elle se définit d’ailleurs comme « la conscience de l’Europe ».

Dans sa jurisprudence, la CEDH essay
e en principe de faire la balance entre les droits des uns et des autres ; elle n’ignore donc pas l’enfant.

Cependant, en matière d’adoption et de procréation, l’enfant apparaît comme « l’objet » du désir et du droit de l’adulte. Dans ces matières, lorsqu’un adulte se plaint d’être discriminé dans sa faculté ou son droit d’avoir un enfant, le juge prend surtout en considération le droit de l’adulte, et non pas l’intérêt de l’enfant. La Cour regarde si un individu ou un couple homosexuel a été traité de façon égalitaire. Dans la récente affaire X contre Autriche du 19 février dernier, la Cour a jugé qu’il n’était pas établi « qu’il serait préjudiciable pour un enfant d’être élevé par un couple homosexuel ou d’avoir légalement deux mères ou deux pères » plutôt que de conserver sa filiation établie avec ses parents biologiques. Dès lors qu’un enfant peut avoir « un père et une mère », l’impossibilité d’avoir « deux mères ou deux pères » serait discriminatoire car il n’est pas prouvé que l’un vaut mieux que l’autre… l’Autriche doit donc changer ses lois pour dire qu’un enfant peux avoir juridiquement deux parents de même sexe.

Il suffit donc que la France légalise le « mariage pour tous » pour que l’adoption et la PMA pour tous, et peut-être la GPA, y soient légalisées à plus ou moins long terme ?

Oui, la possible adoption d’enfants par des couples homosexuels sera automatique dès que le mariage civil de ces couples sera autorisé. Pour la PMA, un simple recours devant la CEDH devrait malheureusement suffire compte tenu de la jurisprudence et de la composition actuelle de la Cour, sans même qu’il soit nécessaire de saisir les juridictions françaises auparavant. Quant à la GPA, le risque est réel  que la France soit obligée de l’autoriser à terme au nom de la logique de l’égalité abstraite entre adultes homosexuels et hétérosexuels, à moins que les juges réalisent que ce procédé constitue une inégalité et une injustice réelle au détriment des enfants et des mères porteuses. L’honneur de la Cour serait de condamner la pratique des mères porteuses ; nous verrons.

Nous arrivons ainsi à une vision totalement « angélique » de la nature humaine : la « parentalité » devient asexuée et  abiologique, fondée uniquement sur la volonté et l’égalité abstraite des êtres humains. La connaissance et la technique, comme un feu sacré, devraient nous libérer des préjugés et de la matière pour nous rendre enfin libres donc égaux et vice versa. Certains juges font des droits de l’homme les dépositaires de cette promesse prométhéenne, et l’instrument de sa réalisation dans les esprits.

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Grégor Puppinck

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