Pourquoi le jésuite Jorge Mario Bergoglio a-t-il choisi le nom de François ? Quels sont les traits spirituels de saint François que le pape veut retrouver ? En quoi les manières franciscaines du pape changeront-elles l’Église ? Où émerge sa formation de jésuite ? Pour répondre à ces questions et à bien d’autres, Zenit a rencontré le P. Pietro Messa, président de l’École supérieure des Études médiévales et franciscaines de l’Université pontificale de Saint Antoine, l’Antonianum, à Rome.
Zenit – De quelle façon saint François a-t-il répondu à l’appel du Seigneur à réparer l’Eglise ?
P. Pietro Messa – Les hagiographes racontent que, un jour où François était dans l’église Saint Damien, qui s’effondrait, la représentation de Jésus crucifié l’appela à réparer l’Église qui tombait en ruines. Cependant, si nous lisons ses écrits, nulle part n’apparaît le thème de la réforme de l’Église. En revanche, ce qui est central, c’est la vie selon l’Evangile, en suivant les pas du Seigneur Jésus, par une observance spirituelle littérale de l’Écriture. Ce fut son choix, et celui des frères mineurs ; on peut dire, peut-être un peu sommairement, que ce mode de vie qu’ils choisirent eut pour effet collatéral la réforme de l’Église. Benoît XVI parlait d’un besoin d’ « essentialiser », c’est-à-dire d’aller à l’essence et il a explicité cela dans ses trois livres sur Jésus ; il disait qu’une Église qui parle toujours d’elle-même n’intéresse personne. Le pape François reprend une image chère à son prédécesseur aussi, celle du mystère de l’Église, qu’il compare à la lune : de même que la lune fait briller dans la nuit le reflet de la lumière du soleil, ainsi l’Église est appelée à faire refléter dans l’histoire la lumière du Christ.
Qu’entendait François par une Église pauvre et que veut dire le pape François, lorsqu’il demande une Église pauvre ouverte aux pauvres ?
François d’Assise ne parle jamais d’une Église pauvre ni d’une Église qui doit être ouverte aux pauvres ; pour lui, l’Église est, dans son essence, le lieu de la Parole et de l’Eucharistie. Alors que, pour lui-même et pour les frères, il demande de vivre selon l’Evangile, il demande aux prêtres de célébrer selon la forme de l’Église ! Ce sont de petites distinctions, mais qui dénotent une grande clarté ! En ce qui concerne le pape François, je ne saurais pas répondre parce que je n’ai connaissance que de peu d’éléments ; mais il serait certainement intéressant de savoir comment l’élément franciscain en est arrivé à faire partie de sa pensée et de sa spiritualité, quelles lectures il a faites à ce sujet et quelle représentation il a du saint d’Assise.
Quelle différence y a-t-il entre les jésuites et les franciscains quant à la pratique de l’humilité et de la charité ?
Les termes de « franciscains » et de « jésuites » sont tellement génériques qu’ils peuvent convenir à un niveau académique ; en effet, parmi les membres de chacun des ordres, il existe des différences en fonction des époques et des territoires ! On peut dire qu’actuellement, ayant vécu l’invitation du concile Vatican II à redécouvrir le charisme des fondateurs, les deux ordres ont approfondi l’histoire de leurs origines respectives et en ont saisi la forte connotation évangélique ; ce n’est donc pas étonnant de voir des frères mineurs participer à des retraites ignaciennes ou des jésuites fascinés par François d’Assise.
Saint Ignace semble avoir été particulièrement frappé par l’histoire de saint François. Quelles affinités y a-t-il entre saint Ignace et saint François ?
Tous les saints sont une synthèse entre l’Evangile et le contexte historique dans lequel ils se sont trouvés ; François d’Assise et Ignace de Loyola ont vécu à des périodes différentes et ont donc donné des synthèses différentes. Il y a certainement chez l’un et l’autre le désir d’être centré sur l’essence de la foi chrétienne, à savoir l’attachement à Jésus. On comprend donc pourquoi tous deux se sont dirigés vers l’Orient, la Terre de Jésus, et ont cherché à approfondir leur méditation sur l’humanité de Jésus, à trouver des moyens pour faire mémoire de sa présence dans l’histoire.
N’est-ce pas paradoxal que ce soit un pape issu des frères mineurs conventuels, Clément XIV, qui ait décidé de dissoudre l’Ordre des jésuites ?
L’histoire est complexe et aussi contradictoire, au point d’en être parfois absurde. On comprend le besoin humain de simplification, mais si cela implique d’amputer la réalité, ce n’est pas vraiment une réussite ! L’époque de Clément XIV a connu une confrontation, un affrontement continuel entre l’Église et les pouvoirs civils, avec des issues diverses, dont la dissolution des jésuites.
Les gens sont enthousiastes au sujet du nouveau pape, mais certains craignent qu’une attention exagérée à l’aspect humain ne soit au détriment de la dimension sacrée…
Qu’il y ait des craintes, c’est compréhensible ; la tentation d’absolutiser un aspect de la réalité est toujours présente, et pas seulement aujourd’hui. On a toujours tendance à prendre ce qui nous plaît le plus dans les gestes et les paroles d’une personne déterminée : nombreux sont ceux qui se souviennent des béatitudes évangéliques, mais il a aussi les exhortations à ne plus pécher et toute une série de « Malheur à vous » ! De même, il y a chez le pape François les paroles cordiales, mais aussi un rappel adressé au corps diplomatique sur le danger de la « dictature du relativisme » et l’affirmation selon laquelle il n’y a pas de véritable paix sans vérité ! Il arrive souvent que, par réaction, on réponde à un extrême en amplifiant l’aspect opposé ! ‘De telles absolutisations du particulier mènent à l’intégrisme et le meilleur antidote à celui-ci est une foi intégrale’ dans laquelle se rencontrent véritablement en Jésus l’humanité et la divinité, la terre et le ciel, la prière et la charité.
Pourquoi, jusqu’ici, aucun pape n’avait choisi de s’appeler François ?
François est réellement un nouveau nom pontifical : celui de Jean-Paul, utilisé pour la première fois par le cardinal Albino Luciani en 1978, est en fait la juxtaposition des noms des papes précédents, Jean XXIII et Paul VI. Le fait que personne n’ait pris un nom nouveau remonte au pape Landone, en 913, et ce n’est pas étonnant parce que l’usage était de reprendre des noms précédents pour indiquer un modèle d’exercice du ministère pétrinien. Pour le pape François, il y a un rappel à la solidarité, la sobriété, la joie, mais j’ajouterais aussi la capacité de conjuguer « une foi droite, une espérance sûre et une charité parfaite », pour reprendre les mots de saint François. Mais c’est l’histoire qui le dira. Maintenant, il faut souhaiter que toute cette implication émotive, bien compréhensible, se transforme en un désir de mieux connaître François d’Assise : ce serait vraiment lui rendre un mauvais service si le saint d’Assise devenait un second Saint Nicolas/Père Noël !
Traduction d’Hélène Ginabat