"Dans la lutte contre l'antisémitisme, l'Eglise peut beaucoup"

A propos d’un livre récent de Marc Knobel

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« Dans la lutte contre l’antisémitisme, l’Eglise peut beaucoup », estime Marc Knobel, auteur d’un livre sur l’antisémitisme récent en France. Il rappelle l’importance des gestes et des paroles de Jean-Paul II et Benoît XVI, au moment où le pape François entame son ministère, avec deux messages à la communauté juive de Rome, le dernier pour Pâque, pour Pessah (qui se fête du 26 mars au 2 avril cette année). 

Zenit – Vous publiez « Haine et violences antisémites. Une rétrospective: 2000-2013. Menaces sur la République » (Berg International Editeurs, Paris, janvier 2013, 350 pages). Pourquoi ce titre ?

Marc Knobel – Parce ce que livre porte spécifiquement sur l’antisémitisme. Mais, il faut le comprendre comme étant une rétrospective car ce livre retrace tous les événements et les faits marquants liés à l’antisémitisme des années 2000-2013, en France. Je me suis posé un certain nombre de questions : dans la France des années 2000, l’hostilité à l’endroit des Juifs ne s’est-elle pas largement développée chez les jeunes qui vivent dans des quartiers dits sensibles et qui, discriminés et très souvent victimisés, sont en quête d’identité ? Ces jeunes ne s’identifient-ils pas (quelquefois) aux Palestiniens, qu’ils pensent « venger » lorsqu’ils s’en prennent aux Juifs ? Le conflit israélo-palestinien joue-t-il un rôle très important ? Bref, le conflit israélo-palestinien n’est-il pas un (faux) prétexte qui a fait sauter et de façon durable le tabou de l’antisémitisme ? Les islamistes font-ils des banlieues défavorisées le lieu préféré de diffusion de leurs pseudo-thèses ? Et, est-ce la misère physique ou morale qui créé le terrorisme ou l’endoctrinement, l’obscurantisme et le fanatisme ? De fait, ce qui est menacé aujourd’hui par l’islamisme n’est-ce pas la République elle-même, ses principes, ses valeurs et sa culture, car ce qui menace les juifs LA menace ?

Quelles nouveautés caractérisent cet « antisémitisme »?

Depuis le début de la seconde Intifada (en 2000), une violence antijuive a déferlé de façon quasi simultanée en France et dans les démocraties occidentales.

-Premièrement. Des individus sont animés par un sentiment d’hostilité à Israël plus ou moins diffus, exacerbé par la médiatisation d’affrontements au Proche-Orient. Ceci facilite leur projection dans un conflit, qui à leurs yeux, reproduit des schémas d’exclusion et d’échec dont ils se sentent eux-mêmes victimes en France. En 2000 déjà, Mehdi Lallaoui, réalisateur, figure du mouvement associatif, militant dans les banlieues depuis plus de trente ans et figure de la Marche pour l’Égalité organisée en 1983, l’explique fort bien : « Pour moi, c’est une identification dans un monde de l’image. Ces jeunes gens voient des affrontements très violents à la télé ; ils se sentent solidaires et, par amalgame, s’attaquent à des symboles juifs, à défaut de cibles israéliennes », déclare-t-il avec justesse.

Quant à Malek Boutih, ancien Président de SOS Racisme (1999-2003), il a cette observation très intéressante : « Les jeunes ont un discours déstructuré. Ils glissent très vite de l’antisionisme à l’antisémitisme, d’Israël à Juifs. » Avec lucidité donc, des militants associatifs répètent que l’on ne doit pas importer le conflit sur le territoire national et que l’on ne saurait viser des lieux de culte de la communauté juive (pas plus que de la communauté musulmane). Ils lancent aussi un avertissement, parce qu’ils pressentent que ces agressions pourraient se multiplier. D’ailleurs, en quoi aide-t-on la cause palestinienne lorsqu’en France, de petits voyous viennent agresser de jeunes Juifs ? De quel soutien s’agit-il ? La cause palestinienne s’en trouvera-t-elle encouragée, fortifiée ? Bien sûr que non. Disons-le clairement : rien ne justifie que l’on attaque un magasin casher, rien ne justifie que l’on agresse un adolescent juif. Faut-il le rappeler ici ? Alors, n’y aurait-il pas là d’autres raisons ? N’y aurait-il pas une « culture » de l’antisémitisme dans certaines banlieues ? Ces jeunes ne sont-ils pas motivés plutôt par la haine des juifs pour s’en prendre ainsi à des cibles juives (écoles, lieux de cultes, magasins, particuliers, etc.), tout simplement ? Par ailleurs, ne sont-ils pas encouragés et/ou endoctrinés par des agitateurs islamistes ou des prêcheurs de haine ? Bref, le conflit explique-t-il tout ? Non. Il peut expliquer certaines choses mais pas cette envie d’en découdre forcément avec les juifs en France, lorsque cela pète au Proche-Orient.

-Deuxièmement. Cet antisémitisme a conquis son droit de cité planétaire en août 2001, à Durban, en Afrique du Sud, lors de la Conférence de l’ONU contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance. Le conflit israélo-palestinien, qui n’avait rien à y faire, a occupé tous les participants : on a mis Israël au ban des nations, et des manifestants ont défilé en criant : « One Jew, one bullet » (un juif, une balle), slogan repris du « One settler, one bullet » (un colon, une balle) des années d’apartheid. À Durban, l’antisémitisme s’est dépouillé de sa gangue raciste pour s’énoncer dans la belle langue cristalline de l’antiracisme. « Les Juifs, ces racistes », dit-on maintenant.

-Troisièmement. Il est important de donner un aperçu de la réaction de la communauté musulmane à cette époque. Nous voulons aussi mesurer à quel point et éventuellement des musulmans ont pu être entraînés dans ces violences dès octobre 2000.  Dans notre ouvrage, nous évoquons cette gêne des politiques et des médias, embarrassés à l’idée de dénoncer les actes antisémites sous prétexte que certains auraient pu être commis par des musulmans. D’où cette question : pourquoi devrions-nous forcément taire le fait que des agressions ont ou auraient été commises par de jeunes arabo-musulmans ? Serait-il politiquement incorrect de le dire ?

En ce qui nous concerne, nous pensons que, quand un individu agit au nom d’une religion, d’une identité ou d’une idéologie pour porter préjudice à un individu en raison de sa religion, de son identité ou de son idéologie, le public doit en être informé. Mais nous tenons à éviter tout amalgame. Il serait en effet injuste et particulièrement choquant de faire porter à l’ensemble de la communauté arabo-musulmane de France les violences commises par quelques individus. Des brebis galeuses, il y en a partout, nous ne le répéterons jamais assez. Il faut donc les dénoncer. Mais on ne peut pas faire, on ne doit pas faire d’amalgame avec l’Islam. Nous insistons sur ce  point.

Ceci étant dit. Que se passe-t-il ? On ne peut reprocher à des musulmans de soutenir la cause palestinienne. Chacun est libre d’exprimer son point de vue, de soutenir une cause et d’affirmer une solidarité. Cependant, il y a un risque lorsqu’on quitte le terrain du débat démocratique et qu’on se laisse attirer, fasciner, voire subjugué par des discours ou des prêches enflammés qui, avec rage, parlent d’Israël – ou, à l’inverse des Palestiniens. À force de lire, d’entendre, et finalement de rabâcher que les Israéliens se comportent comme des monstres, à force, à l’inverse, d’idéaliser la cause palestinienne, érigée en nouvelle lutte des peuples, certains esprits faibles s’en prennent, à défaut d’Israéliens, aux Juifs. Ces malheureuses cibles sont assimilées aux Israéliens, c’est-à-dire aux oppresseurs. Mais, cette explication ne nous semble pas suffisante. Nous émettrons alors quelques autres hypothèses. Elles permettent également de comprendre pourquoi les choses s’enveniment à ce point dès l’année 2000 et quelles sont les autres (éventuelles) motivations des agresseurs.

-Quatrièmement. En un sens, les agresseurs pensent que les Juifs sont p
rotégés, ils les imaginent tous riches et puissants. Les vieux stéréotypes sont là. Le meurtre tragique d’Ilan Halimi résulte bien de la survivance d’un antisémitisme structurel qui s’appuie sur de vieux clichés nauséeux – les mêmes depuis des siècles : les Juifs travaillent forcément dans les banques, les médias ou la politique. Ils ont de l’argent et le pouvoir (sic) – comme si aucun Juif ne pouvait être nécessiteux, voire pauvre, artisan ou petit commerçant. Ce sont ces stéréotypes racistes, colportés par de petites frappes et de petits voyous, qui provoqueront la mort d’Ilan Halimi.

-Cinquièmement. Les islamistes travaillent les banlieues, ils savent désigner l’ennemi ou les ennemis (les Juifs, la France…). Pour eux, les Juifs et, dans une moindre mesure, les chrétiens, ont rejeté le Prophète et l’islam. Dans les prêches ou sur Internet, ils présentent ainsi une vision complotiste d’un islam supposé assiéger, menacé par les Américains, les Européens et les Juifs. Ils sont minoritaires certes (quelques milliers, tout au plus), mais ils pèsent de plus en plus lourd. De petits groupes islamistes (les salafistes) ont lancé l’offensive auprès des musulmans de France. Souvent violents et antisémites, ils prétendent imposer à tous leur conception de l’islam. De fait, les responsables de la lutte antiterroriste estiment que c’est bien de leurs rangs que sortiront les prochaines générations d’activistes radicaux.

Des remèdes ?

Marc Knobel – S’il existait un remède nous le saurions. Or, il faut comprendre l’antisémitisme comme une sorte de « virus » : il s’adapte, se renforce, disparait provisoirement, réapparaît. Les nouveaux messages de haine surprennent, ils se recyclent aussi. Il est très difficile de lutter contre les stéréotypes, les préjugés, les fantasmes. Il faut déconstruire ces messages, cela demande une grande énergie, du temps. Et lorsque vous déconstruisez, apparaissent de nouveaux slogans, de nouvelles accusations, de nouvelles images. Malgré tout, que peut-on faire ? Il faut lutter contre ce que nous appelons « l’esprit de Durban ».

La Conférence de Durban a officialisé, légitimé l’antisémitisme. Lutter contre l’esprit de Durban, c’est pointer du doigt l’esprit criminel qui prévalait lors de cette conférence, et qui a prévalu depuis, faisant d’Israël, des Juifs, des sionistes, les responsables de tous les maux de l’Humanité, la quintessence du mal, d’un mal absolu. Il est donc nécessaire que nous continuions de désigner les multiples vecteurs de haine que sont les sites extrémistes sur Internet, les programmes antisémites diffusés par des télévisions arabo-musulmanes, les tracts et follicules antisémites ou négationnistes, les manifestations pro palestiniennes qui dégénèrent, les « Mort aux Juifs ! » que l’on entend ici ou là, les prétendus sketchs où l’on « bouffe du Juif », l’inquiétante montée de sentiments antisémites chez les jeunes de banlieue, les accusations perfides et infamantes, les grandes « messes » racistes comme à Durban, les stéréotypes et tous les clichés nauséeux, les islamistes qui menacent la République.

Car quelle étrange défaite de la démocratie ce serait de laisser les extrémistes ou les islamistes envahir nos vies et régler notre monde. Quelle étrange défaite ce serait de courber l’échine et de tolérer l’intolérable. N’oublions jamais ceci : ce qui est menacé aujourd’hui par l’Islamisme et l’antisémitisme, c’est bien la République elle-même, ses principes, ses valeurs et sa culture, car ce qui menace les Juifs LA menace.

Le pape Benoît XVI a déclaré que l’on ne peut pas être catholique et antisémite: comment voyez-vous l’apport de l’Eglise catholique dans la lutte contre l’antisémitisme?

Marc Knobel – Dans la lutte contre l’antisémitisme, l’Eglise peut beaucoup. Jean-Paul II mit tout en œuvre pour montrer les voies du dialogue et de la réconciliation, en particulier lors de sa visite inédite à la Synagogue de Rome, le 13 avril 1986, qui a été un événement sans précédent. En mars 2000, sa prière devant le mur des Lamentations a constitué un moment fort, d’une portée politique majeure.  Le chemin parcouru par sa Sainteté le Pape Jean-Paul II dans les voies irréversibles de la réconciliation, du pardon et de l’amour, ont caractérisé et honoré s’il en est le défunt Pape. La disparition de Jean-Paul II a (même) plongé les Juifs de France dans une immense et profonde tristesse.

Benoît XVI, son successeur, a préservé le lien solide qui joint l’Eglise avec les Juifs. Les acquis de Vatican II n’ont pas été ébranlés, comme beaucoup le redoutaient. Et, aucun Pape n’a reçu autant de représentants du monde juif que Benoît XVI et la volonté d’inscrire le christianisme dans sa filiation juive s’est renforcée au cours de son pontificat.

Quant à son successeur, le Pape François, nous sommes persuadés qu’il continuera dans la voie du rapprochement et de l’estime. Nous entrevoyons, nous espérons un approfondissement des relations entre juifs et catholiques. Bref, après l’enseignement du mépris des juifs, nous voici à celui de l’estime et de la fraternité. Comme le rappelait dernièrement Gilles Bernheim, le Grand Rabbin de France [1]: «  Jésus est né, a vécu et est mort en juif. Et que, si l’on reconnaît sa totale judéité, comment un chrétien pourrait-il mépriser ou simplement ignorer les juifs, ses frères ? Nous tenons là le plus important résultat de la révolution de l’Eglise envers les juifs, dans ces dernières décennies. »

C’est aussi cela lutter contre l’antisémitisme.

[1] Gilles Bernheim : « Benoît XVI a repris à son compte les gestes de Jean-Paul II à l’égard du peuple juif », Le Monde, 27 février 2013.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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