Aujourd’hui, 12 mars 2013, aura lieu le premier « tour » de l’élection du futur pape. Mais les termes ne doivent pas induire en erreur : pas de campagne électorale, pas officiellement de candidat, pas officiellement de « partis ».
Le conclave suit en effet un rituel précis – l’Ordo Rituum conclavis (2000) – c’est une assemblée liturgique : l’élection du Successeur de Pierre s’inscrit dans la prière officielle de l’Eglise catholique. Cependant, on s’interroge légitimement: quel pape le collège des 115 électeurs va-t-il élire, et en combien de temps ?
L’exigence, manifestée par les cardinaux qui ont suivi de loin, la trahison du pape qu’a été « vatileaks », ou les soubresauts de la mise au normes européennes de l’Institut financier du Vatican, l’I.O.R., et les mesures de prévention et de sanctions mise en place par Benoît XVI contre les pédophiles, c’est que « plus jamais » de tels scandales ne ralentissent les réformes nécessaires à la machine curiale pour qu’elle réponde à sa raison d’être, au service du ministère de Pierre qui est un ministère de foi, de communion, de charité et d’annonce de l’Evangile.
Pierre. Et Paul aussi. Les deux saints patrons de l’Eglise de Rome que les cardinaux contempleront ce soir à 16 h 30, en la chapelle Pauline avant la procession vers la Sixtine des élections. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » : ce cri de saint Paul ressort des débats des 10 congrégations générales qui ont conduit au conclave.
A Rome, les media évoquent un « bloc » italien, qui serait décidé à s’arcbouter sur la possibilité sinon d’un pape italien tout au moins d’un secrétaire d’Etat italien. C’est une lecture très « politique ». La protestation du cardinal Angelo Scola refusant qu’on lui propose des « accords » laisse entendre que cette lecture n’est cependant pas sans quelque fondement.
Les Italiens sont 49 sur 209 dans le collège cardinalice et 28 sur 115 parmi les électeurs qui entrent en conclave. Parmi eux, les deux principales figures de la vacance du Siège apostolique. Le doyen du collège – élu par ses pairs -, le cardinal Angelo Sodano, grand secrétaire d’Etat de Jean-Paul II: à lui les derniers mots officiels avant le conclave, dans son homélie, lors de la messe de ce matin à Saint-Pierre « pour l’élection du Pontife romain » : miséricorde et charité, unité dans la diversité des dons. Il n’est pas électeur.
Et le Camerlingue, le secrétaire d’Etat et homme de confiance de Benoît XVI, le cardinal Tarcisio Bertone, salésien et, détail spirituel et historique non sans importance, l’homme de « Fatima » puisque c’est lui qui, envoyé par le cardinal Ratzinger a rencontré sœur Lucie avant la révélation du « troisième secret ». Il est électeur.
Mais aussi le président du conclave : le cardinal Giovanni Battista Re, préfet émérite de la Congrégation pour les évêques.
Les différences d’approches et de cultures se sont fait sentir les premiers jours des congrégations. Par exemple, la communication quotidienne des cardinaux américains (11 électeurs), en dehors de la communication officielle qui dépendait du cardinal doyen, mais c’était sans compter avec la presse italienne qui a diffusé les confidences sur le contenu des débats : ils y ont renoncé le troisième jour. Peut-être trop tard. Leur initiative a inquiété ceux qui déjà estimaient qu’un pape venu des Etats-Unis ne pourrait pas – aussi saint fût-il – éviter une interprétation « géopolitique » nuisible aux chrétiens dans les pays où ils sont une minorité.
Les cardinaux français ou allemands apparaissent étrangers à la culture des « accords » avant le conclave. Et les solidarités tissées au quotidien et de longue date – avec le Sud du monde, avec les chrétiens du Moyen orient – auront certainement plus de poids dans la liturgie d’un conclave se déroulant sous la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange.
Lorsque le cardinal Barbarin – coqueluche des media, sur la bicyclette devenue légendaire – est interrogé sur le profil du prochain pape, il renvoie à ce que le Christ demande à Pierre (cf. Zenit du 6 mars 2013). Les cardinaux André Vingt-Trois et Jean-Pierre Ricard ont observé aussi une grande réserve.
Appelant à la « conversion », le cardinal archevêque de Paris, président de la Conférence épiscopale française, a notamment déclaré dimanche 10 mars, dans son homélie à Saint-Louis des Français : notre religion est « une religion de la réconciliation ». Il a invité les baptisés à cette « conversion » qui consiste à être « les acteurs d’une société de la réconciliation et non pas de la condamnation ».
Des noms circulent, sans oublier les grands cardinaux des Etats Unis et d’Italie, et sans nommer à nouveau les Français, pour ne pas paraître trop chauvin : Odilo Scherer (« Odilo » per les Brésiliens), bon connaisseur de la curie et de ses rouages et pasteur proche des fidèles ; Joao Braz de Aviz, son compatriote, un géant dont la recherche de la communion et du bien des personnes enchantent ses collaborateurs de la curie romaine ; Christoph Schönborn (Autriche) ancien « étudiant » de Benoît XVI, cheville ouvrière du Catéchisme de l’Eglise catholique de 1992, promoteur des Congrès de la miséricorde et en cela héritier aussi de Jean-Paul II, déjà « papable » en 2005 ; Péter Erdö (Hongrie), président très apprécié de la CCEE, dans une Europe en crise spirituelle, soucieux au Sud du monde; Albert Malcolm Ranjith (Sri Lanka), naguère à la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples ; Luis Antonio Tagle, théologien, connaisseur du Concile et de l’Italie, artisan d’une « JMJ asiatique » à Manille ; le président de Cor Unum, le cardinal Robert Sarah, de Guinée Conakry, cardinal des missions humanitaires et homme de dialogue avec les cultures et les Etats ; le préfet – Canadien – de la Congrégation des évêques, Marc Ouellet, candidat de Benoît XVI « il y a trois ans », déclare sans ambages Mgr Georg Ratzinger interrogé par une télévision polonaise et il ajoute, comme pour atténuer sa déclaration « aujourd’hui, je ne sais ». D’aucuns émettent le rêve d’un Secrétaire d’Etat dans la grande tradition française.
Quant à la date de l’élection, des indications viennent de l’expérience. Il y a 4 scrutins par jour (premier scrutin ce mardi soir). Jean XXIII (1958) a été élu après onze tours, Paul VI (1963) après six tours, Jean-Paul Ier (1978) et Benoît XVI (2005) après quatre tours, Jean-Paul II après huit scrutins au cours desquels la majorité des deux tiers (aujourd’hui, 77 voix) n’arrivait pas à se dégager entre deux autres candidats.
En étant optimiste, au plus tard, le pape si attendu pourrait être élu samedi, et au plus tôt demain mercredi, mais c’est peu probable, étant donné justement les grandes divergences de points de vue, non pas vraiment sur les priorités de l’Eglise et du monde, mais sur la façon d’y répondre, et donc sur le profil – et l’on peut dire, malgré les protestations que ce n’est pas important, la nationalité du « successeur ».
Les défis sont en définitive ceux indiqués par le Temps du Carême, la conversion au Christ et le service des souffrants et des pauvres. La réponse est urgente. Le grand scandale de ce siècle n’est finalement pas « vatileaks », mais la faim, la pauvreté, la violence dont souffrent des milliards d’êtres humains et l’Annonce du Christ Sauveur. C’est à cela que l’Eglise, chaque baptisé et chaque pasteur, sont appelés à répondre efficacement. Et l’on comprend alors que l’on entre au conclave en tremblant.
Le cardinal maltais Prosper Grech, patrologue, aura la délicate mission d
‘accompagner les électeurs jusqu’au seuil du vote, par une exhortation spirituelle à huis-clos, après la procession, le serment, l’« Extra omnes ». Le dépouillement sera suivi par les vêpres. Fumée – noire, vraisemblablement -, ce mardi soir, entre 18 h30 et 19 h 30, dit-on.