Dans un article récent, Zenit annonçait la visite du pape Léon XlV en Turquie, à l’occasion du 1700e anniversaire du concile de Nicée (Iznik). Jean-Paul II et Benoît XVI s’y étaient rendus en leur temps. François devait y retourner. Quant à Jean XXIII, après son élection, il ne put qu’y envoyer « ses vœux spéciaux de prospérité pour le toujours aimé peuple turc ».
Et pourtant, selon le général Refik Tulga, ancien gouverneur d’Istanbul, « le pape Roncalli est le premier pape turc de l’histoire » ! Après des siècles de papes italiens, le successeur de Pie XII était-il turc ? Nous avons eu un polonais, un allemand, un argentin, un américain-péruvien. Mais non, pour un successeur turc de Pierre, il faudra attendre. Quoique, le « successeur » de saint André, son frère, n’est-il pas le patriarche Bartholomée, un turc authentique résidant au Phanar, le « Vatican » d’Istanbul ?…
En 1958, le cardinal Angelo Roncalli a été élu pour succéder à Pie XII, en prenant le nom de Jean XXIII. Cette élection a redonné un éclat singulier à ses fonctions antérieures de nonce à Paris, de patriarche de Venise et de simple délégué apostolique en Turquie. On comprend que le ministre des Affaires étrangères d’alors exprima sa satisfaction « de voir un ami de la Turquie au suprême pontificat ». Il en résulta dès 1960 l’instauration de relations diplomatiques officielles entre le Vatican et la Turquie.
Un amour et un respect pour le peuple turc
Comment se fait-il qu’une rue d’Istanbul porte le nom de « Papa Roncalli Sokagi (1881-1963) » (« rue pape Roncalli ») ? L’apôtre Roncalli avait percé rapidement en tant que diplomate. La première marque de son respect pour le peuple turc a été d’apprendre la langue turque et d’encourager le modeste peuple chrétien local à prier dans cette langue.

Mgr Roncalli délégué apostolique en Turquie, 1935 © ladiscussione.com
Dès la célébration de Noël en 1935, Mgr Angelo Giuseppe Roncalli fut capable de proclamer lui-même l’Évangile en turc. Ainsi, c’était en turc que la naissance du Fils de Dieu était annoncée par un « successeur » des apôtres. Quand on sait que l’Incarnation avait commencé avec les premières lettres de l’alphabet hébreu, il convenait que la langue turque reçoive à son tour la Révélation de l’alliance de Dieu avec tous les hommes.
Le délégué apostolique ne manquait pas à chaque occasion d’affirmer : « J’aime les Turcs ». Il avouait d’ailleurs son admiration et son estime pour Atatürk qui avait rendu indépendance et liberté au peuple turc et l’acheminait vers le progrès. Il ajoutait : « J’apprécie les qualités naturelles de ce peuple qui a aussi sa place préparée sur les routes de la civilisation. »
« Parut un homme de Dieu ; son nom était Jean »
La neutralité de la Turquie pendant la Seconde Guerre mondiale convenait parfaitement au diplomate du Vatican qui sut tirer les ficelles qu’il fallait pour soustraire des milliers de Juifs aux camps d’extermination. Dans une affectation précédente en Bulgarie qui dura également dix ans, Mgr Roncalli avait lié amitié avec son roi, Boris III, orthodoxe et la reine catholique.
Vis-à-vis du baptême de leurs enfants, il sut jouer de finesse pour sauvegarder son amitié sans renoncer aux exigences romaines. Le roi Boris fut une aide précieuse pour que le navire parti de Constanza chargé d’enfants juifs puisse franchir les Dardanelles, et les débarquer en Turquie afin de gagner la Palestine. Au procès de Nuremberg, Franz Von Papen, ambassadeur d’Allemagne en Turquie, échappa à la pendaison grâce au témoignage de Mgr Roncalli qui lui devait d’avoir pu sauver 24 000 juifs.
Jean XXIII ne vécut pas assez longtemps pour signer la Déclaration Nostra Ætate de Vatican II sur les religions non chrétiennes, mais il en avait vécu la teneur au point d’être considéré comme « premier pape turc de l’histoire ». Affirmation moins biblique que celle d’un autre turc, le patriarche Athénagoras 1er : « Parut un homme de Dieu ; son nom était Jean. » L’une rend hommage à Mgr Roncalli pour ce qu’il fut à Istanbul de 1935 à 1945, l’autre, prophétique, pour ce qu’il devenait, Jean XXIII, le pape du Concile Vatican II.
Pierre Duhameau
