Wanda Poltawska évoque deux amis, le prof. Lejeune et Karol Wojtyla

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J’ai décidé que si j’en sortais je ferais tout pour sauver les enfants

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CITE DU VATICAN, Jeudi 1er avril 2004 (ZENIT.org) – « J’ai eu l’occasion d’observer la Gestapo et les SS avec les enfants et les femmes enceintes. Il n’y avait pas d’avortement programmé pour ne pas ralentir le travail des femmes. Ils laissaient les enfants naître, et ensuite les jetaient au feu… J’ai décidé alors que si j’en sortais je ferais tout pour sauver les enfants ».

C’est le témoignage poignant de Wanda Poltawska, pour la Fondation Jérôme Lejeune, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du généticien français, et au moment où Jean-Paul II invite les catholiques à un examen de conscience sur la situation des enfants dans le monde, pendant ce carême 2004 .

Wanda Poltawska est née en 1921, en Pologne. Déportée à Ravensbruck à l’âge de 18 ans, elle fut pendant plus de 4 années dans le « groupe d’expérimentation sur les femmes » constitué par les SS… puis laissée pour morte. Pendant ces 4 ans elle se promit que si elle avait la chance d’en sortir vivante elle s’engagerait du côté de la Vie en devenant médecin. Aujourd’hui elle est psychiatre.

Amie intime de Jérôme Lejeune et de Jean-Paul II, elle a accepté pour la première fois, pour le 10ème anniversaire de la disparition du grand savant français, de dévoiler un peu « cette communion, cette unité d’âme » dont elle était témoin. Dans un français teinté de polonais et d’italien, elle raconte cette amitié exceptionnelle avec pudeur.

Ce témoignage de Wanda Poltawska a été recueilli par Karin Lejeune-Le Méné et Aude Dugast, pour la Lettre de la Fondation Jérôme Lejeune (www.fondationlejeune.org). Nous le publions avec l’aimable autorisation, au moment où le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, célèbre, à Notre-Dame de Paris, une messe « pour la Vie » en mémoire du professeur Lejeune.

Témoignage

J’ai connu Karol Wojtyla avant qu’il ne soit Pape, c’était à Cracovie. Il avait fondé une institution théologique pour la famille et nous organisions des congrès. A cette époque la Pologne était fermée. On m’avait parlé du Professeur Lejeune de Paris et nous profitions de ses écrits pour nos sessions.
En 1975 j’ai été invitée à un congrès en France, à l’époque où on proposait l’avortement pour simplement 5 ans. C’est là où j’ai eu l’occasion de le rencontrer pour la première fois. Tout ce qu’il disait me plaisait. C’était l’unique savant que je connaissais qui voyait toutes choses sous la lumière de Dieu. Comme le Saint Père… Et il argumentait avec des preuves génétiques. On peut connaître des personnes pendant des années sans les connaître. Avec le Professeur Lejeune, la première fois que je l’ai vu, j’ai su qu’il pensait comme moi. Nous avons été amis tout de suite. J’ai profité de cette amitié, moi qui ne pouvais rien donner. J’étais d’un pays qui ne pouvait rien donner. J’étais sûre qu’il m’avait aimée tout de suite. Une amitié claire et profonde. Et ce n’est pas si souvent dans la vie. Je le comprenais, il me comprenait, pas besoin de mots…
Il me manque tout le temps…

J’aimais sa façon de parler, avec humour, de façon très claire. Il avait le talent d’argumenter facilement et simplement de telle sorte qu’après il n’y avait plus besoin de discussion. Tout le monde comprenait… Il avait un charme personnel. Il était beau, intelligent et en même temps très humble. Il était vrai, authentique…

A Rome et à Paris j’ai ensuite eu l’occasion de le rencontrer. Sa disponibilité était extraordinaire. Il était tout de suite prêt à faire ce qu’on lui demandait. Quand le vote sur l’avortement est passé au Parlement en Pologne, je l’ai appelé. Il revenait le jour même de Munich. Il a sauté dans un avion pour Varsovie.

J’ai passé 4 ans et demi en camp de concentration, à Ravensbrück. J’étais condamnée à mort.
J’ai été arrêtée parce que j’étais dans les scouts. Nous avions organisé une opposition. Six SS sont venus m’arrêter. Six SS pour arrêter une jeune fille. J’avais 18 ans.

Avant la guerre j’étais dans ma famille, je ne connaissais pas le mal, la haine. Ce fut le choc de la rencontre du mal. Je ne pouvais pas comprendre que la Gestapo fasse ces arrestations. Ils ont arrêté 13 scouts. Ils ont été fusillés tous les 13. Mais avant de mourir ils ont chanté l’hymne de la Pologne. « Demain, je me suis dit, c’est moi. » Cette certitude que j’allais mourir est créative. L’argent ne m’intéresse pas… Ce n’est pas « qu’est ce que tu as ? » la question, mais « qui es-tu ? ».

A Ravensbrück, j’ai été traitée dans un groupe d’expérimentation, un groupe condamné à mort. 73 personnes de 20 ans environ. J’étais la plus jeune avec une autre de 14 ans. Pendant 4 ans nous sommes devenues amies et j’ai eu l’occasion d’apprendre l’allemand. Mes amies ne peuvent pas comprendre pourquoi elles ont souffert. Elles accusent Dieu. Moi je peux dire que je n’ai jamais demandé « pourquoi ». Je suis réaliste. La vie est comme ça. C’est tout. Il y avait 40 000 femmes polonaises dans ce camp, et 8 000 seulement en sont sorties vivantes. Sur les 73 de notre groupe d’expérimentation, seulement 18 sont encore en vie. J’ai été opérée dans le premier groupe de 6 femmes. Et parce que nous avons été du 1er groupe, nous avons été plus observées, plus suivies, on changeait nos pansements. Mais après les autres groupes ont été moins suivis. C’était l’été, leurs pansements n’étaient pas changés. Peut-être ai-je moins souffert que les autres.

J’ai été rejetée comme morte. Le plus extraordinaire est que je vive. J’ai été rejetée comme cadavre. J’ai sentie une femme me toucher et dire « elle est morte ». Je pensais en l’entendant « qu’elle est stupide cette médecin, elle doit savoir que je vis », car je vivais, mais je n’en avais pas de signe extérieur et ne pouvais le dire. La mort clinique ce n’est pas la mort… Alors je me suis dit je ferai médecine… Dans la baraque, il y avait une fenêtre. J’ai vu plus tard par la fenêtre un homme tailler les fils de fer en disant « les filles vous êtes libres ». Une amie alors a vu que je bougeais enfin le petit bout des doigts. Ca m’a sauvée. Si j’étais restée deux ou trois jours de plus je serais morte. Je me souviens de tout.

J’ai eu l’occasion d’observer la Gestapo et les SS avec les enfants et les femmes enceintes. Il n’y avait pas d’avortement programmé pour ne pas ralentir le travail des femmes. Ils laissaient les enfants naître, et ensuite les jetaient au feu…
J’ai décidé alors que si j’en sortais je ferais tout pour sauver les enfants.
Quand on peut tuer des millions de personnes la vie perd sa valeur. Jusqu’à présent on n’a pas bien compris la valeur de la vie. On ne peut comparer la vie à rien d’autre. C’est un don de Dieu. Aujourd’hui le péché le plus grand c’est la violence de la créature contre son créateur. Si Jésus venait aujourd’hui, Il dirait « ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Quand je suis sortie de Ravensbrück, je ne pouvais parler avec personne. Ils ne comprenaient rien. Ils n’avaient pas les mêmes valeurs. Je ne pouvais parler qu’avec mes amis de camp. Il faut comprendre que l’homme vit pour mourir, pour pouvoir changer, pour ne pas s’attacher.

J’avais 23 ans en sortant de Ravensbrück. Je me suis mariée quelque temps après. J’ai été à l’université de Cracovie pour étudier la médecine. Dans ce temps là Karol Wojtyla était aumônier des étudiants. Il aimait s’occuper spécialement des étudiants en médecine. Mon mari lui a dit ce que j’avais vécu. Karol Wojtyla est venu alors spécialement me rencontrer. Notre amitié est née ainsi. Il s’est occupé aussi de ma mère, de ma petite sœur. Cette amitié a continué avec les années pour les vacances, les fêtes, la prière. Nous allions tous les jours à la Messe à Cracovie. Quand je suis devenue psychiatre, j
‘ai choisi d’être spécialiste pour la jeunesse. J’ai travaillé dans des centres de jeunes, avec les jeunes, les parents, les professeurs. Nous avons organisé pour les familles en difficulté, les couples en conflit, des groupes de prière dont Karol Wojtyla était le jeune aumônier. Quand il est devenu évêque il a organisé des groupes de théologie de la famille. Puis j’ai été directrice pendant 40 ans de l’Institut de la famille et il y eut un conseil pontifical de la famille à Cracovie. Ce programme polonais est maintenant dans beaucoup d’autres pays. Je l’ai organisé avec lui. Je suis son disciple. Je travaille avec lui tout le temps. Il lisait tout ce que Jérôme écrivait.
Quand il est arrivé à Rome il m’a dit « tu dois avoir une chambre à Varsovie et une chambre à Rome… » Puis il a organisé à Rome le Conseil pontifical pour la famille. Il l’a créé le jour de l’attentat. « Je l’ai payé de mon sang » m’a-t-il confié ensuite… Il est très cher à son cœur.
Le jour de l’attentat j’étais dans le sud de la Pologne. Mon mari me l’a appris par téléphone. Avant de m’appeler il m’avait déjà pris mon billet d’avion pour Rome. Quand je suis arrivée auprès de lui, le Saint Père m’a dit « ne pleure pas. C’est la Vierge qui me protège. Elle m’a protégé. »

J’ai enseigné l’anthropologie catholique de Jean Paul II. La personne humaine doit se développer tout le temps jusqu’à la sainteté. Pour faire comprendre cela je donne un exemple pris dans les documents de l’université de Cracovie : un groupe de médecins a été condamné à mort pour crime contre l’humanité, en raison des euthanasies et expérimentations qu’ils ont faites. Un autre groupe de médecins a créé dans le Ghetto de Varsovie un hôpital et quand le Ghetto a été fermé tous les patients sont morts de famine. Ces médecins sont restés avec leurs patients et sont morts avec eux. Ces deux groupes de médecins étaient collègues avant la guerre… Ils étaient étudiants dans la même université, dans les mêmes classes… Ils ont choisi leur camp. Comme eux, choisissez votre camp…

Le Saint Père et Jérôme aiment les mêmes choses : la valeur de la vie, la grandeur de l’homme, les enfants. Ils ont les mêmes valeurs. Le Saint Père a « plein de cœur » pour les enfants handicapés, tous les enfants… Tout ce que le pape dit et écrit c’est pour sauver la sainteté de l’amour humain, l’amour de l’homme et de la femme. L’amour, le bel amour doit être central. Pour sauver l’amour il veut aussi sauver l’enfant. Le Saint Père veut sauver toute l’humanité, vraiment. Un jour mon mari lui a dit « vous vous occupez plus de vos ennemis que de vos amis ». Et c’est vrai. Il faut comprendre que nous venons de Dieu et que nous sommes éternels.

Dès que Karol Wojtyla fut nommé Pape il me parla de Jérôme Lejeune. Le point commun entre ces deux personnalités c’est la poésie. Jérôme n’écrivait pas la poésie mais il avait une âme poétique. Le Saint Père écrit la poésie et a l’âme poétique. Dans le monde d’aujourd’hui la poésie veut dire qu’on voit plus loin, plus haut…Le Saint Père dit qu’il « faut ouvrir les yeux de l’âme ». Je crois que Jérôme le faisait justement.
Tous les deux sont des hommes de prière. Le Saint Père prie tout le temps et Jérôme aussi. Comme une chose normale.Cela faisait partie intégrante de sa vie. On sentait qu’une promenade dans la campagne était une communion par la création au Dieu créateur. Jérôme voulait « guérir » toutes les choses. Quand j’ai vu son atelier, dans le fond de son jardin, je m’attendais à un atelier magnifique, j’ai vu un « antre » avec tous ces objets cassés à réparer, des poupées, des arrosoirs, un vieux fer à repasser… Il voulait que toutes les choses, même inutiles, soient belles.

Au petit-déjeuner j’étais à table avec le Saint Père quand Mgr Stanislas nous a appris la mort de Jérôme Lejeune. Le Saint Père fut très triste. Ce fut pour lui un choc terrible. La réponse du Saint Père fut significative, avec un geste de la main il dit : « Mon Dieu, j’ai besoin de lui… »
Ce sont les secrets de Dieu… Après la mort de Jérôme, quand sa fille Anouk a apporté au Pape un dizainier fait pour lui par son père, celui-ci a été très ému.

Oui nous avons besoin de lui, parce que c’est une personne qui pouvait aider les familles en danger. Il voulait que l’Académie pontificale pour la vie soit un « network » pour le monde, pour former les médecins. Le Saint Père a toujours travaillé à un programme pour sauver les familles. Le projet de l’Académie pontificale pour la vie était très cher au Pape, il espérait qu’elle grandisse avec Jérôme. En 1993 j’étais avec le Saint Père et le cardinal Angelini pour discuter sur la création de l’Académie pontificale pour la vie. Le Cardinal Angelini a trouvé tous les moyens matériels nécessaires pour lancer l’Académie. C’était un ami de Jérôme.
Elle fut créée le 11 février, jour des malades.

Lors de l’attentat quand le Saint Père est tombé sous les balles, Jérôme a été hospitalisé le même jour. Jérôme et Birthe (son épouse) avaient déjeuné avec le Saint Père le jour même. Ils ont appris cette nouvelle à la descente de l’avion à Paris. Hospitalisé le soir même, Jérôme souffrait en même temps que le Saint Père, il se sentait si proche.

Il y avait une communion, une unité d’âme entre eux. Ensemble, ils parlaient tout le temps de Dieu. Le Saint Père ne parle jamais de lui-même. Aux questions qui se posent, il répond toujours en disant « la pensée de Dieu ». Jérôme était pareil. Le Saint Père est très, très sensible à la beauté du monde. C’était la même chose pour Jérôme, il admirait la création. Le Saint Père regarde cette beauté dans les arbres, les fleurs, Jérôme dans la génétique. Dieu a créé l’homme à son image… On ne peut pas comprendre la nature sans Dieu. On ne peut pas comprendre l’homme sans Dieu. Jérôme était uni au ciel, il vivait avec Dieu.

Les défenseurs de la vie ne sont pas nombreux dans le monde. Mais il suffit de quelques uns pour espérer. Dans ce camp pour les valeurs, il n’y en pas beaucoup qui sont prêts à donner leur vie.

On ne rencontre pas souvent un homme comme Jérôme Lejeune. J’ai eu dans ma vie des rencontres avec quelques hommes exceptionnels. C’est un cadeau de Dieu.

© fondationlejeune.org, tous droits réservés

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ZENIT Staff

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