Voyage en Espagne : Le pape répond aux journalistes dans l’avion

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ROME, Lundi 8 novembre 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte des réponses que le pape a données aux questions des journalistes, dans l’avion qui le conduisait de Rome à Saint-Jacques-de-Compostelle, samedi 6 novembre.

Les questions ont été posées par le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège.

P. Lombardi : Votre Sainteté, soyez le bienvenu à cette traditionnelle rencontre avec nos collègues journalistes au début de ce beau voyage. Il s’agit d’un voyage bref, mais qui suscite beaucoup d’intérêt. Je peux dire que, selon les informations des derniers jours, plus de 3000 journalistes représentant plus de 300 titres sont accrédités en Espagne pour le suivre, entre Saint-Jacques et Barcelone. Il y a donc véritablement un grand intérêt. Et ici, en vol, avec vous, se trouvent 61 journalistes, 61 collègues, parmi lesquels il y a naturellement une importante représentation espagnole : huit collègues espagnols accrédités à Rome qui voyagent avec vous, et huit collègues espagnols venus exprès d’Espagne pour suivre tout le voyage, y compris ce vol avec vous. Je voudrais signaler la présence de la télévision de Galice et de la télévision de Catalogne, qui assureront la retransmission complète des événements de ce voyage également par leur travail, et nous leur sommes très reconnaissants.

Alors, comme d’habitude, je vous propose certaines questions qui ont été formulées par nos collègues ces jours-ci et que nous avons ensuite choisies en suivant un critère d’intérêt commun pour apporter des éclaircissements sur le sens de ce voyage. Commençons naturellement par Saint-Jacques-de-Compostelle :

Votre Sainteté, dans le message au récent Congrès des sanctuaires qui se déroulait précisément à Saint-Jacques-de-Compostelle, vous avez déclaré vivre votre pontificat « avec des sentiments de pèlerins ». Dans votre devise également, figure la coquille du pèlerin. Pouvez-vous nous parler de la perspective du pèlerinage, notamment dans votre vie personnelle et dans votre spiritualité, et des sentiments qui vous animent en tant que pèlerin à Saint-Jacques ?

Benoît XVI : Bonjour ! Je pourrais dire qu’être en chemin est déjà inscrit dans ma biographie – Marktl, Tittmoning, Aschau, Traunstein, Munich, Freising, Bonn, Münster, Tübingen, Ratisbonne, Munich, Rome – mais sans doute ceci est quelque chose d’extérieur. Toutefois, cela m’a fait penser au caractère instable de cette vie, être en chemin… Naturellement, contre le pèlerinage, on pourrait dire : Dieu est partout, il n’y a pas besoin d’aller dans un autre lieu. Mais il est également vrai que la foi, par essence, est une « existence de pèlerin ».

La Lettre aux Hébreux démontre ce qu’est la foi dans la figure d’Abraham, qui quitte sa terre et demeure un pèlerin vers l’avenir, toute sa vie ; et ce mouvement d’Abraham demeure dans l’acte de la foi. C’est un pèlerinage avant tout intérieur, mais qui doit s’exprimer également de l’extérieur. Parfois, sortir du quotidien, du monde de l’utile, de l’utilitarisme, sortir uniquement pour être réellement en chemin vers la transcendance ; se transcender soi-même, transcender le quotidien et trouver ainsi une nouvelle liberté, un temps de réflexion intérieure, d’identification de soi, pour voir l’autre, Dieu, et c’est également ce qu’est le pèlerinage, toujours : non seulement sortir de soi, pour aller vers le plus grand, mais également aller ensemble. Le pèlerinage réunit : nous allons ensemble vers l’autre et ainsi, nous nous trouvons réciproquement. Il suffit de dire que les chemins de Saint-Jacques sont un élément dans la formation de l’unité spirituelle du continent européen. Ici, en pèlerinage, ils se sont trouvés, ils ont trouvé l’identité commune européenne, et aujourd’hui, ce mouvement renaît, ce besoin d’être en mouvement spirituellement et physiquement, de se trouver l’un l’autre et de trouver ainsi le silence, la liberté, le renouveau, et de trouver Dieu.

Merci, Votre Sainteté. Et maintenant tournons notre regard vers Barcelone. Quelle signification peut avoir la consécration d’un temple comme la Sainte Famille au début du XXIe siècle ? Est-ce qu’il y a un aspect spécifique de la vision de Gaudí qui vous a frappé en particulier ?

En réalité, cette cathédrale est aussi un signe précisément pour notre temps. Je trouve surtout trois éléments dans la vision de Gaudí.

Le premier, cette synthèse entre continuité et nouveauté, tradition et créativité. Gaudí a eu le courage de s’insérer dans la grande tradition des cathédrales, d’oser à nouveau, à son époque – avec une vision totalement nouvelle – cette réalité : la cathédrale, lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme, dans une grande solennité ; et ce courage de rester dans la tradition, mais avec une nouvelle créativité, qui renouvelle la tradition et démontre ainsi l’unité de l’histoire et le progrès de l’histoire, est une belle chose.

Deuxièmement. Gaudí voulait ce trinôme : livre de la nature, livre des Ecritures, livre de la liturgie. Et cette synthèse, précisément aujourd’hui, est d’une grande importance. Dans la liturgie, les Ecritures deviennent présentes, deviennent réalité aujourd’hui : ce ne sont plus les Ecritures d’il y a deux mille ans, mais elles doivent être célébrées, réalisées. Et dans la célébration des Ecritures, la création parle, la création parle et trouve sa véritable réponse, car, comme nous le dit saint Paul, la créature souffre, et, au lieu d’être détruite, méprisée, elle attend les enfants de Dieu, c’est-à-dire ceux qui la voient dans la lumière de Dieu. Et ainsi, – je pense – cette synthèse entre sens de la création, les Ecritures et adoration, est précisément un message très important pour aujourd’hui.

Et enfin, – troisième point – cette cathédrale est née d’une dévotion typique du XIXe siècle : saint Joseph, la sainte Famille de Nazareth, le mystère de Nazareth. Mais précisément cette dévotion d’hier, pourrait-on dire, est d’une très grande actualité, car le problème de la famille, du renouveau de la famille comme cellule fondamentale de la société, est le grand thème d’aujourd’hui et nous indique où nous pouvons aller, aussi bien dans la construction de la société que dans l’unité entre foi et vie, entre religion et société. La famille est le thème fondamental qui s’exprime ici, en proclamant que Dieu lui-même s’est fait enfant dans une famille et nous appelle à construire et vivre la famille.

Gaudí et la Sainte Famille représentent de manière concrète et particulière le binôme foi-art. Comment la foi peut-elle retrouver aujourd’hui sa place dans le monde de l’art et de la culture ? Est-ce l’un des thèmes importants de votre pontificat ?

Il en est ainsi. Vous savez que j’insiste beaucoup sur la relation entre foi et raison, que la foi, et la foi chrétienne, n’a son identité que dans l’ouverture à la raison, et que la raison devient elle-même si on la transcende vers la foi. Mais la relation entre foi et art est tout aussi importante, car la vérité, but et objectif de la raison, s’exprime dans la beauté et devient elle-même dans la beauté, se prouve comme vérité. Là où se trouve la vérité doit donc naître la beauté, là où l’être humain se réalise de manière correcte, bonne, il s’exprime dans la beauté. La relation entre vérité et beauté est inséparable et nous avons donc besoin de la beauté. Dans l’Eglise, depuis le début, également dans la grande modestie et pauvreté de l’époque des persécutions, l’art, la peinture, l’expression du salut de Dieu dans les images du monde, le chant, et ensuite également les édifices, tout cela est constitutif pour l’Eglise et reste constitutif pour toujours. Ainsi l’Eglise a été la mère des arts pendant des siècles et des siècles : le grand trésor de l’art occidental
– que ce soit la musique, l’architecture ou la peinture – est né de la foi à l’intérieur de l’Eglise. Aujourd’hui, il y a un certain « désaccord », mais cela fait du mal aussi bien à l’art qu’à la foi : l’art qui perdrait la racine de la transcendance n’irait plus vers Dieu, ce serait un art diminué, il perdrait sa racine vivante ; et une foi qui ne posséderait que l’art du passé, ne serait plus une foi dans le présent ; et aujourd’hui elle doit s’exprimer à nouveau comme vérité, qui est toujours présente. C’est pourquoi le dialogue ou la rencontre, je dirais l’ensemble, entre art et foi est inscrit dans l’essence la plus profonde de la foi ; nous devons faire tout ce qui est possible pour qu’aujourd’hui aussi, la foi s’exprime à travers un art authentique, comme Gaudí, dans la continuité et dans la nouveauté, et que l’art ne perde pas le contact avec la foi.

Actuellement est en train d’être mis en place le nouveau dicastère pour la «nouvelle évangélisation». Et beaucoup se sont demandés si l’Espagne, avec les développements de la sécularisation et la diminution rapide de la pratique religieuse, est l’un des pays auquel vous avez pensé comme objectif de ce nouveau dicastère, voire si elle en serait l’objectif principal. Voilà la question que nous nous posons.

Avec ce dicastère, j’ai pensé au monde tout entier, parce que la nouveauté de la pensée, la difficulté de réfléchir sur les concepts des Ecritures, de la théologie, est universelle, mais il y a naturellement un centre et il s’agit du monde occidental avec son sécularisme, sa laïcité et la continuité de la foi qui doit essayer de se renouveler pour être une foi d’aujourd’hui et pour répondre au défi de la laïcité. En Occident, tous les grands pays vivent chacun à leur manière ce problème : nous avons eu par exemple les voyages en France, en République tchèque, au Royaume-Uni, où le même problème est présent partout de manière spécifique à chaque nation, à chaque histoire, et cela vaut aussi et de manière forte pour l’Espagne. L’Espagne a été, depuis toujours, un pays « originaire » de la foi ; rappelons-nous que la renaissance du catholicisme à l’époque moderne advint surtout grâce à l’Espagne ; des figures comme saint Ignace de Loyala, sainte Thérèse d’Avila et saint Jean d’Avila, sont des personnalités qui ont réellement renouvelé le catholicisme, qui ont formé la physionomie du catholicisme moderne. Mais il est aussi vrai qu’en Espagne sont nées également une laïcité, un anticléricalisme, un sécularisme fort et agressif, comme nous l’avons vu précisément dans les années Trente, et ce débat, voire ce conflit entre foi et modernité, toutes deux très vives, se réalise encore aujourd’hui de nouveau en Espagne : c’est pourquoi l’avenir de la foi et de la rencontre – non pas le conflit, mais la rencontre entre foi et laïcité – trouve un point central également dans la culture espagnole. En ce sens, j’ai pensé à tous les grands pays d’Occident, mais surtout également à l’Espagne.

Avec le voyage à Madrid de l’année prochaine pour la Journée mondiale de la jeunesse, vous aurez accompli trois voyages en Espagne, ce qui n’est le cas pour aucun autre pays. Pourquoi un tel privilège ? Est-ce le signe d’un amour ou d’une inquiétude particulière ?

C’est naturellement un signe d’amour. On pourrait dire que c’est le hasard qui a fait que je suis venu trois fois en Espagne. La première, pour la grande rencontre internationale des familles, à Valence : comment le Pape pourrait-il être absent, si les familles du monde se rencontrent ? L’année prochaine la JMJ, la rencontre de la jeunesse du monde, à Madrid, et le Pape ne peut être absent à cette occasion. Et, enfin, nous avons l’Année sainte de Saint-Jacques, nous avons la consécration, après plus de cent ans de travaux, de la cathédrale de la Sagrada Familia de Barcelone, comment le Pape pourrait-il ne pas venir ? En soi, par conséquent, les occasions sont des défis, presque une obligation à honorer, mais le fait que ce soit précisément en Espagne que se concentrent un si grand nombre d’occasions, montre aussi que c’est véritablement un pays plein de dynamisme, plein de force de la foi, et la foi répond aux défis qui sont également présents en Espagne ; c’est pourquoi nous disons : le hasard a fait en sorte que je vienne, mais ce hasard démontre une réalité plus profonde, la force de la foi et la force du défi pour la foi.

Merci, Très Saint-Père. Voulez-vous à présent ajouter quelque chose pour conclure notre rencontre? Y a-t-il un message particulier que vous espérez adresser à l’Espagne et au monde d’aujourd’hui avec ce voyage?

Je dirais que ce voyage a deux thèmes. Le thème du pèlerinage, de l’être en chemin, et le thème de la beauté, de l’expression de la vérité de la beauté, de la continuité entre tradition et renouveau. Je pense que ces deux thèmes du voyage sont aussi un message : être en chemin, ne pas perdre le chemin de la foi, chercher la beauté de la foi, la nouveauté et la tradition de la foi qui sait s’exprimer et sait rencontrer la beauté moderne, avec le monde d’aujourd’hui. Merci.

Merci à vous, Très Saint-Père, d’avoir passé du temps avec nous et de nous avoir aussi apporté de si belles réponses. Je crois que ce voyage est en particulier un beau voyage en raison des thèmes qu’il affronte, pour les moments que nous allons vivre ensemble et je crois que nous tous qui sommes présents ici comme communicateurs, nous essaierons d’accompagner et de collaborer de la meilleure façon possible afin de pouvoir transmettre votre message de joie et d’espérance. Votre Sainteté, merci !

© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana

Traduction : Zenit

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ZENIT Staff

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