Visite du pape en Suisse: Le facteur d'unité de l'Eglise, c'est Pierre

Print Friendly, PDF & Email

Entretien avec le père Nicolas Buttet

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

ROME, jeudi 10 juin 2004 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous un entretien avec le père Nicolas Buttet, fondateur de la Communauté Eucharistein, qui a suivi de près la préparation et le déroulement de la visite du Saint Père en Suisse. Il fait ici pour Zenit le bilan de cette visite.

Zenit : Parlez-nous du contexte dans lequel s’est déroulée la visite du pape…

P. Nicolas Buttet : Le contexte de cette visite était celui d’une Suisse assez contestataire, très divisée. La situation posait problème. Des prêtres et des laïcs avaient demandé au pape de démissionner juste avant son arrivée. Les questions sur le préservatif, l’ordination des hommes mariés, l’ordination des femmes et autres avaient également resurgi. Il est vrai par ailleurs que le premier accueil vingt ans en arrière avait été relativement froid à l’égard du Saint Père. C’était donc un voyage à haut risque. A tel point qu’on a hésité à mettre le nom du Saint-Père sur les affiches pour inviter les jeunes à cette rencontre des jeunes catholiques de Suisse. Des prêtres ont même écrit dans les journaux que cette visite était très malvenue. Les media avaient un regard très circonspect sur cette visite. La fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) avait également émis de grandes réserves quant à la présence du Saint-Père en Suisse. La FEPS avait critiqué le fait que le gouvernement fédéral suisse ait établi des relations diplomatiques complètes avec le Saint-Siège, en disant que ce fait établissait une inégalité inadmissible de traitement entre confessions. Il y avait donc un climat de tension ad intra et ad extra. Cela dit, de nombreux jeunes, ayant participé aux JMJ étaient enthousiastes. Sans leur détermination, il est à craindre que cette visite n’ait jamais pu avoir lieu, faute d’invitation.

Zenit : Qu’est-ce qui s’est passé avec l’arrivée du pape ?

P. Nicolas Buttet : L’arrivée du pape a complètement renversé les choses. Le président de la Confédération, qui est un homme extraordinaire s’est engagé avec fermeté pour cette visite. Il a notamment salué le fait que le Saint-Père adresse un message d’engagement à la jeunesse suisse. Il a donc accueilli le Saint-Père et a participé à tous les grands moments de cette visite. Il a critiqué le manque de civilité des prêtres qui ont demandé publiquement au Saint-Père de démissionner. Cette attitude lui a valu quelques attaques mais ce fut un témoignage d’accueil politique d’une grande bienveillance. Au fur et à mesure que l’heure avançait le chiffre de jeunes qui allaient être présents augmentait. On a vu, au-delà de toute attente, une foule de 14.000 jeunes envahir la capitale fédérale. C’était absolument impensable. Quelques semaines auparavant, des officiels pensaient à la participation de 3.000 jeunes ! Certains prêtres ont totalement boycotté la visite.

Zenit : Comment expliquez-vous cette réponse à laquelle on ne s’attendait pas du tout ?

P. Nicolas Buttet : Il y a plusieurs choses à dire. Certainement qu’il y a eu une action particulière de l’Esprit-Saint qui a su mouvoir ces jeunes et les rassembler. Oui, je pense vraiment que cette déferlante qui s’est déversée sur Berne, la capitale fédérale, était vraiment un appel de l’Esprit Saint dans le cœur des jeunes. On a vu dans les deux, trois derniers jours près de 2.500, 3.000 inscriptions nouvelles. Même la police ne s’attendait pas à une telle foule. Elle n’avait pas prévu assez de portes d’entrée pour le contrôle.

L’Esprit Saint voulait sans doute montrer à l’Eglise catholique qui est en Suisse que la seule manière d’être unie, c’est de se retrouver autour du vicaire du Christ, de Pierre. C’était une chose un peu oubliée chez nous ! On s’est une nouvelle fois rendu compte que c’était le Saint Père qui attirait les jeunes, et que ce n’était pas le fait que les jeunes catholiques de Suisse se retrouvent. Le facteur d’unité c’est vraiment Pierre, et je crois que c’est la leçon que l’Eglise de Suisse peut tirer de cet événement. Pour la messe du lendemain, ce fut le même signe prophétique: parce qu’il y a eu deux fois plus de participants que prévu. A force d’entendre la voix des contestataires, on avait presque fini par croire que c’était la normalité. Il s’est trouvé un peuple de Dieu de tous âges, langues, nationalités et origines sociales pour se lever et proclamer leur foi en l’Eglise de Jésus-Christ conduite par Pierre.

Zenit : Est-ce que la Suisse sera maintenant à même de donner une suite à ce qui a été vécu ? Pourra-t-elle répondre à l’attente des jeunes ?

P. Nicolas Buttet : Je pense qu’il y a eu un renversement extraordinaire qui s’est produit. Un renversement médiatique complet dans l’état d’esprit. Tous les journaux ont consacré au minimum trois pleines pages à l’événement alors qu’avant il n’y avait que des entrefilets, des petits titres discrets et beaucoup de doutes. Le même journal titrait avant la rencontre « le désamour » entre Rome et la Suisse. Et juste après il parlait de l’amour pour le Saint-Père et pour l’Eglise ! Il y a une sorte de visibilité de l’Eglise catholique de Suisse qui a repris conscience d’elle-même, qui a comme compris qu’elle avait un rôle à jouer et que le peuple de Dieu attendait un message clair.

Ce qui est frappant aussi, c’est que la plupart des applaudissements se sont faits vraiment aux moments décisifs des discours du Saint-Père. Le sacrement de la confession est souvent abandonné au profit de l’absolution collective par exemple. Quant le pape a dit aux jeunes: « Allez rencontrer un prêtre pour demander le pardon de Dieu », les jeunes ont applaudi. Quand il a parlé d’une rencontre personnelle avec Jésus-Christ, les jeunes ont applaudi. L’évêque de Bâle, Mgr Koch, qui certainement souffre le plus des tensions dans l’Eglise en Suisse, a eu une ovation. Il y a eu une prise de conscience qu’il y avait véritablement un peuple de Dieu qui était fidèle à l’Eglise et au magistère. Les media et l’Eglise en ont pris conscience, comme en sortant d’une léthargie. Il y avait une sorte de défaitisme ambiant, et une perte d’énergie pour évangéliser.

Cette prise de conscience à mon avis ne va pas s’estomper de si tôt. D’une part, parce qu’elle n’est pas d’abord émotionnelle mais qu’elle s’inscrit bien dans un réveil de foi. Ensuite. Parce qu’il y a également toute une équipe de prêtres et notamment la jeune génération, une équipe d’assistants pastoraux aussi, qui ont porté la préparation de cette rencontre, qui portent la préparation des JMJ et qui participent donc à cette synergie de la pastorale des jeunes en Suisse. Cet élément est nouveau aussi. La Suisse a mis beaucoup de temps à rentrer dans la dynamique des JMJ mais je crois qu’elle est dedans maintenant. L’évêque en charge de la pastorale des jeunes pour la Conférence épiscopale, Mgr Theurillat a bénéficié du travail merveilleux de son prédécesseur Mgr Burcher. Mgr Theurillat a compris l’importance de sa mission et ne compte pas son temps et ses efforts pour promouvoir cette pastorale. Il y a donc maintenant nettement plus que lors de la première visite, une capacité et une volonté de saisir la balle au bond et de pouvoir faire éclore les graines qui ont été semées par cette visite.

Zenit : Les relations avec les protestants ont été difficiles…

P. Nicolas Buttet : Les protestants ont eu des réactions assez douloureuses à plusieurs points de vue. D’abord par rapport à la nomination de l’ambassadeur près le Saint-Siège. 173 pays du monde ont des relations avec le Saint-Siège, y compris des pays musulmans, et voilà qu’un pays chrétien n’avait pas de relations pleines et entières avec le Saint-Siège. Le fait que l’autorité f
édérale décide d’établir ces relations provoque une réaction chez les protestants qui relève d’une mentalité du XIXe siècle et qui est donc fort regrettable. Et puis il y a eu le refus de participer à l’eucharistie du dimanche sous prétexte qu’il n’y avait pas d’inter-communion possible. C’est un manque de respect de l’identité catholique, ce d’autant plus qu’ils le savaient depuis très longtemps, car l’Eglise catholique n’a pas changé d’avis sur ce sujet depuis le XVIe siècle et elle ne va pas changer.

Mais je crois que ces réactions dures sont aussi une chance. La venue du pape a mis en lumière les difficultés d’un œcuménisme ambigu et souvent mal compris. Jean-Paul II a insisté sur l’urgente nécessité d’engager nos forces à servir l’unité de l’Eglise. Le fait de rappeler la vérité de l’œcuménisme tel qu’il doit être vécu en vérité et en charité est une grâce. J’espère que l’on pourra ainsi grandir vers un œcuménisme mature, adulte, c’est-à-dire un oecuménisme où l’on ose se parler clairement et où l’on sait respecter les différences. Cela nous libérera d’un œcuménisme adolescentrique, c’est-à-dire fusionnel où le critère n’est plus la vérité mais le mimétisme. Cette visite a mis en lumière les lacunes graves et des dérives importantes en Suisse et donc a remis les pendules à l’heure quelque part. A mon avis, ces prises de positions publiques de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse peuvent servir à faire repartir un œcuménisme responsable. Il faut saluer la présence d’un pasteur à la veillée du samedi et se réjouir qu’il ait pu délivrer un message aux jeunes.

Il y a eu cependant une violence terrible dans certains milieux évangéliques. Ils étaient partout sur le parcours en distribuant des tracts, demandant de sortir de l’Eglise catholique, la grande prostituée, mentionnant le pape comme un démon. Cette attitude de non respect mérite aussi un approfondissement sur les relations avec nos frères et sœurs évangéliques.

Zenit : En conclusion, cette visite vous inspire-t-elle une réflexion particulière ?

P. Nicolas Buttet : Durant cette visite, il y avait comme une présence sacramentale du Saint Père, qui a ouvert les portes de la grâce. Il y a là un mystère spirituel, surnaturel. Il y a ce qui est visible et ce qui est invisible. Je crois que la souffrance du Saint-Père – car il était quand même souffrant – va porter des fruits un peu comme saint Paul le dit : « Je souffre en ma chair ce qu’il manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Eglise ». Au-delà de l’émotion il y a comme une grande Pentecôte qui s’est ouverte sur une Suisse qui ne savait plus très bien comment s’en sortir, une Eglise repliée sur elle-même, qui révise sans cesse ses structures, une Eglise riche, qui n’avait pas d’issue en elle-même si ce n’est par le souffle de ce vent frais venu d’ailleurs. Et tout d’un coup on s’est rendu compte que la venue du pape pouvait faire l’unité entre les quatre régions linguistiques, entre les trois grandes régions culturelles, entre les tendances différentes qui cohabitent légitimement dans l’Eglise. Communautés anciennes, nouvelles, paroisses se sont retrouvées dans une même action de grâce et je crois que cet événement a redonné une espérance à cette Eglise qui est en Suisse. Je souhaite vivement qu’elle puisse repartir dans l’évangélisation audacieuse. Je crois qu’on peut dire que l’événement de Pentecôte a été vécu en ce dimanche de la Trinité à Berne.

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel