Une voix crie dans le désert en Terre Sainte

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Interview de Mgr Fouad Twal, patriarche latin de Jérusalem

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JERUSALEM, Dimanche 7 mars 2010 (ZENIT.org) – ZENIT lance ce dimanche en langue française une nouvelle section intitulée « Là où Dieu pleure » qui donnera la parole à des représentants d’Eglises persécutées dans le monde.

Les interviews seront réalisées par le Catholic Radio and Television Network (CTRN) avec la coopération de l’association catholique internationale catholique Aide à l’Eglise en détresse (AED). Elles seront traduites et publiées par ZENIT.

Bien que représentant une petite minorité en Terre sainte, les chrétiens arabes pourraient jouer un important rôle de pont dans le conflit qui a divisé la région pendant trop longtemps, affirme le patriarche Fouad Twal.

Le patriarche latin de Jérusalem déplore, toutefois, que la communauté internationale tardant à les prendre en considération, le nombre de chrétiens est en baisse. Une partie du problème, fait-il observer, tient à ce que le mur de 8 mètres de hauteur édifié par Israël autour des territoires palestiniens, a rendu la vie quotidienne impossible pour beaucoup.

Si l’on recense environ 50 000 chrétiens vivant dans la Bande de Gaza, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, ils sont plus de 200 000 en Israël.

Dans cette interview, le patriarche examine les nombreux défis auxquels sont confrontés les chrétiens vivant en Terre sainte. Il lance également un appel pour les trois « P » : Prière, Projet, Pression.

Comment voyez-vous la situation des chrétiens en Terre sainte aujourd’hui ?

Patriarche Twal : Nous devons garder présent à l’esprit que le patriarcat latin couvre trois Etats : la Jordanie, la Palestine, Israël, et même Chypre. Il n’est donc pas facile de parler d’un Etat, car les situations changent d’un Etat à l’autre. En règle générale, dans le monde, comme chacun sait, il y a un Etat qui compte de nombreux diocèses ; dans notre cas, il y a un diocèse au sein de nombreux Etats.

Le fait que nous vivons en conflit signifie des frontières entre ces Etats, qui créent des problèmes ; passer les frontières signifie des problèmes, affecter un prêtre d’une paroisse à une autre paroisse n’est pas facile. Il nous faut des permis, délivrés par Israël pour circuler dans ces trois Etats, rattachés au seul patriarcat de Jérusalem.

Comment décririez-vous les sentiments de la population à Jérusalem, et particulièrement des chrétiens en Terre sainte ?

Patriarche Twal : C’est une ville particulière, une belle ville, une ville spectaculaire sur laquelle le Seigneur lui-même a pleuré. Et nous continuons à pleurer. Ce n’est pas facile. Jérusalem réunit tous les croyants – juifs, musulmans, chrétiens – [mais] en même temps, Jérusalem divise tous les croyants, jusqu’à la mort. Tout le monde veut faire de Jérusalem sa capitale, et pour moi, Jérusalem doit être la mère des Eglises, la mère de tous les croyants, et pas d’un seul peuple.

D’un côté, on ne peut que se réjouir de voir tous ces gens qui viennent visiter les Lieux saints ; et de l’autre, il est douloureux de voir l’Eglise locale, les chrétiens locaux qui ne peuvent même pas s’y rendre. Un prêtre d’une paroisse de Bethléem ne peut pas emmener ses fidèles en pèlerinage dans les Lieux saints. Même situation à Ramallah, et en Jordanie, et dans d’autres paroisses ; il ne leur est pas facile de se déplacer étant donné la multiplicité des contrôles et le mur qui les sépare.

C’est une question clé. La situation des chrétiens en Terre sainte s’est-elle aggravée avec la construction du mur ?

Patriarche Twal : C’est sûr, le mur sépare les familles. Il ne s’agit pas seulement d’une question de Lieux saints, mais aussi de familles ; des familles, des jeunes gens ne peuvent rendre visite à leur grand-père ou leur grand-mère de l’autre côté du mur. Ils ne peuvent pas se rendre dans leur champ, leur jardin, et leurs oliviers de l’autre côté. Le problème est considérable. Ce n’est pas seulement une question de Lieux saints, mais de dignité des familles, de séparation entre les jeunes et les vieux. Ils ne peuvent pas rendre visite à quelqu’un qui se meurt de l’autre côté.

Vous circulez avec votre passeport diplomatique du Vatican ?

Patriarche Twal : Oui, c’est exact, je peux donc visiter les paroissiens dans les trois Etats qui constituent un patriarcat : la Jordanie, Israël, et la Palestine. Le problème se pose quand nous devons envoyer un prêtre d’une paroisse à l’autre en fonction de notre travail pastoral, de nos besoins pastoraux ; il me faut réfléchir avant de savoir s’il sera autorisé à y aller ou pas, et c’est un gros problème.

En Jordanie – la plus grosse partie du patriarcat et la source de nos prêtres, séminaristes et religieuses, la question se pose toujours de savoir si nous pouvons les faire venir en Palestine. L’autre question concernant nos jeunes séminaristes qui sont à Beit Jala, près de Bethléem, est de savoir s’ils peuvent partir en vacances voir leurs familles.

Voir leurs familles ?

Patriarche Twal : Oui, c’est un problème. Le conflit est là. Nous supportons les conséquences du conflit. Ce n’est pas de cette autorisation dont nous avons besoin, mais de paix. Nous avons besoin d’une vie normale. Nous avons besoin de la liberté de mouvement pour nous déplacer en toute tranquillité, sans problèmes, sans permis. Même si Israël nous les accorde, nous ne leur sommes pas très reconnaissants. Nous serons reconnaissants quand nous aurons obtenu notre paix, quand nous vivrons une vie normale et quand nous pourrons circuler sans problèmes.

Le fait est que ce conflit dure depuis 60 ans à un siècle, et jusqu’à présent, nous n’avons constaté aucun progrès vers plus de paix, plus de dignité, plus de liberté. Nous n’avons pas obtenu cela, mais nous ne perdrons jamais espoir, nous ne cesserons jamais de prier et de solliciter l’aide extérieure pour réaliser la paix.

Les chrétiens sont pris en tenailles entre les musulmans extrémistes et le sionisme extrémiste. Là où les chrétiens se sont frayés une place, il y a un sentiment d’agressivité envers la communauté chrétienne des deux côtés, non ?

Patriarche Twal : Je suis d’accord pour dire que la situation dramatique doit nous ramener à l’Evangile et nous inciter à le prendre au sérieux. « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive », nous dit le Seigneur dans l’Evangile.

Et c’est notre « pain quotidien » – porter la croix sur les lieux mêmes où il s’est chargé de sa croix. Et en tant que chrétien, et en tant que minorité, que cette croix vienne des juifs, des musulmans, de nous-mêmes, peu importe. Le fait est que, sans la croix, nous ne pouvons pas vivre en Terre sainte, nous ne pouvons pas aimer la Terre sainte, nous ne pouvons pas travailler en Terre sainte, aussi la situation du mur nous amène à prendre l’Evangile à la lettre. En même temps, dans l’Evangile, le Seigneur nous dit : « N’ayez pas peur ! Je ne vous laisserai pas seuls ».

C’est pourquoi notre enthousiasme, notre joie de vivre, de travailler, d’évangéliser, d’accomplir notre activité pastorale, ne dépend pas de la joie de la situation politique – si le gouvernement est avec nous ou contre nous – notre joie de vivre, de travailler, de prier, provient d’une autre source : du Seigneur, de sa force, de son amour, de son pardon.

Vous avez dit que les chrétiens arabes étaient comme un pont entre l’Est et l’Ouest. Quel est le rôle des chrétiens dans ce contexte ?

Patriarche Twal : Tout d’abord, nous devons maintenir et respecter notre identité à la fois arabe et chrétienne ; nous ne pouvons pas oublier cette identité. En tant qu’Arabes, nous avons les mêmes traditions, nous avons la même langue, la même approche que les musulmans. Nous pouvons parler avec eux. Nous nous sentons
plus arabes qu’ils ne le sont ; il y avait des Arabes plusieurs siècles avant l’arrivée de l’islam au Moyen-Orient, et nous sommes fiers de dire que nous sommes arabes, et venant du désert. Je le dis volontiers, et je n’ai aucun problème avec cela.

Dans le même temps, nous sommes chrétiens, et nous avons une culture, une culture chrétienne et une culture occidentale, et nous pouvons et devons être un facteur de modération, un facteur de réconciliation, un facteur ou un pont entre deux peuples en conflit. La question est de savoir si la communauté internationale nous accepte ou nous considère, comme tels. C’est toute la question.

Très souvent on nous oublie. On prend des décisions concernant le Moyen-Orient souvent sans songer à cette petite minorité chrétienne dans la région. Et souvent nous faisons les frais de ces décisions, car personne ne nous considère et ne considère notre présence entre une majorité de musulmans et une majorité de juifs.

Si vous aviez un appel à lancer au peuple catholique, en faveur des chrétiens de Terre sainte, quel serait-il ?

Patriarche Twal : L’appel est simple : l’appel aux trois « P ».

Prière : nous avons demandé à l’Eglise dans le monde entier avec leurs communautés, avec leurs prêtres et leurs fidèles, de prier pour la paix en Terre Sainte parce que nous croyons encore à la puissance de la prière. Je vous donnerai ma paix, a dit le Seigneur. La paix que le monde, que les hommes politiques ne peuvent, ou peut-être ne veulent pas donner, il nous la donnera. […] Cette paix signifie sérénité, foi, amour, et respect de tous. Ainsi le premier « P » est Prière.

Le second « P » est Projet : je vous en prie, adoptez un projet, social, religieux ou culturel. Vous pouvez adopter des écoles, vous pouvez adopter des séminaristes, et vous pouvez adopter le Patriarcat, vous pouvez et vous devez aider.

Et le dernier « P » est Pression sur les gouvernements pour faire la paix. Plus que tout, c’est de ceci dont nous avons besoin. Nous n’avons besoin de rien d’autre. Nous avons besoin de paix. Nous avons besoin qu’un calendrier soit fixé pour nous débarrasser des postes de contrôle, et du mur, et nous devons être en paix avec tout le monde.

Nous voulons convaincre tout le monde qu’avec les armes, les murs, et les postes de contrôle, il n’y aura pas de paix et il n’y aura pas de sécurité. La paix et la sécurité seront ou pour tous ou alors peut-être jamais. Aucun peuple, israélien ou palestinien, ne peut jouir de sécurité et de paix d’un seul côté ; soit les deux peuples auront paix et sécurité, soit ils continueront à s’entretuer et nous n’en finirons jamais avec cette violence. Et ce n’est pas ce que nous voulons.

Nous voulons paix et sécurité pour tous : juifs, musulmans et chrétiens.

Propos recueillis par Mark Riedemann

Traduit de l’anglais par Elisabeth De Lavigne

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Sur le Net:

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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