Une alliance entre l’homme et la création, par le rabbin Skorka

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Réflexion du rabbin Skorka sur la préservation de la planète, sur l’horizon de l’Alliance de Dieu avec l’humanité.

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Le rabbin Skorka explique ce que signifie « choisir la vie » : « Choisir la vie signifie avoir Dieu présent dans l’activité humaine ».

Le rabbin argentin, ami du pape François, Abraham Skorka, a en effet publié dans L’Osservatore Romano en italien du 8 septembre, une réflexion intitulée : « Entre l’homme et la création. Une nouvelle alliance ».

Une alliance qui est « solidarité de Dieu » avec l’humanité et invite l’humanité à « choisir la vie », et donc à garantir la survie de l’humanité, des générations à venir, et de la planète qui est son lieu de vie.

Il souligne que « l’un des récits les plus importants qui apparaissent dans la Bible hébraïque est certainement celui du déluge et de Noé » : « Dieu est, pour ainsi dire, en colère à cause des actions qu’il voit les êtres humains accomplir. Le comportement de la majeure partie du genre humain est amplement décrit comme déréglé et corrompu (Genèse 6, 11). En termes rabbiniques, le Yetzer HaRa, l’instinct qui tend vers l’ambition, le contrôle et la domination prévaut sur le Yetzer HaTov, l’instinct qui pousse les hommes à accomplir le bien. Le Yetzer HaRa doit être dominé pour servir le Yetzer HaTov et non pour l’asservir : c’est ainsi que les rabbins expliquent sa fin. »

Il y lit un avertissement de Dieu pour notre époque : « Au-delà de la promesse de Dieu faite aux hommes, de ne plus jamais détruire la terre par un déluge dévastateur, on peut entendre – surtout après le développement des armes nucléaires, avec leur immense pouvoir destructeur – l’avertissement implicite fait par Dieu à l’humanité : s’il doit y avoir une autre extermination dans le monde, elle viendra de la main des hommes. »

Il y lit aussi « l’impératif » pour tout homme, croyant ou pas, de prendre soin de la Création, pour les générations à venir : « Ce récit contient deux éléments qui transcendent la condition religieuse et la foi de celui qui le lit. Le premier est l’impératif posé à la conscience collective des hommes de prendre soin de la nature, de la demeure planétaire de l’espèce humaine. Les individus viennent au monde avec le droit de vivre dans la dignité sur cette planète. Malgré toute la douleur et les injustices subies par les personnes, nul ne peut supprimer ce droit aux générations qui viendront. Le second élément transcendant est celui de l’alliance. Sans un engagement fort et clair, un pacte humain accepté par toutes les nations et tous les peuples, l’humanité courra à l’avenir le risque d’une destruction désastreuse. Une telle menace s’est vérifiée lors de diverses crises du passé, comme quand des milliers de missiles dotés de têtes nucléaires étaient sur le point de déchaîner une dévastation incontrôlable. »

Cette préservation de la « maison commune », selon l’expression du pape François, fait partie du « pacte social » : « Sans un pacte social, il est impossible d’instituer une société civile. De Platon à Rousseau, de nombreux penseurs ont reconnu, de diverses manières, l’importance cardinale du contrat social comme instrument fondamental pour la formation d’une société civile. Épicure, Cicéron, Hobbes et Locke, par exemple, ont tous développé, selon leur perspective propre, des théories sur le besoin essentiel d’un contrat social pour l’institution d’une société organisée, d’une nation et d’une humanité civilisée. »

Mais plus que de « pacte », le rabbin Skorka parle « d’alliance », en  termes bibliques qu’il explique à partir d’Adam: « Le concept d’alliance est central dans la littérature biblique. Tout le livre de la Genèse pourrait être considéré comme une description des efforts de Dieu pour établir un pacte avec les êtres humains, pour établir avec eux un rapport de bénéfices et d’obligations. Les règles fondamentales du rapport primordial entre Dieu et les êtres humains comprenaient le commandement de garder et de cultiver le Jardin d’Eden (Genèse 2, 15), l’habitat naturel et béni préparé par Dieu pour Adam et sa famille. »

Il souligne la double direction de cette « alliance », comme « solidarité de Dieu avec les hommes » : « Le rapport d’alliance que Dieu demande aux êtres humains a deux fins. Du côté divin, il lie Dieu par solidarité à l’existence humaine. Du côté humain, il établit des limites pour les consciences mortelles. Vivre en alliance comporte des droits et des devoirs pour tous les participants. Dieu promet de ne pas exterminer le monde et exige de l’humanité un comportement moral. Les hommes aussi doivent promettre de ne pas détruire le monde en laissant se développer leurs ambitions et leurs appétits de manière incontrôlée. La promesse de Dieu, de solidarité avec les hommes, concerne la foi particulière de tous les individus. Mais la seconde promesse, humaine, est un impératif et une nécessité pour la continuité de la vie des hommes sur la terre. Accepter des limites, contrôler les possibilités de destruction dans la psyché humaine, est une nécessité vitale et dramatique afin de garantir l’existence continue de l’humanité. »

En termes qui rappellent le Deutéronome (« Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et ta postérité vous viviez », Dt 30, 19-20), le rabbin Skorka explique ce que signifie « choisir la vie », dans l’histoire : « Choisir la vie signifie avoir Dieu présent dans l’activité humaine. Toutefois, choisir la vie doit être compris aussi comme vaincre en chaque individu les impulsions destructrices, qui font partie de la condition humaine. La lutte pour contrôler le Yetzer HaRa, l’instinct de pouvoir et d’agression, est un aspect essentiel de la foi biblique en Dieu, qui exige justice et miséricorde. Par conséquent, accepter de vivre dans l’alliance signifie lutter pour établir des limites à son propre comportement personnel et social. Freud a conclu son fameux essai, Le malaise de la civilisation (1929), par une analyse dramatique de cette lutte, point central pour l’avenir de l’humanité dans un monde technologique hautement développé. Il écrivait : « Le problème fondamental du destin de l’espèce humaine me semble être celui-ci : si et jusqu’où, l’évolution civile des hommes réussira à dominer les bouleversements de la vie collective provoqués par leur pulsion agressive et autodestructrice. Sur ce point, le temps présent, justement, mérite peut-être un intérêt particulier. Les hommes, maintenant, ont tellement étendu leur pouvoir sur les forces naturelles qu’en s’en servant, il leur serait facile de s’exterminer mutuellement, jusqu’au dernier homme. Ils le savent, d’où une bonne part de leur inquiétude, de leur malheur et de leur appréhension actuels. Et maintenant, il faut espérer que l’autre des deux ‘puissances célestes’, l’Eros éternel, fera un effort pour s’affirmer dans la lutte contre son adversaire également immortel (Thanatos). Mais qui peut prévoir s’il réussira et quelle en sera l’issue ? » Cette dernière phrase a été ajoutée en 1931, quand la menace d’Hitler commençait déjà à être évidente. »

A propos de l’encyclique du pape, il fait observer ceci : Laudato sí, la récente encyclique du pape François, traite de la version postmoderne de ce problème angoissant auquel est confrontée l’humanité aujourd’hui. Le monde actuel se caractérise par un consumérisme sauvage et sans discrimination qui menace de détruire l’environnement. L’encyclique ne déclare pas explicitement qu’il y a aujourd’hui des dirigeants qui se considèrent comme des idoles et qui entraînent le monde vers la destruction totale. Toutefois, elle indique cl
airement que l’individu postmoderne est affecté d’une indifférence et d’un manque d’engagement authentique envers l’alliance avec Dieu. Elle nous met en garde contre le danger d’une catastrophe mondiale, conséquence de la destruction de l’environnement d’un côté, et contre la faim et la pauvreté extrême de l’autre. Elle nous rappelle les paradigmes qui ont façonné les desseins destructeurs dans les esprits des dictateurs du siècle passé, et dont certains semblent fonctionner chez certains des dirigeants actuels. »

C’est pourquoi il évoque une alliance « nouvelle » : « Le monde exige une nouvelle alliance entre les hommes et l’environnement. Celle-ci doit, en même temps, refléter une nouvelle alliance entre les individus, les peuples et les nations, afin de déraciner l’arrogance et l’esprit de domination dans nos comportements les uns à l’égard des autres. De fait, ces deux attitudes vont ensemble. Dieu doit être (re)découvert par les êtres humains. Pour reprendre le langage de Freud, Eros (l’amour) doit dominer Thanatos (la mort). L’humanité doit se redécouvrir elle-même dans son besoin d’un rapport profond d’alliance. »

© Avec une traduction de Zenit, Constance Roques

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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