Un congrès international sur « évolution biologique : faits et théories »

Print Friendly, PDF & Email

Entretien avec Mgr Gianfranco Ravasi

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

ROME, Mardi 27 janvier 2009 (ZENIT.org) – Il y a 150 ans, Darwin écrivait son livre « L’Origine des Espèces », une œuvre fondamentale de la biologie évolutionniste. Suite à de récentes et importantes découvertes scientifiques, le thème de l’évolution biologique mérite d’être attentivement et sérieusement reconsidéré, au plan scientifique mais aussi dans une optique qui soit  plus spécifiquement philosophique et théologique, en évitant les positions idéologiques qui ont souvent dominé les débats.  

Partant de cette conviction mais dans l’objectif essentiel de promouvoir un rapport dialectique correct et fécond entre la science, la philosophie et la théologie, l’université grégorienne, dans le cadre du projet STOQ, organise un congrès international, du 3 au 7 mars sur le thème : « L’évolution biologique: faits et théories », placé sous le haut patronage du Conseil pontifical de la culture (cf. Zenit du 5 février).

Pour mieux comprendre l’importance d’un sujet qui passionne autant les scientifiques que les philosophes et les théologiens du monde entier, et fascine tout autant un grand nombre de personnes dans chaque domaine, le journaliste italien Marco Cardinali a interrogé Mgr Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture. 

Q – Excellence, pourquoi le Conseil pontifical de la culture a-t-il voulu parrainer ce congrès sur l’évolution?  

Mgr Ravasi – Il y a deux raisons principales à cela. La première touche aux fonctions mêmes du dicastère qui, ayant la culture comme vecteur, la considère dans sa forme désormais contemporaine. La culture n’est pas seulement la dimension artistique intellectuelle, humaniste, mais englobe une panoplie de disciplines qui ont désormais leur impact au sein de l’expérience sociale et humaine, comme faisant partie de l’intérêt même de la culture. 

Nous savons par ailleurs que le domaine culturel est aujourd’hui devenu un domaine transversal qui traverse les expériences fondamentales de l’homme dans leur capacité de réflexion, et donc dans leur capacité à interpréter la réalité. La science occupe donc, au sein de la culture contemporaine,  une place de choix, et implique une confrontation, une attention de la part de ceux qui utilisent la culture comme point de repère.

La seconde raison est que la dimension scientifique est, ces derniers temps, entrée maintes fois en opposition avec la dimension religieuse, entraînant la foi et la science dans une confrontation devenue, plus que toute autre, particulièrement délicate et serrée. C’est pourquoi il est  absolument indispensable que nous rebâtissions une rencontre sur les frontières. C’est-à-dire que le scientifique doit commencer à voir l’horizon de la philosophie et de la théologie. Il doit arracher de son esprit cette conviction que nous sommes en présence d’un échantillon, d’un paléolithique intellectuel  lointain, qui fait face à la force de la science ; pour leur part, le théologien et le philosophe doivent parvenir à regarder le domaine scientifique sans avoir toujours peur de rencontrer des personnes qui veulent construire de nouveaux monstres, rompant ainsi tout lien, tout domaine propre à l’humanité ou, quoiqu’il en soit, à l’anthropologie.  

Cette seconde raison, très importante, se résume en un mot, dont on fait d’ailleurs un très large abus de nos jours, et qui est très difficile à décliner. C’est  le mot « dialogue ».

Q – Donc, le thème, et c’est logique, s’insère dans le débat fascinant entre la science et la foi, dans l’espoir qu’il en découle un vrai dialogue. A votre avis, existe-t-il un risque, aussi bien d’une partie que de l’autre, de faire émerger une position définitive qui penche d’un côté ou de l’autre?  

Mgr Ravasi – Les risques sont multiples et toujours aux aguets quand on commence à considérer les questions de frontière, toujours très délicates, qui admettent le franchissement des limites de leur nature ; le premier risque est certainement que chaque domaine affirme pour lui-même une sorte de position définitive. Mais, paradoxalement, on peut avoir à faire au risque opposé, c’est-à-dire à l’affirmation de quelque composante extravagante, dans le vrai sens du terme, qui sorte, erre en-dehors des limites de l’horizon dans lequel il est plongé. 

Il y a par exemple des scientifiques qui sont rigoureux dans leur propre discipline et qui, lorsqu’ils se retrouvent dans un débat d’idées en territoire philosophique ou méthodologiquement différent, laissent apparaître des théories étranges qui sortent de leurs limites de compétence. L’autre risque est de faire en sorte que quelqu’un cherche à trouver au sein des discussions ses propres thèses, ses propres solutions. Dans cette optique, certains se sentiront certainement exclus du débat, se feront entendre et diront que manque leur voix spécifique. Pensons par exemple à tout le courant américain du « créationnisme » qui a certainement sa propre vision et pourrait, à l’avenir, être lui aussi objet d’un autre fervent débat.

Donc les risques sont multiples, mais je suis convaincu que la possibilité entre les hommes de culture, dans le sens le plus élevé et le plus noble du terme, de se confronter, fera en sorte qu’au-delà des dérives, au-delà également de toute dégénération envisageable du débat, il y ait au contraire une confrontation sérieuse et qualifiée.  

J’utilise souvent, quand je parle de dialogue interreligieux, une image qui, selon moi, peut être adaptée à notre thème ; l’image du duo, c’est-à-dire tenir compte du fait que pour créer une harmonie il n’est pas nécessaire qu’il y ait concordisme, c’est-à-dire que la théologie et la science disent la même chose ; d’ailleurs à dire la même chose, cela voudrait dire à ce moment-là que l’une ou l’autre se trompe puisque toutes les deux lisent forcément la réalité selon deux visions différentes. En revanche, l’image du duo, indique que l’harmonie peut être atteinte comme lorsque l’on met ensemble une voix de soprano et une voix de basse, chacune ayant son propre timbre mais pouvant s’associer l’une à l’autre pour construire une harmonie. Il s’agit de deux lectures sous deux angles différents, deux visions différentes sur une même réalité qui doivent conserver leur diversité, mais montrer qu’elles sont l’interprétation d’une même réalité.  

Q – Au niveau international de nombreuses initiatives sont prévues en cette année 2009, quelques unes au  niveau scientifique. Ce Congrès est certainement, à ce jour, la plus grande initiative jamais organisée au sein de l’Eglise catholique sur la question, mettant donc en évidence la volonté de l’Eglise de se confronter sur ces questions de limites. Parmi les risques que nous venons de mentionner, pourrait-on ajouter la limite que ce congrès hautement scientifique ne s’adresse, au fond, qu’à une minorité de connaisseurs et que la majorité des personnes restent éloignés de l’évènement et ne sont pas concernées par la question ?  

Mgr Ravasi – En effet, j’ai déjà proposé aux organisateurs de maintenir avant tout une certaine rigueur. Ceci est essentiel, car si l’on conçoit déjà cette rencontre comme un congrès de vulgarisation, un congrès de type général, on court le risque de tomber dans l’approximation et d’aboutir à un accord général ; ou alors, d’arriver justement à cette dissociation qui se base sur des présupposés idéologiques de type antécédent.  

Donc ceux qui s’inscriront doivent être conscients que chaque intervention sera de haut niveau et que cela demandera beaucoup d’efforts, l’effort  de ceux qui ont à travailler à l’intérieur de la pensée, donc à l’intérieur d’une élaboration conceptuelle et thématique sophistiquée et raffinée.

Mais, en plus de cette rigueur que j’ai demandé de co
nserver durant le congrès, j’ai proposé qu’il y ait aussi au moins deux parcours à pratiquer : une rencontre ou tout simplement un atelier. On étudiera ensuite comment lui donner un accent didactique et faire en sorte qu’il tienne compte des éventuelles finalités, transcriptions des contenus, mais aussi des visions plus générales autour de ce thème de l’évolution biologique, et de la question concernant le rapport entre la foi et la science dans un but plus spécifiquement pastoral, mais également scolaire et didactique.

Si tout cela est fait dans un esprit rigoureux, on peut envisager de l’étendre au domaine scolaire, disciplinaire, et pourquoi pas dans les écoles supérieures, sans exclure la possibilité de travailler aussi pour les enfants des écoles primaires. Le deuxième itinéraire à suivre est l’élaboration des textes, non les actes académiques, mais des textes dont le but est d’aller à la rencontre des questions qui surgissent de la base, provenant de personnes qui se sentent continuellement provoquées sur ces thèmes, dans la presse, les magazines, à la télévision, et qui se résolvent la plupart du temps par quelque boutade ici et là, voire même, parfois, par des phrases ironiques et non par un approfondissement sérieux. Dans ce deuxième domaine, on pourrait impliquer des institutions ecclésiastiques, culturelles, dont l’intérêt culturel serait justement axé sur cet aspect, je pense par exemple aux universités pontificales.  

Q – Quelle attitude conseilleriez-vous d’adopter à ceux qui participeront au congrès à la l’université pontificale grégorienne ou à ceux qui le suivront à distance ? 

Mgr Ravasi – Nous pourrions presque évoquer une tradition qui appartient à l’histoire de la culture. Les deux grands verbes qui modèlent la culture sont : d’un côté le verbe « écouter » qui comprend évidemment aussi le verbe lire. Ecouter est ce qui, en absolu, est le plus difficile à faire. Il est faux de dire qu’il est plus difficile de parler en public, il est beaucoup plus difficile d’écouter. Ecouter veut dire suivre les parcours qui sont proposés, les suivre avec attention, avec effort, tant il est vrai que nous, en italien, nous avons un terme très significatif pour définir ce qui n’a pas de sens, c’est le terme « assurdo » (absurde), qui dérive du mot « surdité », autrement dit ne pas être capable d’entendre les argumentations.  

Il faut donc venir au congrès un peu dépouillés de tant de préjugés, de tant de conditionnements et commencer à suivre les parcours qui seront indiqués. L’écoute est un exercice fondamental surtout en cas d’interventions complexes comme le sont celles-ci. 

Le second verbe fondamental est le verbe « connaître ». Je dirais que sa plus haute définition culturelle est celle que l’on trouve dans la première ligne de la Métaphysique d’Aristote, où il est dit que tous les hommes, de par leur nature, ont le désir de connaître. Mais la connaissance n’est pas qu’une question intellectuelle ; ici on touche à des problèmes qui, comme on le voit, sont clairement de type existentiel, car on touche à la question fondamentale « qui sommes-nous ? », « quel sens avons-nous ? ». Naturellement le scientifique n’affronte cette question que du point de vue des mécanismes qui déterminent l’être, la réalité qui forme, dans ce cas-là, l’homme dans son identité. Au contraire, la philosophie et la théologie exaltent la connaissance à travers d’autres dimensions. Le scientifique aussi d’ailleurs.  

Je dirais qu’il y a au moins quatre éléments impliqués dans la connaissance : l’intelligence, la volonté, et ici il faut vraiment revenir à un « vouloir » ensemble, à une volonté commune de se mettre au service de l’humanité ; le sentiment, c’est-à-dire l’aspect affectif, l’aspect, dirais-je, de la passion qui est indispensable. Il y a des sujets qui nous engagent de manière très profonde et qui nous renvoient à cette question « qui sommes-nous réellement ? » ; enfin l’agir. Dans la Bible, le verbe connaître va jusqu’à indiquer l’acte sexuel entre deux personnes qui s’aiment et bâtissent donc une famille, une maison,un avenir. Dans ce cas, la connaissance aura un impact de type concret qui peut se révéler très délicat.  

Donc suivre ce congrès veut dire connaître intellectuellement, faire un grand exercice, voire même un exercice de volonté, de sagesse, pour savoir juger et bien évaluer ; participer, sachant que nous sommes tous en cause car c’est une question qui nous concerne ; et à la fin se rappeler que nous devons construire une science, une théologie, une philosophie qui aient une redondance dans l’existence et dans l’histoire.

[Pour plus d’informations et pour s’inscrire au Congrès: www.evolution-rome2009.net/ ou bien www.unigre.it] 
 
 Propos recueillis par Marco Cardinali

Traduit de l’italien par Isabelle Cousturié

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel