Un cardinal à la Une du "Monde": "Irak : au risque d'un combat douteux"

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Réflexion sur le « Catéchisme » par le cardinal Cormac Murphy-O’Connor

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CITE DU VATICAN, Dimanche 8 septembre 2002 (ZENIT.org) – « Une partie essentielle du catéchisme de l’Eglise catholique nous recommande, étant donné les malheurs et les injustices qui accompagnent toute guerre, de prier et de faire tout notre possible pour ne pas être entraînés dans un conflit armé », explique le cardinal Murphy-O’connor dans les colonnes du « Monde ».

Sous le titre: « Irak : au risque d’un combat douteux », le quotidien français « Le Monde » (http://www.lemonde.fr) a en effet publié à la Une, dans son édition du 7 septembre, la traduction (par Jean Guiloineau) de l’intervention du cardinal Cormac Murphy-O’Connor, dans le « Times » de Londres du jeudi 5 septembre (cf. ZF020905 et http://www.thetimes.co.uk/).

Le cardinal Murphy-O’Connor est archevêque de Westminster, primat de l’Eglise catholique d’Angleterre et du Pays-de-Galles. Il analyse, à partir du « Catéchisme de l’Eglise catholique » (www.vatican.va/archive/ccc/index_fr.htm), la crise actuelle entre les Etats-Unis et l’Irak.

« Dans un monde globalisé, on ne peut juger le bien-fondé d’actions ou de politiques spécifiques qu’en fonction de l’amélioration apportée au sort de l’humanité tout entière, écrit le cardinal anglais. Une partie essentielle du catéchisme de l’Eglise catholique nous recommande, étant donné les malheurs et les injustices qui accompagnent toute guerre, de prier et de faire tout notre possible pour ne pas être entraînés dans un conflit armé. En fait, le texte va encore plus loin : « Tous les citoyens et tous les gouvernements doivent œuvrer pour éviter la guerre ». « 

Il reconnaît le danger ressenti par les gouvernements britannique et des Etats-Unis: « Il existe de bonnes raisons pour lesquelles beaucoup, y compris notre propre gouvernement et celui des Etats-Unis, considèrent le régime irakien comme une menace pour la sécurité de la région et sans doute de l’Occident, écrit-il. Le président Saddam Hussein a commis de nombreuses atrocités contre son propre peuple. Il a obstinément refusé de se soumettre aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, qui exigent que l’Irak rende ses armes de destruction massive. On peut penser qu’il a l’intention de se procurer des armes nucléaires, mais il n’existe aucune preuve à ce jour ».

« Aujourd’hui, la discussion entre les responsables occidentaux ne se limite pas à la nature de la menace et à l’intérêt d’un changement de régime en Irak ; elle pose aussi la question de savoir si ce changement doit être réalisé par une action militaire extérieure, c’est-à-dire en déclenchant une guerre », continue le cardinal.

Il s’appuie sur les articles du catéchisme sur la guerre: « Le catéchisme pose un certain nombre de conditions rigoureuses pour qu’un acte de défense – en l’occurrence une attaque préventive – soit considéré comme légitime. Une de ces conditions stipule que « l’emploi des armes ne doit pas entraîner des malheurs et des désordres pires que ceux qu’on veut éliminer ». Le catéchisme note que « la puissance des moyens modernes de destruction pèse lourdement pour apprécier cette condition ». »

Sa conclusion: « Une guerre en Irak causerait de grandes destructions et de grandes souffrances. Elle entraînerait aussi de très graves conséquences pour l’Angleterre et pour le monde. On peut raisonnablement penser qu’une intervention dresserait le monde arabe contre l’Occident et ruinerait les efforts faits pour la paix entre Israël et le peuple palestinien ».

Le cardinal Murphy-O’Connor iniste sur la question des « preuves »: « Le premier ministre Tony Blair a promis de publier les preuves qui justifient sa conviction de plus en plus grande que la menace que représente l’Irak est à la fois grave et imminente et que le régime doit changer ou être changé. Sans preuves convaincantes, ou mieux indiscutables, il est difficile de voir comment les craintes que nous pouvons avoir dans ce pays et à l’étranger pourraient être apaisées ».

Il ajoute trois autres séries de questions: »- Cette action militaire a-t-elle pour but de neutraliser une menace, de changer un régime, ou les deux ?
« – Cette action militaire aura-t-elle pour effet de stabiliser ou de déstabiliser la région ? Permettra-t-elle de faire avancer ou de retarder la paix entre Israéliens et Palestiniens ?
« – Cette action militaire aura-t-elle l’accord du Conseil de sécurité des Nations unies et, dans le cas de la Grande-Bretagne, celui de l’Union européenne ? Dans le cas contraire, quels seront ses effets sur les efforts entrepris pour créer une structure de lois internationales que toutes les nations respecteront ? »

Autant de questions qui appellent « des réponses convaincantes à ces questions », souligne l’archevêque.

Il insiste: « Une confrontation directe en temps de crise peut être inévitable, mais elle risque de créer autant de problèmes qu’elle se propose d’en résoudre »

A propos des « causes secondes », le cardinal raconte en effet: « Juste après les horribles événements du 11 septembre 2001, j’ai assisté à Rome à une réunion d’évêques venus du monde entier. Des marques de profonde sympathie ont été adressées aux évêques américains et, au-delà d’eux, au peuple américain. Mais étaient également présents des évêques venus de pays parmi les plus pauvres du monde qui, tout en éprouvant beaucoup de sympathie pour les Etats-Unis, ont rappelé à leurs collègues évêques d’autres genres d’atrocités. Des millions de personnes ont été massacrées au Rwanda en 1994, sans réponse satisfaisante de la communauté internationale ».

Les évêques africains, ajoute le cardinal Murphy-O’Connor évoquaient aussi « la tragédie des milliers d’enfants de leurs diocèses qui mouraient chaque semaine par manque de nourriture et d’eau potable. Comparé aux ressources disponibles dans le monde entier, un tel dénuement n’est pas seulement une tragédie humaine – c’est aussi une terrible injustice ».

Quel rapport avec « la guerre contre le terrorisme », ou « l’instabilité au Moyen-Orient « ? Lle primat d’Angleterre répond: « En consacrant des quantités presque inconcevables de ressources à la préparation et au déclenchement d’un conflit militaire, nous détournons inévitablement des fonds de la pauvreté vers la guerre. Ce faisant, nous fragilisons encore plus la vie de millions de gens, sans compter ceux qui seront victimes du conflit lui-même ».

Il propose d’envisager un autre type de « coalition », non pas militaire mais « une coalition sans précédent afin d’aider les peuples les plus pauvres du monde – les Africains en premier lieu, mais aussi les populations déplacées et pauvres du Moyen-Orient. Ne serait-ce pas là une façon plus grande, aux effets plus durables et plus positifs de s’opposer à la fois au mal que représente le terrorisme et au scandale de la pauvreté dans le monde ? »

Il remarque: « On ne peut ni décrire ni défendre le terrorisme comme une opposition à la pauvreté ; mais on ne pourra pas non plus le vaincre par la seule force des armes. Même une guerre décisive et « victorieuse » ne ferait que créer des quantités de nouvelles victimes et que renforcer l’hostilité déjà existante ».

Et de conclure: « Je suis persuadé que la puissance du sacrifice généreux, et non la puissance des armes, est la seule voie pour construire un monde plus juste et en paix. Il existe des situations où une réponse immédiate à une menace importante sert un but préventif. Cependant, on ne peut résoudre les problèmes de notre planète uniquement par une action militaire unilatérale. Dans un monde globalisé, on ne peut juger le bien-fondé d’actions ou de politiques spécifiques, qui ont un impact international, qu’en fonction de l’amélioration apportée au sort de l’humanité tout entière, en particulier les plus pauvres, et du renforcement des p
erspectives de paix. Aujourd’hui, il existe de véritables raisons de douter qu’une action militaire en Irak réponde à ces critères ».

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ZENIT Staff

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