Le patriarche Cyrille et le pape François - La Havane © L'Osservatore Romano

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Trouver un «consensus moral commun», par le patriarche Cyrille

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Le patriarche n’exclut pas une nouvelle rencontre avec le pape

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« Nous devons tenter tous ensemble de bâtir une civilisation nouvelle, globale, sur la base d’un consensus moral commun », a déclaré le patriarche russe Cyrille.
Il a parlé de sa rencontre avec le pape François et de la tragédie des chrétiens au Moyen-Orient dans une interview accordée à la chaîne de télévision Russia Today le 24 février, annonce le site Orthodoxie.com
Le chef de l’Église orthodoxe russe a affirmé que sa rencontre avec le pape François avait prouvé qu’il était possible de trouver une « réponse commune » aux questions essentielles d’aujourd’hui.
« Nous nous sommes convaincus qu’il est possible de parvenir à une réponse commune et, peut-être, je vais vous étonner, cela est-il facile à obtenir, a-t-il déclaré. Parce que les deux interlocuteurs partaient du même consensus moral : la foi en notre Seigneur Jésus-Christ, en Ses commandements, en Ses lois. »
Le patriarche a estimé que ces mêmes commandements et lois existaient aussi « dans le monde musulman, et même dans l’humanisme laïc, en tout cas à une certaine étape du développement de l’humanisme. »
« Je présume que ma rencontre avec le saint pontife a apporté une modeste contribution à la formation de ce futur consensus moral pour tous les hommes », a-t-il ajouté.
Nous publions ci-dessous quelques passages de cette interview publiée intégralement par Orthodoxie.com.
La rencontre historique (avec le pape François de Rome, RT) a eu lieu ces derniers jours. Comment les chrétiens du monde entier doivent-ils interpréter cet événement ? Cela signifie-t-il qu’une nouvelle ère commence pour la chrétienté ?
Je dirais que cette rencontre a certainement une grande importance. Il s’agit d’une tentative au plus haut niveau de comprendre ensemble où nous en sommes et où nous allons. La chrétienté, d’une part, la civilisation humaine de l’autre.
(…)
Nous savons tous ce qui se passe aujourd’hui au Proche Orient et en Afrique du Nord, comment les chrétiens qui y vivent subissent des persécutions et sont même exterminés. Hier, avec le pape, vous avez appelé les chrétiens du monde entier à prêter attention à ce qui se passe. Que faut-il entreprendre pour arrêter cette catastrophe ? Ne croyez-vous pas que c’est tout simplement un devoir moral de l’humanité que de mettre fin à ces persécutions, à ces campagnes d’extermination des chrétiens ?
Ce qui se passe au Proche-Orient est une tragédie. Le christianisme est apparu là-bas, au Proche-Orient. Aujourd’hui, à cause des opérations militaires et à cause des terroristes, nous assistons à une diminution dramatique de la population chrétienne. Il s’agit bien, en effet, d’arrêter ce processus grâce aux efforts communs des églises aussi bien que ceux de tous les hommes capables de faire quoi que ce soit de positif. Il faut conserver la présence chrétienne au Proche-Orient, en Afrique du Nord. Mais nous avons besoin de plus encore. Je suis fermement convaincu qu’il faut prévenir la déchristianisation de la société moderne par nos efforts communs, car, sous la pression du sécularisme qui devient tout simplement agressif dans certains pays, les chrétiens sont mis à l’écart de l’espace public. Et, dans un certain sens, on peut dire que les chrétiens ne se sentent pas à leur aise dans beaucoup de pays développés. Une certaine pression est exercée sur les chrétiens afin de limiter les manifestations de religiosité dans l’espace public. Tout cela témoigne de l’existence de phénomènes de crise très dangereux concernant la réalité chrétienne, la présence chrétienne. Je pense que le moment était bien choisi pour rencontrer le pape François, afin de discuter en profondeur et en détail de ce problème et en tirer des réflexions communes, celles énoncées dans le texte de la déclaration.
Ne croyez-vous pas que les grandes puissances ont aujourd’hui une responsabilité particulière, qu’elles ont l’obligation de s’interposer pour défendre les chrétiens ? Certes, la résolution des conflits par la voie militaire ne correspond pas exactement aux normes de la vie chrétienne, mais alors, comment doivent s’effectuer ces efforts ? Que faut-il entreprendre, à votre avis ?
La situation de la communauté chrétienne au Moyen-Orient exige évidemment les efforts communs de tous ceux qui sont prêts à défendre les chrétiens. Et il est parfaitement évident qu’on ne peut pas seulement employer le dialogue et les exhortations verbales pour raisonner les terroristes, il faut avoir recours à la force. Parce que ce sont les terroristes qui détruisent les villages chrétiens, les monastères, les sanctuaires et les monuments historiques. Parce qu’ils agissent par la violence, la réponse de tous ceux qui sont intéressés non seulement à la conservation de la présence chrétienne, mais plus généralement à la paix dans ces lieux, doit aussi être de recourir à la force. C’est pourquoi il est aujourd’hui très important que la Russie, les États-Unis, d’autres pays d’Europe occidentale et certains pays arabes travaillent à atteindre ce but concret : faire cesser la guerre, liquider le terrorisme et, bien entendu, assurer au peuple la possibilité de se prononcer librement, que ce soit en Syrie ou en Irak, afin que ces pays puissent vivre dans la paix et la tranquillité, pour que tous les groupes religieux, musulmans ou chrétiens, puissent coexister en paix. On aura alors une garantie de paix au Proche-Orient.
Comment doit-on résoudre la question de l’immigration d’un point de vue chrétien ? Que doivent faire les pays confrontés à ce problème ?
D’un point de vue humanitaire, d’un point de vue humain et, bien entendu, d’un point de vue chrétien, il faut aider ceux qui souffrent. Mais l’aide doit être adaptée. On peut simplement sortir de l’argent de sa poche et le donner. On peut donner à l’affamé un poisson, ou on peut lui donner une canne à pêche pour qu’il prenne son poisson lui-même. Il ne s’agit pas seulement d’aider, de soutenir, mais, avant tout, de liquider les causes de cet énorme afflux de réfugiés dans les pays européens. Et cette cause est, bien entendu, la déstabilisation de la situation politique au Proche-Orient. C’est pourquoi tout doit être fait pour liquider au plus vite les conflits existants. Je le répète, tous ceux qui sont intéressés à la question doivent y travailler ensemble. En premier lieu les États-Unis, la Russie, l’Union européenne et les pays arabes. Il ne peut pas y avoir plusieurs coalitions poursuivant soi-disant un seul but, alors qu’on ne sait pas très bien en fait qui poursuit quel but. Si l’on y parvient, si tous les pays qui sont aujourd’hui inquiets de l’expansion du terrorisme parviendront à donner au terrorisme une réponse commune, cela amènera forcément à une stabilisation de la situation au Proche Orient, à l’arrêt du torrent de réfugiés. Et je suis certain que de nombreux réfugiés rentreront d’Europe. Voilà la seule voie qui, me semble-t-il, est réaliste.
(…)
Que faut-il faire pour refouler le terrorisme et y mettre fin ? Car l’humanité est aujourd’hui confrontée à un terrorisme à un tout autre niveau : un terrorisme qui utilise les technologies contemporaines. On a l’impression qu’on ne peut pas vaincre le terrorisme par la force armée. Comment le vaincre ?
Il faut essayer de comprendre les raisons qui incitent des gens honnêtes à se faire terroristes. Je réfléchis sans cesse au fait qu’il y a, certes, des leaders terroristes qui se sont donnés des objectifs politiques et pensent qu’il est plus simple de les atteindre au moyen du terrorisme : faire sauter des gens honnêtes et parfaitement innocents, susciter des réactions de panique, détruire la stabilité. Cela s’appelle la tactique ou la stratégie du terrorisme. Mais ce sont des gens simples qui en font sauter d’autres, des gens qu’on recrute pour des actes terroristes. Je me pose donc la question : comment recruter une personne, souvent honnête, et en faire un terroriste ? J’ai beaucoup réfléchi à la question et me suis convaincu qu’on recrute les gens en utilisant des idées très nobles. Pour envoyer quelqu’un à la mort, causer la mort d’autres hommes, il faut qu’il soit très fortement motivé. Quelle peut être cette motivation ? En deux mots, la voici : « Le monde est plongé dans le mal. La civilisation occidentale contemporaine, voilà le mal. Dieu en est exclu, le monde est transformé en un monde satanique privé de Dieu. Toi seul, par ton exploit, peux contribuer à la victoire sur le mal. C’est ton devoir religieux. Tu combats les forces obscures, tu luttes contre le diable. Tu es du côté de Dieu et de la lumière ». C’est ainsi que certains prédicateurs islamiques s’adressent à leurs fidèles après la prière du vendredi. Peut-être n’avaient-ils pas l’idée de prendre une bombe ou une arme et d’aller tuer. Mais ils sont inspirés par ces paroles et se considèrent comme des combattants pour la vérité de Dieu contre ce monde horrible qui peut anéantir l’islam.
Donc, pour vaincre le terrorisme, il faut que nous changions. Le terrorisme c’est avant tout un défi philosophique. Nous devons prendre conscience de ce qui se passe dans les consciences de ceux qui prennent les armes pour lutter au nom de Dieu. Je suis profondément convaincu que le développement de la civilisation humaine qui aujourd’hui passe, malheureusement, par le refus de Dieu, de la loi divine et morale, est la force qui provoque le phénomène du terrorisme. Il est très important que nous parvenions à un consensus moral global. Sur quelle base les gens peuvent-ils vivre ensemble ? Sur la base de certaines valeurs communes. Comment s’entendre sur des valeurs communes quand nous avons différents partis politiques, différents systèmes philosophiques, différents systèmes religieux ? Comment arriver à un consensus global ? Il n’y a qu’un moyen : il faut prendre le sens moral pour base de ce consensus. Le sens moral, la nature morale a été inscrite par Dieu dans l’âme humaine. Pour vous, américain, comme pour moi, russe, ce sont les mêmes notions morales. Si nous allions en Papouasie Nouvelle-Guinée, nous y trouverions au fond de l’âme humaine ces mêmes notions morales.
Ce n’est pas lutter contre ce sens moral, qu’il faut, y compris en votant des lois allant contre la moralité traditionnelle, mais en s’entendant sur ces valeurs morales communes et bâtir une civilisation commune sur la base de ce consensus. Dans cette civilisation, il n’y aura pas place pour le terrorisme, et si quelqu’un tente d’utiliser les hommes pour faire du mal aux autres, cela lui sera difficile, car ces appels iront contre les concepts communs de bien et de mal. Nous devons tenter tous ensemble de bâtir une civilisation nouvelle, globale, sur la base d’un consensus moral commun. Je crois que cela est possible.
En ce sens, ma rencontre avec le pape François a été très importante. Les deux plus grandes Églises du monde, en la personne de leurs primats, se sont rencontrées pour mettre leurs pendules à l’heure, pour parler des mêmes problèmes, chacun de son point de vue. Et nous nous sommes convaincus qu’il est possible de parvenir à une réponse commune et, peut-être, je vais vous étonner, cela est-il facile à obtenir. Parce que les deux interlocuteurs partaient du même consensus moral : la foi en notre Seigneur Jésus-Christ, en Ses commandements, en Ses lois. Mais ces commandements et ces lois existent dans le monde musulman, et même dans l’humanisme laïc, en tout cas à une certaine étape du développement de l’humanisme c’était le cas. Si nous prenons la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle contient une référence à la morale comme pouvant limiter les droits de l’homme. Aujourd’hui, il n’existe plus aucune référence à la limitation de la liberté humaine par la morale. Malheureusement, nous nous éloignons de plus en plus de ce qui nous unissait au niveau ontologique le plus profond. Je pense que si cette division se poursuit, les perspectives de l’humanité sont très mauvaises. Nous ne pouvons pas vivre sur une petite planète en étant déchirés par de profondes contradictions au niveau ontologique. Je présume que ma rencontre avec le saint pontife a apporté une modeste contribution à la formation de ce futur consensus moral pour tous les hommes.
(…)
Pensez-vous que vous rencontrerez de nouveau le pape François ?
Je ne l’exclus pas. C’est possible. Nous ne nous sommes pas entendus sur d’autres rencontres, mais s’il y en a eu une, il peut y en avoir une deuxième et une troisième.

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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