Texte intégral de la Lettre du Frère Roger pour la rencontre des jeunes, à Hambourg

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ROME, lundi 22 décembre 2003 (ZENIT.org) – Traduite en 57 langues (dont 24 d’Asie), cette lettre, écrite par frère Roger, de Taizé, sera distribuée lors de la rencontre européenne de jeunes à Hambourg qui aura lieu du 29 décembre 2003 au 2 janvier 2004. Elle sera reprise et méditée durant l’année 2004 dans les rencontres de jeunes qui auront lieu à Taizé ou ailleurs à travers le monde.

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Pour toute information complémentaire, cf. www.taize.fr

Aux sources de la joie

Tant de jeunes, à travers la terre, portent en eux une soif de paix, de communion, de joie.
Ils sont attentifs aussi à l’insondable peine des innocents. Ils n’ignorent pas, en particulier, la croissance de la pauvreté dans le monde.1

Ce ne sont pas seulement les responsables des peuples qui bâtissent le futur. Le plus humble des plus humbles peut contribuer à construire un avenir de paix et de confiance.

Si dépourvus soyons-nous, Dieu nous donne de mettre la réconciliation là où il y a les oppositions, et l’espérance là où il y a l’inquiétude. Il nous appelle à rendre accessible, par notre vie, sa compassion pour l’être humain.2

Si des jeunes deviennent, par leur propre vie, des foyers de paix, il y aura une lumière là où ils se trouvent.3

Un jour, je demandais à un jeune ce qui, à ses yeux, était le plus essentiel pour soutenir sa vie. Il a répondu : « La joie et la bonté du cœur. »

L’inquiétude, la peur de souffrir, peuvent enlever la joie.

Quand monte en nous une joie puisée à l’Évangile, elle apporte un souffle de vie.

Cette joie, ce n’est pas nous qui la créons, elle est un don de Dieu. Elle est sans cesse réanimée par le regard de confiance que Dieu porte sur nos vies.4

Loin d’être naïve, la bonté du cœur suppose une vigilance. Elle peut conduire à prendre des risques. Elle ne laisse place à aucun mépris pour l’autre.5

Elle rend attentifs aux plus démunis, à ceux qui souffrent, à la peine des enfants. Elle sait exprimer par le visage, par le ton de la parole, que tout être humain a besoin d’être aimé.6

Oui, Dieu nous donne de cheminer avec, au fond de l’âme, l’étincelle de bonté qui ne demande qu’à devenir flamme.7

Mais comment aller aux sources de la bonté, de la joie, et aussi à celles de la confiance ?
En nous abandonnant à Dieu, nous trouvons le chemin.

Si loin que l’on remonte dans l’histoire, des multitudes de croyants ont su que, dans la prière, Dieu apportait une lumière, une vie au-dedans.

Déjà avant le Christ, un croyant priait : « Mon âme t’a désiré pendant la nuit, Seigneur ; au plus profond de moi, mon esprit te cherche. » 8

Le désir d’une communion avec Dieu est déposé dans le cœur humain depuis des temps infinis. Le mystère de cette communion atteint le plus intime, le tréfonds même de l’être.

Aussi pouvons-nous dire au Christ : « À qui d’autre irions-nous qu’à toi ? Tu as les paroles qui rendent notre âme à la vie. » 9

Nous tenir devant Dieu dans une attente contemplative ne dépasse pas notre mesure humaine.
Dans une telle prière, un voile se lève sur l’inexprimable de la foi, et l’indicible porte à l’adoration.
Dieu est présent aussi quand la ferveur se dissipe et quand s’évanouissent les résonances sensibles. Jamais nous ne sommes privés de sa compassion. Ce n’est pas Dieu qui se tient éloigné de nous, c’est nous qui parfois sommes absents.

Un regard de contemplation perçoit des signes d’Évangile dans les événements les plus simples.
Il discerne la présence du Christ même dans le plus abandonné des humains.10
Il découvre dans l’univers les radieuses beautés de la création.

Beaucoup se posent la question : qu’est-ce que Dieu attend de moi ? Et voilà que, lisant l’Évangile, nous parvenons à le comprendre : Dieu nous demande d’être en toute situation un reflet de sa présence ; il nous invite à rendre la vie belle à ceux qu’il nous confie.

Qui cherche à répondre à un appel de Dieu pour toute l’existence, peut dire cette prière :
Saint Esprit, si personne n’est bâti avec évidence pour accomplir un oui pour toujours, toi tu viens allumer en moi un foyer de lumière. Tu éclaires les hésitations et les doutes, dans les moments où le oui et le non se heurtent.

Saint Esprit, tu me donnes de consentir à mes propres limites. S’il y a en moi une part de fragilité, que ta présence vienne la transfigurer.

Et nous voilà portés à l’audace d’un oui qui va nous conduire très loin.
Ce oui est confiance limpide.
Ce oui est amour de tout amour.

Le Christ est communion. Il n’est pas venu sur la terre pour créer une religion de plus, mais pour offrir à tous une communion en lui.11 Ses disciples sont appelés à être d’humbles ferments de confiance et de paix dans l’humanité.

Dans cette unique communion qu’est l’Église, Dieu offre tout pour aller aux sources : l’Évangile, l’Eucharistie, la paix du pardon… Et la sainteté du Christ n’est plus l’inatteignable, elle est là, toute proche.

Quatre siècles après le Christ, un chrétien africain, du nom d’Augustin, écrivait : « Aime et dis-le par ta vie. »

Quand la communion entre chrétiens est une vie, non pas une théorie, elle porte un rayonnement d’espérance. Plus encore : elle peut soutenir l’indispensable recherche d’une paix mondiale.
Alors, comment les chrétiens pourraient-ils encore demeurer séparés ?

Au long des années, la vocation œcuménique a provoqué d’incomparables échanges. Ils sont les prémices d’une communion vivante entre chrétiens.12

La communion est la pierre de touche. Elle naît d’abord au cœur du cœur de tout chrétien, dans le silence et dans l’amour.13

Dans la longue histoire des chrétiens, des multitudes se sont un jour découvertes séparées, parfois sans même en connaître le pourquoi. Aujourd’hui il est essentiel de tout accomplir pour que le plus grand nombre possible de chrétiens, souvent innocents des séparations, se découvrent en communion.14

Ils sont innombrables ceux qui ont un désir de réconciliation touchant le fond de l’âme. Ils aspirent à cette joie infinie : un même amour, un seul cœur, une seule et même communion.15

Saint Esprit, viens déposer en nos cœurs le désir d’avancer vers une communion, c’est toi qui nous y conduis.

Le soir de Pâques, Jésus accompagnait deux de ses disciples qui allaient au village d’Emmaüs. Sur le moment ils ne se sont pas rendu compte qu’il marchait à leurs côtés.16

Nous aussi nous connaissons des périodes où nous ne parvenons pas à prendre conscience que le Christ, par l’Esprit Saint, se tient tout proche de nous.

Inlassablement il nous accompagne. Il éclaire nos âmes d’une lumière inattendue. Et nous découvrons que, s’il peut demeurer en nous quelque obscurité, il y a surtout en chacun le mystère de sa présence.

Essayons de retenir une certitude ! Laquelle ? Le Christ dit à chacun : « Je t’aime d’un amour qui ne finira pas. Jamais je ne te laisserai. Par l’Esprit Saint, je serai toujours avec toi. »17

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1 Un approfondissement de la vie intérieure, loin de conduire à fermer les yeux sur la situation des sociétés contemporaines, appelle à s’interroger. Sommesnous assez conscients, par exemple, que 54 pays du monde sont plus pauvres aujourd’hui qu’en 1990 ? M. Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, nous écrivait l’an dernier, à l’occasion de la rencontre européenne de Paris : « Il y a dans le monde tant de jeunes privés de perspectives d’avenir. Pour eux, chaque jour est une dure bataille contre la faim, la maladie, la misère. Nombreux sont ceux qui vivent dans des régions en proie à des conflits armés. À nous de tout accomplir pour leur rendre espoir. »

2 Le bien-aimé pape Jean XXIII écrivait : « Tout croyant est appelé à être, dans le monde d’aujourd’hui, comme une étincelle lumineuse, un centre d’amour et un ferment pour tou
te la masse. Chacun le sera dans la mesure de sa communion avec Dieu. De fait, la paix ne saurait régner entre les humains, si elle ne règne pas d’abord en chacun d’eux. » (Pacem in terris, 1963, 164-165.)
3 Paul, l’Apôtre, encourage les croyants à être des « foyers de lumière » qui brillent dans le monde (voir Philippiens 2,15-16).

4 « Quand le Seigneur viendra, … les plus pauvres et les plus démunis auront joie sur joie dans le Seigneur » (Isaïe 29,18-19). « Console ton cœur, chasse la tristesse, car la tristesse ne saurait apporter de profit » (Sirac 30,21-25).

5 Dans une vie de communauté, la bonté du cœur est une valeur inestimable. Elle est peut-être l’un des plus limpides reflets de la beauté d’une communion.

6 Alors qu’il est encore tout petit, un enfant saisit ce que signifie la bonté du cœur d’une mère ou d’un père, d’une sœur ou d’un frère. Elle est une claire réalité d’Évangile. Pour un enfant, savoir qu’il est aimé est tellement important, cela lui donne pour la vie entière une possibilité d’aller loin, de comprendre un jour que Dieu nous appelle à aimer à notre tour.

7 Lors d’une visite à Taizé, le philosophe Paul Ricoeur disait : « La bonté est plus profonde que le mal le plus profond. Aussi radical que soit le mal, il n’est pas aussi profond que la bonté. »
8 Isaïe 26,9.

9 Alors que certains se mettaient à quitter le Christ, il dit à ses disciples : « Et vous, voulez-vous aussi partir ? » Pierre lui répondit : « À qui d’autre irions-nous ? Toi, tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jean 6,67-68.)

10 Vivre en communion avec Dieu conduit à vivre en communion avec les autres. Plus nous nous approchons de l’Évangile, plus nous nous approchons les uns des autres. Le théologien orthodoxe Olivier Clément écrit : « Plus on devient un homme de prière, plus on devient un homme de responsabilité. La prière ne libère pas des tâches de ce monde : elle rend encore plus responsable. Rien n’est plus responsable que de prier. Cela peut prendre la forme concrète d’une présence auprès de ceux qui souffrent d’abandons humains, de la pauvreté – comme c’est le cas, par exemple, pour ceux des frères de Taizé qui vivent dans des quartiers déshérités sur d’autres continents –, cela nous appelle aussi à être des gens inventifs, créateurs dans tous les domaines, y compris le domaine économique, le domaine d’une civilisation planétaire, le domaine culturel… » (Taizé, un sens à la vie, Bayard, Paris 1997.)

11 Très jeune, à 21 ans, le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer a forgé l’expression : « le Christ existant en tant que communauté ». Il écrit que « par le Christ l’humanité est réellement réintégrée dans la communion en Dieu » (Sanctorum communio, Berlin 1930).

12 S’interrogeant sur la vocation oecuménique, le patriarche orthodoxe d’Antioche, Ignace IV, écrivait récemment de Damas : « Nous avons besoin d’urgence d’initiatives prophétiques pour faire sortir l’œcuménisme des méandres dans lesquels je crains qu’il ne soit en train de s’embourber. Nous avons un urgent besoin de prophètes et de saints afin d’aider nos Églises à se convertir par le pardon réciproque. » Le patriarche appelait à « privilégier le langage de la communion plutôt que celui de la juridiction ». L’an dernier, le pape Jean-Paul II disait en recevant à Rome des responsables de l’Église orthodoxe de Grèce : « Avec les saints, nous contemplons l’œcuménisme de la sainteté qui nous conduira enfin vers la pleine communion, qui n’est ni une absorption, ni une fusion, mais une rencontre dans la vérité et dans l’amour. »

13 La réconciliation commence dans l’immédiat, à l’intérieur de la personne. Vécue dans le cœur d’un croyant, la réconciliation acquiert une crédibilité et peut entraîner un esprit de réconciliation dans cette communion d’amour qu’est l’Église. Ce chemin suppose qu’il n’y ait d’humiliation pour personne.

14 L’Église pourrait-elle donner des signes d’une large ouverture, si large qu’on puisse le constater : ceux qui étaient divisés dans le passé ne sont plus séparés, ils vivent déjà en communion ? Un pas vers la réconciliation sera franchi dans la mesure où l’on constatera une vie de communion, déjà réalisée en certains endroits à travers le monde. Il faudra du courage pour le constater et s’y adapter. Les textes viendront ensuite. Privilégier les textes ne finit-il pas par éloigner de l’appel d’Évangile : sans retard, réconcilie-toi ?

15 Voir Philippiens 2,2.

16 Voir Luc 24,13-35.

17 Voir Jérémie 31,3 et Jean 14,16-18.

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ZENIT Staff

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