Recherche cellules souches : Pourquoi cet intérêt pour les cellules embryonnaires ?

Entretien avec l’évêque australien Mgr Anthony Fisher

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ROME, Jeudi 4 mars 2004 (ZENIT.org) – Du 19 au 22 février a eu lieu la Xe Assemblée Générale de l’Académie Pontificale pour la Vie sur le thème « La dignité de la procréation humaine et les technologies reproductives: aspects anthropologiques et éthiques ».

Zenit a rencontré Mgr Anthony Fisher, OP, évêque auxiliaire de Sydney (Australie) et membre de l’Académie pour la Vie.

Mgr Fisher a écrit de nombreux articles et livres sur les thèmes de la bioéthique et de la morale. Il est également professeur de bioéthique et de théologie morale à l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille à Melbourne.

Zenit : Quels sont selon vous les principaux fruits du travail de l’Académie pour la Vie fondée il y a exactement dix ans ?

Mgr Fisher : L’Académie a réuni un nombre important de scientifiques, de professionnels du monde de la santé, de philosophes et de théologiens pour discuter de questions importantes, et présenter leurs publications. Certaines de ces publications (comme par exemple les Réflexions sur le clonage) sont devenues d’importants documents de l’enseignement de l’Eglise.

Zenit : Les barrières juridiques entourant toute une série de questions de bioéthique comme le clonage, la recherche sur les cellules souches, l’euthanasie, continuent de tomber. Etes-vous optimiste sur la possibilité de parvenir à un contrôle éthique de ces questions ? Croyez-vous encore aux « saints » législateurs ?

Mgr Fisher : La situation dans ce domaine est loin d’être homogène. Dans certaines régions les lois s’améliorent (par exemple aux Etats-Unis, l’interdiction des avortements dans des structures militaires et plus récemment, des avortements partiels). Dans d’autres, on résiste contre les pressions très fortes visant à affaiblir la protection de la vie (par exemple l’euthanasie dans beaucoup de pays).
Dans certains endroits cependant, les lois empirent (par exemple la législation sur la destruction des embryons pour la recherche, sur les médicaments vendus sans ordonnance qui provoquent l’avortement et/ou l’euthanasie). Je ne doute pas des bienfaits de la proclamation constante de l’Evangile de la Vie de la part du pape actuel et des activités d’organismes comme l’Académie Pontificale pour la Vie et le Conseil Pontifical pour la Famille. Mais pour préserver les lois qui sont bonnes et améliorer celles qui ne le sont pas, il faut des législateurs saints dans le sens de bien formés, courageux, déterminés, prudents et efficaces; des législateurs qui soignent la formation de leur conscience, qui prient, jugent et agissent.

Zenit : Quel poids a le facteur économique dans le débat sur les cellules souches ?

Mgr Fisher : Je crois que l’économie est à la fois décisive et étonnamment sans importance dans ce débat. Je m’explique. D’un côté il est certain que derrière la volonté de nombreux scientifiques et de ceux qui les soutiennent (université, entreprises pharmaceutiques, fondations, gouvernements, etc.) il y a un pragmatisme cru: tu obtiens des résultats – surtout des thérapies populaires – et en échange tu auras la gloire et le profit.

Il est évident que cela s’associe à une conviction authentique d’apporter une aide aux autres, chez certaines de ces personnes. Mais que leur motivation soit altruiste ou plutôt égoïste, ou les deux à la fois, ce que ces promoteurs de la recherche sur les cellules souches embryonnaires ont en commun, c’est une volonté commune et pragmatique de satisfaire certaines personnes en les aidant à atteindre l’objectif de leurs recherches. Ce faisant ils laissent tomber la dimension éthique du « primum non nocere » et engagent la science de la recherche dans une nouvelle voie très dangereuse. Et beaucoup de gouvernements, terrifiés à l’idée que des économies rivales puissent prendre l’avantage, ont autorisé des pratiques qu’ils savent éthiquement dangereuses ou au moins douteuses. En attendant, les efforts, même pour parvenir à une interdiction universelle du clonage sont bloqués.

D’un autre côté, il semblerait que le meilleur pari soit du côté de la recherche sur les cellules souches adultes, et pourtant il y a des scientifiques (ainsi que ceux qui les soutiennent au niveau commercial, universitaire ou gouvernemental) qui investissent toute leur énergie dans la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Tout cela est parfaitement irrationnel. Les résultats avec les « cellules adultes » sont tellement plus prometteurs et bien plus susceptibles de donner des satisfactions immédiates en termes de thérapies et de bénéfices financiers. Alors, que se passe-t-il ? Je crois que des facteurs comme l’idéologie, la fascination de manipuler la vie humaine en train de naître, l’attrait de la gloire (articles dans « Sciences », Prix Nobel, etc.), une culpabilité permanente concernant les banques d’embryons congelés… ont plus de poids dans certaines de ces décisions que le vieux motif du profit.

Zenit : Les mariages homosexuels représentent-ils selon vous un produit de la dissolution de la famille et une menace pour la vie familiale ?

Mgr Fisher : Je ne doute pas du fait que beaucoup de ceux qui défendent le « mariage homosexuel » ou le recherchent pour eux-mêmes soient pleins de bonnes intentions. En effet, qu’ils en soient conscients ou pas, leur désir de « singer » le vrai mariage par une sorte d’engagement reconnu socialement avec un statut et des privilèges équivalents, témoigne de l’importance du vrai mariage. Mais je ne crois pas que la plupart de ceux qui soutiennent ces propositions comprennent qu’imiter une institution spéciale comme le mariage, en prétendant que toutes les autres formes de relations sont équivalentes, en supprimant toutes les façons dont le vrai mariage est honoré et privilégié au-dessus de toute autre amitié, puisse réellement miner le mariage. Le mariage et la famille basée sur le mariage, bien qu’encore incroyablement solides, subissent aujourd’hui des pressions énormes et beaucoup en souffrent les conséquences. La dernière chose dont nous avons besoin en ce moment ce sont de nouveaux projets d’ingénierie sociale qui diluent encore davantage la compréhension communautaire de la nature et de la signification du mariage et les formes de soutien spécial qu’ils méritent.

Nous avons bien plus besoin de retrouver un sens de l’anthropologie naturelle et de la sociologie du mariage, de la philosophie et de la théologie du mariage que de lui faire perdre sa crédibilité en appelant « mariage » toute autre forme de relations.

Nous avons aussi besoin d’une vision claire et du courage de dire que toutes les relations – même les relations basées sur un amour radical et un engagement – ne sont pas des mariages et que toutes les personnes ne sont pas forcément mariables. Ceci ne doit pas être dit ou pris comme une offense. Toutes les distinctions ne sont pas des discriminations injustes. Il existe d’autres moyens pour aider les gens à vivre des relations saines, affectueuses et chastes en dehors du mariage.

Zenit : Beaucoup des arguments de l’Eglise concernant les questions de bioéthique ont des fondements théologiques et philosophiques qui ne sont plus acceptés par la société moderne. Comment l’Eglise peut-elle convaincre un monde de moins en moins croyant de la validité de ses arguments ?

Mgr Fisher : C’est peut-être audacieux, mais dans la mesure où nos fondements théologiques et philosophiques sont vrais, nous devons essayer les faire partager par les autres. Nous ne devons pas démissionner sous prétexte que nous avons des points de départ différents et qu’ils sont inconciliables avec ceux des autres. Nous devons travailler pour essayer de les concilier en corrigeant toute fausse présupposition de notre part et en essayant de convaincre les autres d’adopter de leur côté de vraies prémisses.
< br> Je crois que nous avons plus de choses en commun que ce que nous croyons souvent. Qu’il s’agisse d’une loi naturelle persistante ou d’un héritage culturel judéo-chrétien sous-estimé, nous avons encore de nombreux points de départ en commun avec beaucoup de personnes vivant dans les sociétés modernes. Nous devons les identifier et construire sur ces points.

La troisième chose que je voudrais mentionner, est que nous devrions nous rendre compte que la division des cultures sur ces questions n’est pas seulement entre « l’Eglise » et « le monde ». Ce sont des questions qui divisent autant l’Eglise que les autres. Nous avons souvent des alliés en dehors de l’Eglise dans ce domaine et des rivaux au sein même de l’Eglise.

Zenit : Sur le plan de la bioéthique, l’Australie est comme un merveilleux « laboratoire ». L’Australie nous permet en effet de voir comment se déroule un débat sur des questions de bioéthique dans un pays qui ne possède pas de racines chrétiennes solides. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Mgr Fisher : Il est vrai que certains scientifiques et leurs promoteurs ont la vie plus facile en Australie, moins de bâtons dans les roues venant de tabous éthiques ou culturels, que dans certaines cultures profondément chrétiennes. Il est dommage qu’il y ait si peu de vrai défi au pragmatisme, aux idéologies les plus fortes et aux intérêts, dans la biotechnologie australienne aujourd’hui. S’il y avait un défi de ce genre – au lieu du laissez-faire et de l’encouragement aux pratiques non éthiques, même de la part des autorités soi-disant conservatrices – je crois que le laboratoire australien serait moins content de soi et moins paresseux, plus créatif, et obtiendrait des résultats aussi bons sinon meilleurs dans un cadre éthique. Mais en ce moment, la volonté d’essayer le chemin éthique n’est pas très grande. Les autres pays devraient éviter de répéter le mauvais exemple de l’Australie dans ce domaine.

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ZENIT Staff

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