Couverture du livre Les papes de France, par le père Viot

Couverture du livre Les papes de France, par le père Viot

Les papes et la France, de Clovis à de Gaulle

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Présentation du livre du P. Michel Viot

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Dans le courant du mois de septembre, la maison d’édition Via Romana publie un nouvel ouvrage du père Michel Viot intitulé : Les Papes et la France, de Clovis à de Gaulle. Cet ouvrage préfacé par le cardinal Barbarin recueille la série darticles que lauteur a rédigés pour notre agence Zenit entre janvier et juin 2023. Zenit a interrogé le père Viot. 

Zenit – Père Viot, quest-ce qui vous donne loccasion de publier en un seul volume la série darticles que vous avez produits pour Zenit au premier semestre 2023 sur le sujet « France fille aînée de l’Église » ?

Père Viot – C’est la venue du pape à Marseille fin septembre qui présente une occasion propice. Elle rappelle et confirme les liens privilégiés entre le Saint-Siège et la France et le rôle que cette relation a joué tout au long de l’histoire. Marseille étant une ville qui borde la Méditerranée a été, depuis l’Antiquité, un port stratégique pour maintenir l’équilibre entre les populations côtières du Mare nostrum, bien plus que Ostie, le port de Rome, qui a gardé une dimension régionale. Pourquoi ? Marseille se trouve à l’embouchure du Rhône et relie par voie maritime et fluviale à de nombreux centres d’échange, comme les villes de Lugdunum (Lyon), Avignon et autres… donnant un profond accès au pays des Gaules. 

Notre époque est confrontée au problème des migrants, depuis que l’Afrique est pillée par les multinationales et ses habitants réduits à de telles conditions qu’ils se voient pratiquement expulsés de leurs territoires. Or, l’Europe ne peut pas absorber tout le flux migratoire. Il faut trouver une solution politique à travers une médiation acceptée par toutes les parties, qui sont composées principalement des nations de tradition chrétienne et des nations de tradition musulmane. La figure qui peut garantir la plus grande impartialité est le pape, considéré comme Chef de l’Église ou un des grands dirigeants chrétiens pour les unes, comme Homme de Dieu pour les autres. 

Z. – À part sa situation géographique, quelle est lintérêt particulier que la France avait pour la papauté ?

P. V. – La relation est née avec l’histoire, depuis la chute de l’Empire romain d’Occident et l’avènement du royaume des Francs. Au baptême de Clovis, l’arianisme sévissait dans la chrétienté qui était identifiée à l’époque, à la Rome impériale, celle d’Orient et celle d’Occident. Clovis, certainement bien conseillé par son épouse Clotilde, en optant pour le baptême catholique, a intégré dès le début de son règne chrétien la « séparation » des pouvoirs, temporel et spirituel, partageant sa souveraineté avec le pape. Ce fut un des rares souverains de cette période à avoir résisté à la tentation arienne, dont la conséquence avait été l’ingérence du temporel sur le spirituel. Le chef du Saint-Empire romain-germanique, sans pourtant être arien, par exemple, portait le titre de « Sa majesté apostolique » et les armoiries étaient ornées d’une couronne ressemblant beaucoup à une tiare. 

En échange, les papes ont aidé les rois de France, confrontés à des conflits internes de succession et de pouvoir, à assoir leur autorité et leur stabilité. Ceux-ci viendront souvent au secours des papes dans ce même souci, car le pouvoir spirituel de l’Église, surtout lorsque l’institution est fragile, est exposé à de farouches convoitises politiques et cléricales. À partir du règne de Pépin le Bref, le Saint-Siège se voit doté d’États pontificaux garantissant l’intégrité et la liberté de l’Église de Rome au milieu des guerres entre seigneurs féodaux. 

Cette liberté s’est particulièrement vue protégée au temps de la papauté en Avignon, lorsque le comtat Venaissin fut mis à disposition du Saint-Siège : il sera par la suite gouverné par un légat du pape jusqu’à la Révolution française. Le pouvoir temporel et la souveraineté politique de l’Église subsisteront jusqu’en 1870, encore protégés par la France postrévolutionnaire (hormis les années de la terreur et du Directoire, 1792-1799), sous le titre de la « question romaine ». 1870 marquera la fin du pouvoir temporel du Pape, devenu uniquement chef religieux, toujours en bonnes relations avec la France mais se considérant comme prisonnier dans Rome. 1904, rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège (suite à l’arrivée d’Émile Combes à la présidence du Conseil des ministres en 1902, qui entame une politique résolument anticatholique). Une période sombre se lève dans les relations  entre le pape et les différents gouvernements de la République. Elle culmine dans la loi de séparation entre l’Église et l’État promulguée le 9 décembre 1905 par président de la République, Émile Loubet, mais rien n’est éternel. 

Les rapports diplomatiques entre la France et le Saint-Siège reprirent en 1921, alors que le Pape n’était toujours pas à la tête d’un État souverain. Il y eut cependant un ambassadeur de France près le Saint-Siège et un nonce apostolique en France. Les postes d’aumônerie avaient subsisté en 1905 pour les prêtres catholiques (et autres cultes pratiqués en France à cette époque) dans l’armée, dans les hôpitaux,  les prisons et les lycées avec internats.

Ce n’est que par les accords du Latran (11 février 1929) que sera signé « Le Traité entre le Saint-Siège et l’Italie » par Sa Sainteté Pie XI et Sa Majesté Victor-Emmanuel Il roi d’Italie. Le Saint-Siège récupérera sa souveraineté, en obtenant la Cité du Vatican et d’autres dédommagements, en échange de la cession définitive des États pontificaux : le nonce apostolique est toujours, en France, au moins depuis 1945 le doyen du corps diplomatique, encore un geste par lequel la France « laïque » indique aux autres nations sa juste relation avec le Vatican. 

Z. – Comment ces liens ont-ils été vécus de Clovis à De Gaulle ?

P. V. – Les liens dépendaient le plus souvent des relations personnelles du pape avec le roi, avant d’en mesurer les effets institutionnels, diplomatiques et politiques. En règle générale, ces rapports entre les rois et les papes étaient harmonieux. 

Certaines périodes ont fait exception à cette règle et ont vu émerger des conflits. Je pense particulièrement à la conjoncture du règne du pape Boniface VIII et du roi Philippe IV  le Bel. Boniface VIII s’est comporté de manière hautaine, imposant une théocratie pontificale, d’une manière aussi mégalomane qu’inopportune. Un autre exemple, Louis XII et Jules II (de La Rovere), un pape qui s’est comporté comme un tyran et un politique peu scrupuleux, tout en étant, il faut le reconnaître, un très grand mécène, il est à l’origine de nombreuses œuvres d’art qui ornent aujourd’hui la ville de Rome. Il y a aussi l’épisode tragique de la mort de Pie VI au fond d’un cachot à Valence, en France, le 29 août 1799, à 81 ans. On lui avait fait traverser les Alpes en civière. Pour moi, il est mort martyr ! 

Le moment malheureux de la captivité du pape Pie VII à Fontainebleau, prisonnier de Napoléon Bonaparte, ne relève pas de mésentente personnelle, mais de problèmes politiques liés en particulier au blocus continental. La France, comme l’Europe doivent beaucoup à ce pape que j’aimerais bien voir élevé sur les autels. À la chute de l’Empire, dès 1815, l’Italie connaîtra la guerre civile pour établir l’unité italienne.  Paradoxalement, Pie VII était plus en sécurité à l’ombre de l’aigle impérial français qu’à Rome. Je crois qu’il y avait estime réciproque entre Pie VII et Napoléon.

Après la période difficile et contrastée de la 3e République et après la Grande guerre, les rapports de celle-ci avec le Saint-Siège se sont apaisés comme en témoignent les événements qui ont entouré la célébration de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Reims, gravement endommagée par les combats franco-allemands. En vertu de son caractère symbolique pour la France, sa restauration fut décrétée en 1919, et la cathédrale fut rendue au culte en 1938, à l’occasion d’une messe présidée le dimanche 10 juillet par le cardinal Emmanuel Suhard, intronisé la veille comme légat du pape Pie XI, en présence d’Albert Lebrun, président de la République, qui était placé sur le siège réservé pour les rois, près de l’Évangile, à l’occasion de leur sacre. Cela me semble constituer un acte symbolique pour la relation privilégiée entre les papes et la France. Rappelons aussi qu’auparavant, en 1937, le cardinal Pacelli (futur Pie XII) était venu bénir, comme légat du Pape Pie XI, la basilique de Lisieux le 11 juillet, et le 13 avait présidé la célébration d’une messe à Notre-Dame de Paris en y prononçant un sermon mémorable – cf. Sermon Pacelli 13 juillet 1937 ND Paris. 

Enfin, la grande amitié du président Vincent Auriol avec le nonce apostolique Angelo Roncalli, futur pape Jean XXIII culmina dans la remise de la barrette cardinalice par le même président au nonce de Sa-Sainteté, Pie XII, dans la grande salle des fêtes de l’Elysée. Alors que ce président socialiste se disait agnostique ! Mais il avait été élevé à l’école de Léon Blum, d’où son grand respect pour l’Église catholique, sa présence et son œuvre en France. Son geste ne fut de fait aucunement critiqué par son entourage anticlérical. C’était dans l’air du temps, on savait distinguer un geste politique d’une confession religieuse et poser ce geste pour le bien objectif, indépendamment des appréciations subjectives d’opinions fluctuantes. 

Il a semblé à beaucoup en 1958, que les évêques de France, trop marqués par le « syndrome de Vichy », les polémiques suscitées par la décolonisation et par la préparation d’un concile, qui se dessinait à l’horizon des années prochaines, n’ont pas su saisir la main tendue par la République (en la personne du Général de Gaulle) et réfléchir à des aménagements de la loi de 1905, utiles pour leur mission. 

Z. – Quels sont les jalons les plus saillants dans lhistoire de cette relation ?

P. V. – Le premier moment, fondateur, est le baptême de Clovis qui, en choisissant le catholicisme, consent au partage du pouvoir : une nouveauté dans l’histoire. Cette relation sera le premier critère de légitimité d’une succession : non plus seulement l’hérédité par le sang, mais la fidélité au pape et au catholicisme.

Le jalon suivant arrive lorsque Pépin le Bref, maire du Palais et de fait chef de l’exécutif, obtient du pape Zacharie, par une lettre, la confirmation « indirecte »  de sa légitimité à régner comme roi : « celui qui gouverne doit régner ». Il recevra donc des mains du pape le sacre (après l’avoir reçu de ses évêques) qui lui confirmera la couronne du royaume des Francs. Le sacre sera donc lié à la légitimité du successeur. 

À partir de Philippe Auguste, vainqueur à la bataille de Bouvines (27 juillet 1214) son fils Louis ne sera sacré qu’après la mort de son père, auquel il succédera immédiatement. Ce processus ne fut interrompu qu’à la mort de Charles VI, puisque son épouse, Isabeau de Bavière, laissait planer des doutes sur la légitimité de son fils le Dauphin Charles. Jeanne d’Arc l’appellera alors « gentil dauphin » jusqu’au sacre qu’elle aura obtenu pour lui à la cathédrale de Reims. 

Le concordat signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII en 1801 mit  fin à 10 ans de persécution du catholicisme en France. Le catholicisme est reconnu comme la religion de la majorité des Français et des trois consuls. Alors que dans la succession des différents régimes – Empire, Restauration, 2e République, 2e Empire, 3e République – il ne sera plus question de la séparation de l’Église et de l’État chez les hauts responsables politiques, celle-ci recommencera à faire vraiment débat après l’affaire Dreyfus en 1898, et n’adviendra qu’en 1905.

Dernièrement, en fin de mandat présidentiel de François Mitterrand, Édouard Balladur, son Premier ministre, a jeté les bases de « l’instance de Matignon » comme un lieu d’échange annuel informel entre le représentant de l’Église catholique, le nonce apostolique coprésident, accompagné de l’archevêque de Paris et celui de Lyon (primat des Gaules), le président de la conférence épiscopale, d’autres évêques et le Premier ministre, autre coprésident, assisté d’autres ministres. Cette instance fut officialisée par Lionel Jospin, Premier ministre de Jacques Chirac en 2002. La qualité et l’issue de ces échanges dépendent ici particulièrement de l’habileté du nonce apostolique, comme l’a démontré l’éminent Fortunato Baldelli, combinant de façon élégante ses fonctions de diplomate et de pasteur d’Église. 

Z. – Comment cette relation Saint-Siège – République française est-elle vécue aujourdhui ?

P. V. – Alors que l’État s’était montré de bonne volonté jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy incluse, cette relation s’est dégradée sous les « règnes » de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Si le premier était simplement hostile, le second semble quelque peu ambivalent (à voir son curieux discours des Bernardins). On comprend que le pape François insiste pour que sa visite à Marseille soit considérée comme celle d’un pasteur à ce diocèse seul, dont le siège est aussi un grand port méditerranéen. Il s’agit pour François d’une rencontre religieuse, donc à caractère cultuel. 

L’actualité diplomatique de cette venue a été préparée en amont, depuis longtemps, par le cardinal Tauran qui a élaboré et formalisé les termes des relations du Vatican avec le monde musulman : la déclaration d’Abu Dhabi de 2019 rayonne ainsi comme un événement phare, malgré la perplexité partielle du monde chrétien. Car en réalité, ladite déclaration ne signifie en aucun cas une complaisance du pape avec d’autres religions, sous le signe d’un prétendu relativisme philosophique et dogmatique, mais constitue un acte de diplomatie fort, dans la responsabilité qu’il porte de diriger la vie spirituelle et garantir la sécurité pour 1,3 milliards de catholiques dans le monde. 

La France n’inspire plus, hélas, le respect dont elle put jouir pendant de longs siècles. Considérée comme un pays athée par les nations adhérant à l’islam, couvant en elle des hostilités incontrôlables (comme on l’a vu lors des émeutes à la fin du mois de juin dernier), tiraillée entre les intérêts de l’Otan ou G8 et ceux de l’alliance BRICS, elle continue sa fuite en avant : Dans ses évolutions sociétales aujourd’hui, que ce soit le séparatisme (qui ne résout rien à la sécurité nationale) ou la bioéthique (donnant aux autorités politiques la décision sur la vie ou sur la mort, sur les orientations familiales et de genre), non seulement elle abdique de son rôle de protection des lois de la nature et de défense des droits de l’homme en faveur des plus vulnérables (comme les personnes en fin de vie et les enfants non nés), elle abîme aussi les relations avec le Saint-Siège et les évêques de France, qui ressemble aujourd’hui à un dialogue de sourds. 

Z. – Quel est le sens du titre et que signifie la page de couverture que l’éditeur a élaborée pour vous ?

P. V. – J’ai modifié le titre par rapport aux publications de Zenit, car celui d’origine, « La France fille aînée de l’Église », n’est significatif que pour des lecteurs de tradition catholique et instruits. Pour le grand public, il ne nous a pas semblé assez universel, qui verrait dans ce titre « Fille aînée de l’Église », par le filtre de clichés déformés, une sorte de leçon de bondieuseries. Aussi, des amis ecclésiastiques m’en ont dissuadé. « Les papes et la France, de Clovis à De Gaulle » parle d’une histoire entre des personnes vivantes. 

L’écusson quadriparti représente la France : la fleur de lys fait bien évidemment référence à la royauté. Le coq « gaulois » évoque les premières Républiques. L’abeille a été choisie par Napoléon Bonaparte en mémoire de symboles retrouvés sous le règne de Louis XIV dans la tombe de Childéric (père de Clovis). La Croix de Lorraine a été choisie pour évoquer la cinquième République, initiée en 1958 par Charles de Gaulle, évoquant la mémoire de la Guerre de 14, lorsque, avec la récupération de l’Alsace et de la Lorraine, le territoire français avait retrouvé ses anciennes frontières. Ceci n’empêche que les départements d’Alsace et de Lorraine bénéficient d’un statut particulier, toujours respecté, garantissant un système politique et religieux autonome. 

Lorsque l’Édit de Nantes avait été révoqué en 1685, les protestants de la région purent maintenir leur culte public ; seul changement : la cathédrale de Strasbourg  fut rendue aux catholiques. En 1905, ces provinces n’étaient plus françaises et ne furent pas touchées par la loi de séparation, et ce statut, à part maintenant le concordat napoléonien, fut maintenu en 1918 quand ces provinces redevinrent françaises. Non seulement la France a signifié qu’elle prenait en compte la tradition autonomiste des Alsaciens-Lorrains. Ce respect fut même maintenu, un temps, par l’Allemagne  d’Hitler. 

Cette croix de Lorraine indique somme toute l’intégrité du territoire national français, assez constant depuis Louis XIV, faisant abstraction des troubles du 19e siècle. Il est particulièrement significatif aujourd’hui, en ces temps d’insécurité sur notre propre sol. 

Ces armoiries fictives sont entrelacées avec la tiare pontificales et les Clefs de Saint-Pierre rappelant la sentence du Sauveur : « ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux. » (Matthieu 16, 19) 

Propos recueillis par Zenit

 

Le Cercle Saint-Honoré présentera le livre, en présence de l’auteur, à l’église Saint-Roch, le jeudi 12 octobre à 19h30. Une occasion pour en obtenir la dédicace.

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Rédaction

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