Syrie : plaidoyer du Saint-Siège pour les enfants

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Protéger leurs droits à une identité légale, une éducation adéquate et une famille

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Le Saint-Siège appelle la communauté internationale à faire davantage pour protéger les enfants victimes du conflit syrien, notamment leurs droits « à une identité légale, à une éducation adéquate et à une famille ».

Mgr Silvano M. Tomasi, observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies à Genève, a pris la parole lors de la 28ème session du Conseil des droits de l’homme, à l’occasion du Rapport sur la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, le 17 mars 2015.

Constatant que « l’étendue de la crise syrienne » a été « sous-estimée », il souligne que « les enfants, qui constituent à peu près la moitié de la population réfugiée », sont « le groupe démographique le plus vulnérable en temps de conflit et de déplacement ».

Le Saint-Siège appelle à « résoudre le sort des enfants apatrides » : il s’agit de « simplifier les mécanismes et les exigences pour l’enregistrement, supprimer les frais, plaider pour une législation qui enregistre automatiquement les réfugiés ».

« Dans leur propre pays ou dans les camps de réfugiés, les enfants trouvent un système d’éducation qui n’est pas adapté, ce qui compromet leur avenir », déplore-t-il aussi en soulignant « le besoin urgent d’un système éducatif qui puisse absorber ces enfants et donner un peu de normalité à leur vie ».

Enfin, « pour empêcher que les enfants ne soient encore davantage exploités et pour les protéger correctement, un effort supplémentaire devrait être fait pour faciliter la réunification des enfants avec leurs familles respectives », ajoute Mgr Tomasi.

A.K.

Déclaration de Mgr Silvano M. Tomasi

Monsieur le président,

Les conflits ont contraint le nombre stupéfiant de 5,5 millions de personnes à fuir leur foyer au cours des six premiers mois de 2014. Cela représente un chiffre supplémentaire qui s’ajoute aux 51,2 millions de personnes dans le monde déplacées de force à la fin de l’année 2013. La Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne a récemment informé que, depuis le début de la crise, « plus de 10 millions de Syriens ont fui leur foyer. Cela équivaut à près de la moitié de la population du pays ; ils sont maintenant privés de leurs droits fondamentaux à un logement décent, à la sécurité et à la dignité humaine. Un grand nombre d’entre eux sont victimes de violations des droits humains et d’abus et ont un besoin urgent de mesures de protection et de soutien ».

Aggravant cette tragédie, plus de 3 millions de personnes, dont la plupart sont des femmes et des enfants, ont fui la République arabe syrienne et sont réfugiées dans les pays voisins. La violence continue de faire des victimes au Moyen-Orient en particulier, mais aussi ailleurs, où la haine et l’intolérance sont les critères des relations intergroupes. Les droits humains de ces populations déplacées de force sont systématiquement et impunément violés. Diverses sources ont fourni des preuves sur la façon dont les enfants souffrent des conséquences brutales d’un état de guerre continu dans leur pays. Les enfants sont recrutés, entraînés et utilisés dans des rôles de combattants sur le terrain, parfois même comme boucliers humains dans des attaques militaires. Le groupe du prétendu État islamique (daesh) a aggravé leur condition en entraînant des enfants pour les utiliser comme kamikazes, en tuant des enfants qui appartiennent à des communautés religieuses et ethniques différentes, en vendant des enfants comme esclaves sur les marchés, en exécutant un grand nombre de jeunes garçons et en commettant d’autres atrocités. Dans les camps à travers le Moyen-Orient, les enfants constituent à peu près la moitié de la population réfugiée et sont le groupe démographique le plus vulnérable en temps de conflit et de déplacement. Leur vie en exil est pleine d’incertitudes et de luttes quotidiennes. « Beaucoup sont séparés de leur famille, ont des difficultés à accéder aux services de base et vivent dans une pauvreté croissante. Seulement un enfant réfugié syrien sur deux, dans les pays voisins, reçoit une éducation ». Au-delà des conditions spécifiques auxquelles sont confrontés les enfants déplacés à l’intérieur du pays et ceux qui sont dans les camps de réfugiés de la région, et au-delà des immenses tragédies qui les affectent, il semble important d’envisager leur avenir, en se concentrant sur trois domaines préoccupants en particulier.

D’abord, le monde doit faire face à la situation de millions d’enfants apatrides qui, selon la loi, ne sont pas nés. Les Nations Unies estiment que, rien qu’au Liban se trouvent 30.000 de ces enfants. De plus, en raison des conflits au Moyen-Orient et du déracinement massif des familles, plusieurs milliers d’enfants non enregistrés sont dispersés dans des camps et dans d’autres pays d’asile. Ce sont les « enfants fantômes » dont les parents ont fui la Syrie mais dont les noms et la date de naissance n’ont jamais été enregistrés dans aucun bureau. En fait, l’UNICEF rapporte que 3.500 enfants n’ont « officiellement » ni famille ni identité. Cela se produit parce que tous les documents personnels ont été détruits sous les décombres de la guerre ou, parfois, simplement parce que leurs parents n’avaient pas le temps ni l’argent pour certifier leur naissance. Les enfants apatrides traversent tout seuls les frontières et se retrouvent complètement abandonnés. Le nombre de personnes apatrides dans le monde atteint les 10 millions. Si tous font face à de graves difficultés, ceux qui fuient la Syrie sont confrontés à des défis encore plus dramatiques : un enfant en-dessous de onze ans et sans documents n’a même pas accès aux services les plus élémentaires. Ces enfants ne peuvent évidemment pas aller à l’école et il est probable qu’ils seront adoptés illégalement, recrutés dans un groupe armé, maltraités, exploités ou forcés à se prostituer. Tout enfant a le droit d’être enregistré à la naissance et donc reconnu comme une personne devant la loi. L’application de ce droit ouvre la voie à l’accès à la jouissance des autres droits et avantages qui conditionnent l’avenir de ces enfants. Simplifier les mécanismes et les exigences pour l’enregistrement, supprimer les frais, plaider pour une législation qui enregistre automatiquement les réfugiés, sont des étapes pour résoudre le sort des enfants apatrides.

En second lieu, un autre élément clé qui façonne l’avenir des enfants déracinés est l’éducation. En Syrie comme dans les camps de réfugiés de la région, donner une éducation est devenu extrêmement problématique. Environ 5.000 écoles ont été détruites en Syrie, où plus d’un million et demi d’étudiants ne reçoivent plus d’éducation et où les attaques contre les bâtiments scolaires continuent. Les extrémistes de daesh ont déjà fermé un grand nombre d’écoles dans les zones qui sont sous leur contrôle. La situation dangereuse du pays ne permet pas aux enfants d’aller à l’école ni d’avoir accès à une bonne éducation. La communauté internationale dans son ensemble semble avoir sous-estimé l’étendue de la crise syrienne. Beaucoup ont pensé que le flux de réfugiés syriens était temporaire et que ces réfugiés quitteraient leur pays d’asile en l’espace de quelques mois. Maintenant, après quatre ans de conflit, il semble probable que ces réfugiés resteront et les populations locales doivent apprendre à vivre à leurs côtés.

En raison du conflit, les enfants sont en retard dans leur éducation et ils n’ont pas profité de leur enfance. Dans les camps, il n’y a que 40 professeurs pour plus de 1.000 élèves entre 6 et 17 ans. La plupart des professeurs sont des volontaires et souvent eux-mêmes réfugiés. Les class
es sont centrées sur le dessin et la musique pour aider à soulager du traumatisme ; l’écriture et les mathématiques sont enseignées lorsque des livres sont disponibles. En Turquie, les enfants sont confrontés à un problème supplémentaire à cause de la barrière de la langue. Ces réfugiés parlent arabe ou kurde et ne peuvent donc pas aller dans les écoles publiques où l’on ne parle que le turc. Pour différentes raisons, que ce soit dans leur propre pays ou dans les camps de réfugiés, les enfants trouvent un système d’éducation qui n’est pas adapté, ce qui compromet leur avenir. Partout, il y a un besoin urgent d’un système éducatif qui puisse absorber ces enfants et donner un peu de normalité à leur vie.

En troisième lieu, une autre conséquence perturbatrice de la violence continue qui tourmente le Moyen-Orient est la séparation des membres d’une même famille, ce qui pousse de nombreux mineurs à se débrouiller par eux-mêmes. La racine de la déstabilisation de la société est la violence généralisée qui conduit à la décomposition de la famille, cellule sociale de base de la société. Pour empêcher que les enfants ne soient encore davantage exploités et pour les protéger correctement, un effort supplémentaire devrait être fait pour faciliter la réunification des enfants avec leurs familles respectives.

Monsieur le président,

Le droit à une identité légale, à une éducation adéquate et à une famille sont des éléments-clés et des exigences spécifiques dans un système global de protection des enfants. De telles mesures nécessitent une étroite collaboration de toutes les parties concernées. L’accès à une éducation de qualité et à des soins psychologiques et sociaux, ainsi qu’à d’autres services élémentaires, est extrêmement important. Pourtant, les enfants ne peuvent pas bénéficier de ces services s’ils ne sont pas enregistrés à la naissance et si l’on n’aide pas leurs familles et leurs communautés à mieux les protéger. Si la violence ne s’arrête pas et si un rythme normal d’éducation et de développement n’est pas repris, ces enfants risquent de devenir une génération perdue.

La paix en Syrie et au Moyen-Orient est la priorité pour permettre une croissance saine de tous les enfants. Avec conviction, pendant son pèlerinage en Terre Sainte, le pape François a déclaré : « Que cessent les violences et que soit respecté le droit humanitaire, en garantissant l’assistance nécessaire à la population qui souffre ! Que tous abandonnent la prétention de laisser aux armes la solution des problèmes et que l’on revienne sur le chemin de la négociation. La solution, en effet, ne peut venir que du dialogue et de la modération, de la compassion pour celui qui souffre, de la recherche d’une solution politique et du sens de la responsabilité envers les frères. »

Traduction de Constance Roques

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Silvano Maria Tomasi

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