Syrie : Déclaration des Jésuites concernant les violences dans le pays

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ROME, Lundi 6 juin 2011 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous une déclaration signée le 3 juin dernier à Damas (Syrie) par les Jésuites du pays concernant les violences qui ont ensanglanté le pays ces dernières semaines.

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Méditations sur les événements actuels en Syrie

Nous, les Jésuites en Syrie, sommes bouleverséspar les événements récents qui ont lieu dans ce pays qui nous est cher. Nous nous sommes rencontrés pour prier ensemble, pour intercéder en sa faveur, et pour méditer sur ce qui s’y passe. Ce texte est le fruit de notre prière, nous désirons le partager avec vous :

La Syrie, pays agent de civilisation

Notre patrie, la Syrie, est le pays des multiplescivilisations qui se sont succédées sur notre terre et ont enrichi notre patrimoine. Une grande partie de cette richesse provient de la communication et del’harmonie entre des personnes de culture, de religion et de spiritualité différentes. Ensemble, ces personnes ont constitué une unité dont nous sommes fiers et à laquelle nous tenons, ce qui nous fait porter une grande responsabilité pour préserver cet héritage grandiose.

L’histoire de notre pays s’est distinguée par l’esprit d’hospitalité et d’ouverture àl’autre, quel qu’il soit. Cet esprit d’hospitalité, de recherche de l’unité dans la différence, ainsi que tous les efforts qui conduisent à la construction de l’unité nationale sont, sans aucun doute, aux fondements de la société syrienne et en font une belle et vivante mosaïque.

Les événements récents

Depuis quelques mois, surgissent dans notre pays, comme dans la plupart des pays arabes, des revendications de réformes des structures politiques et sociales. Ces réformes visent à conforter l’état de droit et la conscience citoyenne, dans le respect des libertés individuelles. De telles revendications sont un droit légitime et reconnu pour tous, permettant à chaque citoyen d’être un acteur dela transformation de cette société.

Malheureusement, c’est la confusion qui a pris le dessus, ouvrantla voie à la violence. Le refus de l’autre, comme nous le savons tous, est la causeprincipale de la violence qui appelle à sontourune autre violence. Nous observons en ce moment des tentatives visant à fomenter des troubles et une guerre confessionnelle qui mèneraient à l’effritement de notre société.

Face àces évènements sanglants dont l’intensité, la dureté et la violence augmentent de semaine en semaine, et qui font des victimes innocentes, nous ne pouvons que pousser un cri d’appel à laconscience de nos concitoyens, quelle que soit leur appartenance.

Ces circonstances difficiles ne constituent pas la première crise que vit notre peuple, et malgré cela et dans chaque crise, nous avons trouvédans l’Évangile le cheminà suivre nous indiquant le juste choix à faire, la patience pour marcher sur ce chemin, ainsi que le courage du silence quand il est nécessaireet de la parole quand elle s’impose.

En effet, l’Évangile nous appelle à témoigner au cœur de notre monde, à renforcer le dialogue avec tous et àpromouvoir la justice pour tous. C’est pourquoi, nous nous trouvons maintenant appelés à exprimer notre total soutienà cette patrie et à son peuple, et àtémoigner des valeurs que nous tirons de notre foi et que nous pensons pouvoir partager avec nos compatriotes des différentes confessions religieuses et spirituelles, et des différents courants philosophiques. Nousle pouvonsparce que nous partageons avec eux tousl’héritage de lanoble civilisation arabe et quenous partageons avec eux le mêmesouci de l’unité nationale et lemême respect detous.

Les mutations à l’œuvredans le monde arabe, et les troubles actuels qui en ont résulté dans la société syrienne, sont porteurs d’une espérance nouvelle qu’il faut prendre en considération. Cette espérance se caractérise en toutpremier lieu par la liberté d’expression et la liberté d’opinion, ainsi queparla recherche commune de la vérité. Les réformes sociales et politiques sont devenues une nécessité pressante que nul n’a le droit d’ignorer.

La priorité de l’unité nationale

Ce qui caractérise une communauté humaine, c’est la diversité de ses composantes. Il n’y a pas de vie sociales’il n’y a pas de différences. La véritable paix nationale ne peut pas se construire par le rejet d’une partie de la populationcontre une autre ; elle suppose tout au contraire unevéritablevie en commun. Cette vie n’est pas possible dans la perceptionnégative de la présence de l’autre, dans une simple“existence côte à côte” ;elle requiertune véritable convivialité où chaque membre a unrôle efficace dans la société.

C’est pourquoi,nous partageons les craintes de notre peuple devant les défis actuels ; ces craintes surgissent face àtout changement des structures. Quel est donc le rôle positif que nous pouvons jouer dans lescirconstances actuelles, si complexes soient-elles?

Sans doute est-il vrai de dire que nous, chrétiens, considérons l’unité nationale comme le garant de notre existence même, et la perte de cette unité comme une menace de disparition, dedurcissement et d’effritement. C’est pourquoi,nous entendonsjouer le rôle qui nous permettra de renforcer l’unité nationale, en réactivant les valeurs qui sontessentielles à nos yeux.

Le dialogue et la liberté d’expression

Il ne nous est pas possible de mentionner toutes les causes de la crise actuelle, mais nous nous demandons comment dépasser cette situation douloureusepour aboutirà une tentative de dialogue sincèreentre toutes les parties. Ce dialogue n’est pas chose facile car il suppose d’abord la confiance dans l’autre et l’écoute de sa parole. Il nous faut aussi prendre sérieusement en considération les idées de l’autre, même si elles sont différentes des nôtres. Il n’y a pas de dialogue véritable sans acceptation préalable que “personne ne possède la vérité complète”, ce qui veut dire que le but essentiel du dialogue est la recherche commune de ce qui se rapproche le plus de la vérité; cette recherche commune suppose d’y conviertoutes les parties, sans exclusive aucune.

Un tel dialogue nécessite d’être suffisamment conscients afin de ne pas être entraînés par différents canaux d’informations tendancieuses. Le chrétien adultese libère de ses idées négatives préconçues ; il tente par le dialogue, et par l’humilité du dialogue et de l’écoute, de connaître les données objectives afin de constituer un pont entre les courants antagonistes au seinde la société. Le chrétien adulteest un acteurefficace dans la constitution d’une opinion publique modérée, condition essentielle pour uneréforme réussie.

Le rejet de la violence

Nous invitons sincèrement toutes les parties à rejeter la violence. Cette option pourla non-violence ne provient pas d’un sentiment de peur ou de faiblesse ; elle est l’expression d’un principe évangélique essentiel et un élément constitutifde notre vie humaine et denotre foi.

L’Église nous enseigne lanécessaire distinctionentre la violence issue de la haine et l’usage légal de la force pour arrêter une agression contre la société, à condition que ceux qui usent légitimement de la force respectent pleinementla dignité de toutepersonne, quelles que soient ses prises de position à leur égard.

Nous refusonsd’entrer dans le cercle vicieux qui engendre la peur de l’autre et étouffe toutes les bonnes intentions qui cherchent à édifier la patrie.

Chaquecroyant doit purifier son cœur du mépris et de la haine ainsi que de la peur qui justifierait pour lui l’appel à l’usage de la violence. De plus, chaquecroyant doit être, dans tous les domaines de sa vie sociale, tant en famille quedans la rue ou au travail, un élément efficace dans la réalisation de l’unité nationale. Il ne peut pas se réfugier dans uneneutralité négative mais doit être un instrument de paix.

Dans ce contexte, nous espérons que les sentime
nts nationaux sincères, qui ont animé beaucoup de personnes pendant les jours passés, ne sontpas une excuse pour l’usage d’un discoursqui refuse l’autre et le méprise, ce qui annihilerait toute possibilité de communication avec lui.

Nous exprimons notre profonde tristesse à toutes les familles des victimes; et nous nous engageons à œuvrer autant que possible, à les aider toutes, sans aucune distinction, pour alléger leurs souffrances.

En conclusion, au regard de la gravité de la situation, au nom de tous ceux qui ont versé leur sang, nous implorons les Syriens de tous bords, à se mobiliser sans tarder pour construireun dialogue national sincèreen vue d’une issue à cette crise.

Nous implorons le Très-Haut afin que notre premier objectif à tous, soitl’intérêt et la dignité de chaquecitoyen syrien. Ainsi nous renoncerons àtout exclusivisme étroit en cherchant, envers et contre tout, à sauvegarder le salut de la nation.

Damas, le 3 juin 2011

(traduit de l’original en arabe)

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ZENIT Staff

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