Synodalité : la réforme en marche

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Entretien avec le cardinal Baldisseri

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Dans un entretien publié par L’Osservatore Romano, le cardinal Lorenzo Baldisseri, secrétaire général du synode des évêques, revient sur les deux années de réflexion consacrées à la famille. Il confirme la préparation d’une exhortation apostolique sur ce thème et évoque la révision du règlement du synode des évêques (Ordo synodi) souhaitée par le pape François.
 
De l’année du synode à celle du jubilé
Propos recueillis par Nicola Gori
En 2015, la seconde étape du chemin synodal sur la famille a conclu un cycle. Quel bilan peut-on tirer de cette période ?
Pour le synode des évêques, il s’est agi d’un moment très particulier parce que nous avons initié un parcours qui est en partie différent par rapport au passé. En effet, depuis le début de son pontificat, le pape François a accordé une attention particulière à l’organisme synodal et a demandé un renouvellement. On peut dire que cela rentre dans le grand projet de réforme de la Curie romaine et des autres institutions ecclésiales que le Saint-Père est en train de mener, bien que le synode des évêques ne fasse pas partie de la Curie, à proprement parler, puisqu’il est un organisme indépendant. C’est un fruit du concile Vatican II et, à ce jour, il est devenu une présence active et efficace de conseil de la part des évêques pour aider le pape dans le gouvernement de l’Église universelle. Au cours de la dernière assemblée synodale, nous avons justement commémoré le cinquantième anniversaire de l’institution du synode, qui avait eu lieu le 15 septembre 1965 sur la volonté de Paul VI. Cette commémoration a été une occasion précieuse, qui nous a permis d’observer rétrospectivement le long chemin parcouru, initié avec beaucoup d’enthousiasme et consolidé dans le temps non sans de nombreuses modifications. Aujourd’hui, nous nous trouvons devant un organisme très important pour la vie de l’Église mais qui a en même temps besoin d’être revu. Dans une interview au début de son pontificat, le pape François a parlé du synode comme d’un organisme un peu statique, c’est-à-dire qui manque de dynamisme. Je crois que la commémoration elle-même a mis tout cela en évidence à travers les interventions des rapporteurs et surtout le grand discours du Saint-Père, que l’on peut considérer comme l’un des plus incisifs de son pontificat.
Comment les indications contenues dans ce discours peuvent-elles être reçues ?
Les réflexions sur ce thème se multiplient et c’est précisément la synodalité que le pape désire voir approfondir. Une synodalité qui se développe en suivant un parcours circulaire : de bas en haut et de haut en bas. C’est une manière de concevoir l’Église comme un organisme vivant qui avance à différents niveaux sans compartiments étanches. Une Église qui vit une communion effective, sans s’identifier uniquement avec le sommet ou avec la base, une Église dans laquelle tous les membres du peuple de Dieu sont appelés à « marcher ensemble », chacun à partir des dons et des charges qu’il a reçus. La synodalité est, en particulier, l’horizon dans lequel se comprennent aussi les fonctions et les institutions préposées pour guider le corps ecclésial. C’est à ce niveau que se situe le discours sur la collégialité épiscopale, thème étroitement en lien avec la synodalité mais qui ne coïncide pas avec celle-ci. La collégialité, en effet, se réfère à l’autorité que tous les évêques, réunis en collège, exercent sur l’Église « cum et sub Petro ». La synodalité, en revanche, implique tout le peuple de Dieu, entendu non pas comme un sujet passif mais actif, selon les fonctions, les charismes et les ministères de chacun. On parle aussi ici du « sens de la foi » (sensus fidelium), expression par laquelle on veut mettre en évidence la participation de toutes les composantes du peuple de Dieu, en tant que baptisés, au discernement ecclésial et à l’œuvre d’évangélisation.
Le pape a aussi parlé de la possibilité de convoquer des synodes régionaux.
Dans son discours, le Saint-Père a parlé d’une synodalité organisée à différents niveaux, en soulignant spécialement le rôle des Conférences épiscopales. Une première mention de ce thème avait déjà été faite dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, où le pape avait parlé de la réforme de la Curie et aussi du rapport entre le primat pétrinien et le corps collégial des évêques. Dans cette perspective, les Conférences épiscopales revêtent un rôle important. C’est précisément pour pouvoir contribuer à une plus grande compréhension de la synodalité que le secrétariat du synode des évêques organise pour le mois de février un séminaire réservé à des spécialistes, que ce soit dans le domaine ecclésiastique ou dans le domaine canonique. L’initiative veut constituer un approfondissement ou au moins mettre en route des études ultérieures, à partir de la doctrine et des recherches déjà existantes. En effet, il est nécessaire de donner une plus grande impulsion à l’étude de la synodalité ecclésiale par les experts du savoir théologique et juridique.
Dans ces deux dernières assemblées, la méthodologie synodale a profondément changé. Quels sont les résultats ?
Le changement a été apprécié, même s’il a demandé au début certains efforts, parce qu’une méthodologie nouvelle, qui semble théoriquement facile, entraîne inévitablement dans la pratique des problèmes liés à la nécessité de l’expérimentation. Tout compte fait, nous avons toutefois obtenu un bon succès. Le renouvellement méthodologique a été avant tout déterminé par la décision inédite de réunir deux assemblées sur le même thème, en les transformant en deux étapes d’un unique chemin synodal, et cela parce que la thématique choisie avait besoin d’une réflexion qui s’étende dans le temps. Dans la première phase, à savoir dans l’assemblée générale extraordinaire, nous avons pris en compte les défis pastoraux sur la famille dans le contexte actuel de l’évangélisation. En partant de l’expérience, de la vie même de nos Églises, à travers un questionnaire diffusé dans le monde entier, le secrétariat général du synode a recueilli les réponses qui ont ensuite été intégrées dans les « Lineamenta ». Ce document a été envoyé aux évêques, suscitant un très grand intérêt en raison du fait que le thème de la famille concerne tout le monde. Pendant la première étape, la méthodologie existante est restée pratiquement intacte, à part l’élargissement de la commission de rédaction du document de trois membres – rapporteur général, secrétaire spécial et secrétaire général du synode – à sept membres, et ceci pour impliquer quelques représentants des divers continents. Une seconde nouveauté a été déterminée par le fait qu’au lieu des « propositions », un document final a été préparé sous forme d’un « rapport du synode ». En même temps, le Saint-Père a demandé que l’on approfondisse le document élaboré, à travers quelques questions formulées par le conseil ordinaire du secrétariat du synode et indiquées en marge du texte. Les réponses à ces questions, venues de toutes les Conférences épiscopales, ont été intégrées dans l’Instrument de travail de la nouvelle assemblée. Au début de la seconde phase du chemin synodal, c’est-à-dire de l’assemblée générale ordinaire d’octobre dernier, le pape en personne a déclaré que l’Instrument de travail constituait le texte de base des travaux, à partir duquel élaborer le Rapport final.
Y a-t-il eu d’autres nouveautés dans la seconde phase du synode sur la famille ?
Une nouveauté a été le fait d’échelonner les travaux synodaux sur trois phases de travail correspondant aux trois parties de l’Instrument de travail, pour aboutir à un projet de texte unique et non à de simples propositions. Cette répartition a permis de réfléchir de manière distincte sur les thèmes, sans confusion ni répétition, que ce soit pendant les congrégations générales ou durant les sessions des cercles mineurs. Une autre nouveauté a consisté précisément à donner plus d’espace aux cercles, à l’intérieur desquels les Pères, répartis selon leur langue, avaient le temps d’intervenir librement et d’élaborer des textes permettant de reformuler le document de base en vue du document final. Dans l’ensemble, cette nouvelle méthodologie a donné davantage d’espace d’intervention aux Pères : même si, en séances plénières, les évêques ont eu trois minutes, et non plus quatre comme autrefois, pour exprimer leurs interventions programmées, ils ont pu amplement prendre la parole dans les cercles mineurs et pendant l’heure libre en fin de journée. En outre, la commission pour l’élaboration du document final a été encore élargie, passant de sept à dix membres. Cette commission a accepté un projet de rapport final, qui a été soumis aux Pères synodaux pour les derniers amendements. Nous avons ainsi pu adopter le texte final et le remettre au pape.
Au cours de la dernière assemblée, le débat a été particulièrement animé et a révélé des positions différentes entre les évêques, mais à la fin, le vote a exprimé un consensus très ample. Comment expliquez-vous cela ?
Cela a été un grand travail dans lequel nous devons reconnaître le sérieux et l’esprit de communion qui, malgré les différences d’opinion normales, a permis à tous de se mettre d’accord pour parvenir à un consensus sur les différentes questions. Sur ce point, le pape nous a été d’une très grande aide en rappelant aux Pères synodaux que l’assemblée n’est pas un parlement mais un espace dans lequel il faut laisser agir l’Esprit Saint. La confrontation synodale a vraiment enrichi le texte de base. Les Pères ont échangé leurs points de vue, en travaillant ensemble avec sincérité, sérieux et honnêteté, sans calculs, même si les médias ont spéculé sur certains aspects. La lettre envoyée au pape par certains cardinaux doit aussi être vue et comprise dans cette perspective : certains Pères synodaux ont exposé leurs difficultés à accepter la nouvelle méthodologie et ont voulu s’exprimer pour recevoir rapidement une réponse. Leurs doutes ont été clarifiés le lendemain. Je suis moi-même intervenu pour apporter des clarifications et le pape en personne a pris la parole pour donner des précisions importantes. Tout le monde en a été satisfait.
Lors de la dernière session, les Pères synodaux ont proposé quelques problématiques pour le thème du prochain synode. Comment se concrétisera ces mois-ci le travail de préparation pour la prochaine assemblée ?
Pour le moment, nous attendons l’exhortation apostolique du pape sur le chemin synodal qui vient de se conclure. Quant au travail futur, il y aura une réunion du nouveau conseil ordinaire du secrétariat du synode en avril. À cette occasion, le secrétariat général présentera une synthèse des propositions émises par les Pères synodaux et les Conférences épiscopales pour le thème de la prochaine assemblée. Nous ne disposons encore que de celles des Pères. Il y aura aussi une discussion sur les temps, étant donné qu’entre-temps nous travaillons à la réforme de l’Ordo synodi. En effet, à la lumière du séminaire de février, ainsi que de l’expérience des deux derniers synodes, nous avons l’intention de continuer à réfléchir à son amélioration.
Existe-t-il un lien entre le chemin synodal sur la famille, qui vient de se conclure, et le Jubilé extraordinaire de la miséricorde, à peine commencé ?
Dans le discours de clôture de la dernière assemblée synodale, le pape François a affirmé que « sans jamais tomber dans le danger du relativisme ou même de diaboliser les autres, nous avons cherché à embrasser pleinement et courageusement la bonté et la miséricorde de Dieu », pour « insérer et pour vivre ce synode dans le contexte de l’Année extraordinaire de la miséricorde que l’Église est appelée à vivre ». Nous pouvons dire que le chemin synodal a offert un prélude au jubilé, montrant dans la miséricorde un pilier essentiel sur lequel se construisent la vie concrète des familles et la pastorale familiale elle-même. La famille est un lieu privilégié d’exercice de la miséricorde : en elle, les membres sont appelés à exercer constamment l’art du pardon mutuel, dépassant les torts et les manques. Cette réflexion peut s’élargir à partir des familles jusqu’à la famille chrétienne et à la famille humaine tout entière, avec la conscience – souvent rappelée par le pape – que notre époque a un besoin particulier de miséricorde.
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Lorenzo Baldisseri

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