Signes d’espoir en Afrique (I)

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Entretien avec Mgr Jude Thaddeus Okolo

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ROME, Mercredi 30 septembre 2009 (ZENIT.org) Selon Le secrétaire du Conseil pontifical justice et paix, Mgr Giampaolo Crepaldi, la solution aux problèmes de l’Afrique est une question stratégique pour le monde et pour l’Eglise.

Mais comment vaincre le sous-développement, la pauvreté et les maladies ? Comment mettre en œuvre une révolution verte ? De quelle manière soutenir l’espérance et convaincre les jeunes à ne pas émigrer ? Comment se positionner par rapport à l’islam ? Quels sont les problèmes de l’Eglise en Afrique et les chemins à emprunter pour trouver les solutions ?

Toutes ces questions seront largement soulevées lors du synode spécial des évêques pour l’Afrique qui s’ouvre le 4 octobre prochain à Rome.

Pour essayer de comprendre ce qui se passe en Afrique et quelles pourraient être les voies à prendre pour trouver des solutions, ZENIT a interrogé Mgr Jude Thaddeus Okolo, nonce apostolique au Tchad et en République centrafricaine.

ZENIT – En Afrique plus de 80% de la population travaille dans le secteur agricole, pourtant des centaines de millions de personnes souffrent de la faim. Comment expliquer ce phénomène ?

Mgr Okolo – C’est vrai que le continent africain a une vaste surface de terrain agricole et qu’une grande partie de la population a accès à la terre et travaille dans l’agriculture. Avec les ressources naturelles dont il dispose, le continent africain devrait être en mesure de nourrir ses enfants. Il a une capacité de production qui, si elle est bien exploitée, pourrait lui garantir son propre marché agricole et vaincre son insécurité alimentaire. Malgré tout cela, beaucoup souffrent de la faim. On peut expliquer ce phénomène en partant des difficultés et des défis qui existe et il en existe beaucoup. Nous en citerons quelques uns.

Tout d’abord, il faut reconnaître que certains pays du continent africain ont réalisé de gros progrès dans le secteur agricole. L’exemple ou l’expérience d’un Etat en difficulté ne peut servir à condamner tout le continent. Les réalités varient : les mentalités révèlent des contrastes énormes et impressionnants ; on relève une grande diversité entre les régimes politiques ; les contextes culturels et religieux varient ; les expériences historiques ne sont pas toutes les mêmes, ainsi que les orientations économiques.

On relève aussi une sensible amélioration concernant la bonne gouvernance et une croissance économique qui a atteint des niveaux extraordinaires. Pour ce qui est de l’agriculture, les paysages changent d’une localité à l’autre, et cela à l’intérieur même d’un pays. Donc on ne peut parler de développement agricole sans considérer ces différences. D’autre part, une généralisation du status quo ne nous avance pas beaucoup sur la question.

ZENIT – Quelles sont ces difficultés, ces problèmes et ces défis ?

Mgr Okolo – L’agriculture n’est pas une priorité dans la politique des gouvernants. Et puis, pour beaucoup de gouvernants et responsables politiques, le budget réservé à la sécurité nationale occupe une place prépondérante. Donc, ce qu’il faut c’est convaincre ces derniers à fixer une orientation raisonnable, claire et où la politique de développement agricole serait prioritaire. Quand on parle de développement agricole, on parle certainement de la manière de réorienter le peuple africain vers un développement durable à travers l’utilisation de la terre et l’exploitation responsable de la nature.

Il faut une nouvelle prise de conscience et un développement positif de la mentalité indigène. Avec les changements politiques des années soixante et soixante-dix, dans certains pays africains on pensait que le développement consistait à quitter la terre, à se mettre une cravate et un pantalon et aller travailler dans un bureau comme fonctionnaire public. Tout un chacun désirait quitter son état de paysan et se montrer sophistiqué, érudit, émancipé, éduqué (une pseudo-sophistication, dirions-nous). La tendance était de fuir la culture agricole ; la logique était d’abandonner la terre. Donc beaucoup de ceux qui ont mis un pied à l’école supérieure ne veulent plus retourner cultiver la terre. Le plus difficile maintenant sera de convaincre ces jeunes que l’agriculture peut encore être une activité à la mode.

Concernant les moyens de production, encore aujourd’hui, pratiquement partout dans les pays africains, l’agriculture se fait avec les mêmes outils qu’il y a soixante ans, ce qui limite la production. D’autre part, un des problèmes de cette mécanisation est l’épineuse question de l’entretien, un entretien adéquat: disponibilité des pièces de rechange, capacité technique des agents locaux, être attentif au mode d’emploi etc.

Le transport des produits à travers un pays peut se révéler très onéreux par manque de moyens adéquats et manque de routes goudronnées. En outre, il pleut beaucoup et l’érosion détruit le peu de routes qui existent. Les frais de transport sont très élevés, quand on a les moyens. Sinon les gens parcourent des dizaines de kilomètres à pied, portant sur la tête leurs propres produits.

Aussi étrange que cela puisse paraître il arrive que les paysans n’aient pas la volonté de s’engager davantage. Parfois, ils ne se rendent pas compte qu’ils ont la possibilité d’améliorer leur situation : ils se contentent de rester comme ils sont et s’opposent même à tout effort visant un vrai changement.

Concernant l’insécurité sociale et le trafic légal/illégal d’armes. Jusqu’à il y a quelque temps, les pays européens étaient les plus gros fournisseurs d’armes légères aux pays africains. Ces armes tombaient dans les mains des rebelles. Dans les zones contrôlées par des rebelles, aucune activité agricole n’est possible.

Il y a une difficulté qui s’ajoute encore aux autres : celle de la criminalité organisée transnationale, en soi différente des activités de rébellion. Celle-ci favorise le trafic d’armes, la contrebande de ressources naturelles, augmente le danger du trafic et de la consommation de drogues, de la traite d’êtres humain, réduit la capacité de l’Etat à contrôler son propre territoire et à organiser la culture de la terre.

ZENIT – De quoi ont besoin les africains pour réaliser une première révolution verte ?

Mgr Okolo – Peut-être que par révolution verte on entend la biotechnologie moderne. En ce sens, les besoins de beaucoup d’africains sont différents. Mais si l’on parle d’un engagement plus concret dans l’agriculture, je dois dire que beaucoup de pays africains ont déjà mis en œuvre leur « révolution verte », faisant prendre conscience à leurs citoyens de la réalité. Dans mon pays d’origine, la « Green Revolution » était une ritournelle dans les campagnes politiques des années 80. Donc, on ne peut imaginer que rien n’ait été fait.

Pour un développement agricole plus concret et qui réponde aux exigences de ce peuple, mis à part les solutions aux difficultés mentionnées, on pense à une conscientisation de base pour faire évoluer les mentalités, les coopératives, les initiatives de justice et de paix, le respect par rapport à la façon de faire des peuples, en tenant compte de l’environnement, du système de micro financement etc.

Le travail de conscientisation n’est pas une tâche facile, à commencer chez ceux qui devraient être plus informés. Un petit exemple. Tout le monde sait que le manioc contient du cyanure, un poison terrible. On sait comment il agit au contact des enzymes de l’homme, au moment de la consommation du produit. Dans certaines régions, pour une question de survie, le manioc est largement consommé, tous les jours. La production est abondante. Mais la préparation, pour retirer le cyanure est difficile. Donc le danger persiste. Convaincre les personnes, érudite
s ou pas, à renoncer au manioc pour d’autres aliments plus nourrissants (mais, millet, igname, sorgho, couscous, etc.) n’est pas facile. Le résultat est que le cyanure détruit lentement le cerveau de celui qui consomme le manioc. Il bloque sa capacité d’auto-développement. La personne humaine reste condamnée à vivre dans sa routine, sans le savoir.

Il faut créer et soutenir les coopératives. Dans certains pays, dans certaines localités, naissent des associations coopératives qui poussent à une compétition dynamique. Il faut renforcer ces organisations paysannes, et les soutenir avec le financement de l’état. Pour un peuple habitué à des initiatives de familles et non de coopératives, il ne sera pas facile de faire fonctionner ces coopératives.

Il faut donner un juste prix au revenu. Les prix des produits agricoles de pays africains sont fixés non par les producteurs africains, mais par des tiers intéressés. On remarque une grande différence entre l’argent payé aux paysans producteurs et les prix de vente aux consommateurs en Occident. A Damara, en République centrafricaine, 30 unités de pamplemousses se vendent à un euro seulement. Une somme que les paysans sont peut-être même contents de recevoir. Ces pamplemousses, lorsqu’ils arrivent aux consommateurs étrangers, à quel prix seront-ils vendus? D’autre part, ces gens doivent payer la valeur d’environ 6 euro pour s’acheter une chemise d’occasion.

Il faut respecter les formes d’agriculture en Afrique. Certes, ceux qui parlent d’agriculture en Afrique ne peuvent se référer aux grands entrepreneurs de terrains à vaste extension, avec tracteurs, employés etc. La question des grands fermiers n’existe que dans quelques pays du continent. Donc, ici il s’agit d’une agriculture familiale : parents et enfants qui s’organisent. En plus, le travail est saisonnier et annuel : on produit pour la saison suivante. Il n’y a presque pas de prévisions à long terme, par conséquent il n’y a pas de magasins pour stocker, ou de moyens de conservation sur de longues durées. Cette brièveté de la planification est gênante quand les intempéries se déchaînent. Les entreprises familiales sont très petites, l’élevage nomade est contenu. Il est inutile d’essayer de changer tout de suite le système. C’est aussi pour cette raison que le soutien agricole passe par le micro-financement.

Pour ce qui concerne le remboursement des crédits dans le système du micro-financement, il faut dire que la mentalité du remboursement, du « crédit institutionnel », est absente dans certaines régions d’Afrique, surtout si ce prêt vient de l’étranger ou de l’Etat. Il est intéressant de remarquer que les prêts personnels entre amis et connaissances sont rendus, mais pas ceux des institutions. Cette mentalité crée des problèmes pour les banques, lesquelles ne sont pas disposées à financer des projets de famille sans garantie de restitution.

Antonio Gaspari

Traduit de l’italien par Isabelle Cousturié

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ZENIT Staff

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