Si l'Église en Europe s’affaisse, le christianisme oriental s’affaiblit

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Interview de Mgr Jean Sleiman, archevêque de Bagdad des latins

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ROME, Vendredi 25 mars 2011 (ZENIT.org) – L’attentat contre la cathédrale syro-catholique de Bagdad a « tué l’espérance » et les chrétiens d’Irak sont encore nombreux à s’exiler, a expliqué Mgr Jean Sleiman, o.c.d., archevêque de Bagdad des latins. Selon lui, cet acte terroriste semble avoir été commandité « pour des raisons politiques ».

Libanais, religieux dans l’Ordre des carmes déchaux, Mgr Sleiman a récemment participé au Forum Grands Témoins organisé par la Communauté Saint-Jean où il est intervenu sur le thème « christianisme et islam ».

Mgr Sleiman propose ici pour ZENIT un état des lieux de la coexistence entre chrétiens et musulmans en Irak, tout en invitant les Églises d’Europe à « annoncer Jésus Christ sans timidité et sans crainte ». « Si l’Église en Europe s’affaisse, comme je l’entends de plus en plus en France, le christianisme oriental s’affaiblit », affirme-t-il avec force.

ZENIT : Après les événements douloureux des derniers mois, comment vit la communauté chrétienne en Irak ?

Mgr Sleiman : La communauté chrétienne dans son ensemble a été terrorisée par le massacre de la cathédrale. Cet acte terroriste a surtout tué l’espérance. Beaucoup ont quitté Bagdad. D’autres, nombreux, sont encore terrés dans leurs maisons. Les assemblées liturgiques comme les autres rassemblements sont encore évitées par crainte d’actions terroristes similaires.

ZENIT : Les chrétiens sont-ils encore nombreux à s’exiler ? Quelle espérance pour ceux qui restent ?

Mgr Sleiman : Effectivement, l’exode est loin de s’affaiblir. Ceux qui restent ou ceux qui veulent rester doivent trouver auprès de tous encouragement et solidarité. Ce sont ceux qui restent qu’il faut aider et éviter de pousser les gens à l’émigration. D’où l’importance d’exiger une politique gouvernementale de sécurité plus efficace. 

ZENIT : Où en sont les relations entre chrétiens et musulmans en Irak ?

Mgr Sleiman : En fait, cet acte terroriste barbare est plus politique que religieux. Exécuté par un groupe de fanatiques, il semble commandité pour des raisons politiques. Ce ne sont pas les musulmans qui ont attaqué des chrétiens. C’est un commando qui, dans sa veste islamique, a pris en otages des chrétiens. Qui l’a recruté ? Qui l’a mandaté ? Nous attendons toujours la réponse des autorités judiciaires et politiques. Aussi les relations entre chrétiens et musulmans ne sont pas mesurables à l’aune de ces opérations politiques violentes. Il n’en est pas moins vrai que ces dernières sapent ce qui reste d’une coexistence jadis confiante.

Aujourd’hui, en Irak, il y a quelques endroits où la coexistence est morte sous les coups des fanatiques. Il y a une grande partie du pays où elle se poursuit mais dans une soumission aux désirs de la majorité dominante. Dans la capitale, persistent encore des îlots de coexistence pacifique et positive. Dans le Nord, on peut aussi parler d’une coexistence dans la liberté.

ZENIT : Comment sont vus les chrétiens en Irak ? Souffrent-ils de préjugés anti-occidentaux ?

Mgr Sleiman : La vision des chrétiens par les musulmans en Irak est loin d’être uniforme. Entre ceux qui comparent les chrétiens aux fleurs de l’Irak et ceux qui ne les connaissent pas, il y a une gamme de visions et de préjugés intenables. Les préjugés anti-occidentaux nuisent aussi aux chrétiens irakiens : pour le commun des irakiens, le monde est composé d’une oumma chrétienne et d’une oumma musulmane. Les membres doivent donc assumer les responsabilités de leur oumma indistinctement. Dans cette vision tribale du monde, il n’est pas facile de distinguer entre la responsabilité personnelle, collective et gouvernementale. 

ZENIT : Quelles sont, selon vous, les bases d’un bon dialogue entre chrétiens et musulmans ?

Mgr Sleiman : La charité. Témoigner et agir dans la charité et pour la charité, voilà le fondement du dialogue. Ce qui veut dire que c’est le dialogue de la vie qui ne meurt pas mais renaît de ses cendres et résiste à l’usure du temps et des hommes.

ZENIT : Enfin, que peut-on faire, en Occident, pour aider les chrétiens d’Irak ?

Mgr Sleiman : La meilleure aide et la plus rassurante c’est de vivre sans aucun complexe son christianisme. C’est annoncer Jésus Christ sans timidité et sans crainte. Si l’Église en Europe s’affaisse, comme je l’entends de plus en plus en France, le christianisme oriental s’affaiblit. Il perd une de ses références majeures. Ensuite, en partant de cette foi vivante, on peut aider beaucoup notamment dans les échanges culturels. Après tout, le fond des questions demeure culturel au sens anthropologique. Ces peuples, souvent marginalisés par leurs propres gouvernements, méritent d’accéder à une culture où l’homme est reconnu dans sa liberté, dans sa dignité, dans sa vocation transcendante et où la violence est à réguler et humaniser dans une réconciliation de l’homme avec et en lui-même, d’abord, pour se réconcilier avec Dieu et les autres. Les chrétiens peuvent apporter ici leur patrimoine de foi et religieux mais aussi d’ascèse et de mystique.

Propos recueillis par Marine Soreau

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ZENIT Staff

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