Semaines sociales : Regard évangélique sur l’argent par le card. Sodano

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« Un juste rapport à l’argent s’apprend dès l’enfance, par une saine éducation »

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CITE DU VATICAN, Lundi 17 novembre 2003 (ZENIT.org) – « Un juste rapport à l’argent s’apprend dès l’enfance, par une saine éducation. De ce point de vue, la responsabilité des parents est essentielle », a affirmé le cardinal Secrétaire d’Etat Angelo Sodano, dans son intervention aux semaines sociales de France qui se sont achevées le 16 novembre (cf. www.ssf-fr.org), dont voici le texte intégral.

« Monsieur le Président,

1. À l’occasion des soixante-dix-huitièmes Semaines sociales de France, du 14 au 16 novembre 2003, vous avez souhaité approfondir une question de plus en plus complexe: l’argent. Le Saint-Père vous encourage, ainsi que tous les participants, à poursuivre les recherches que vous menez de longue date à la lumière du Magistère de l’Église, pour aider nos contemporains à envisager la place de l’argent dans leur existence, de manière à ne pas êtres asservis ou écrasés; ainsi, ils pourront mieux saisir certains aspects des techniques financières dont la compréhension est particulièrement difficile et avoir une vision plus précise et une maîtrise plus assurée de leur rapport à l’argent.

2. Il faut se réjouir que votre institution ait pris l’initiative d’aborder en vérité et avec lucidité un tel problème, car c’est un domaine trop souvent dominé par la gêne et l’opacité. La question économique est importante pour l’avenir du monde. Le phénomène de la mondialisation, qui conduit les marchés financiers à se développer et à se transformer, est bien souvent mu par des considérations financières et de rentabilité. Plus les hommes auront la maîtrise de la question de l’argent, plus ce dernier sera au service de tous. Pour cela, il convient d’apprécier correctement les difficultés. Le marché des capitaux constitue pour certains une source de profit plus importante que le fruit du travail et une part non négligeable de l’économie mondiale. Les décisions politiques sont aujourd’hui souvent largement influencées par les seuls aspects économiques et financiers, au détriment d’une perspective humaine et sociale plus ample, où doivent primer l’amour et le respect de l’homme. Dans le monde, la fluctuation du marché des capitaux et la spéculation boursière conduisent souvent les travailleurs, notamment dans les zones les plus pauvres, à des conditions plus précaires et, trop fréquemment, à l’appauvrissement et à la perte d’emploi, qui ouvre la voie à de nombreux conflits. On peut encore évoquer l’ampleur des trafics en tout genre, dont les mobiles sont souvent l’avoir et le pouvoir. Beaucoup de personnes ont l’impression que la sphère de la finance n’a comme perspectives principales que l’appât du gain, la rentabilité à tout prix et la réussite. Si l’on envisage la gestion de l’argent seulement du point de vue d’une rentabilité à court terme, il est alors difficile de penser l’avenir des personnes et de la société, et de prendre en compte la nécessaire solidarité entre les personnes et entre les générations. Autant d’éléments sur lesquels les chrétiens et les hommes de bonne volonté sont appelés à réfléchir, pour proposer aux décideurs et aux hommes politiques des critères renouvelés, fondés sur les principes anthropologiques et moraux qui mettent l’homme, en tant que personne et membre de la société, au centre de la décision, avec le souci du respect de tout être humain et de sa dignité. L’homme doit être considéré avant tout comme un partenaire et non comme un simple producteur ou comme un objet au service d’intérêts financiers. Par rapport à l’argent, l’homme est appelé à retrouver une liberté toujours plus grande et à considérer que l’argent est d’abord le fruit du travail, avec comme fonction première de constituer une monnaie d’échange pour permettre à l’homme d’acquérir ce qui lui est nécessaire et d’être au service du bien commun et du développement des personnes et des peuples. Dans l’économie, il est nécessaire de mettre en permanence un supplément d’humanité pour ne pas réduire l’homme à n’être qu’un objet ou le jouet de l’argent.

3. Un juste rapport à l’argent s’apprend dès l’enfance, par une saine éducation. De ce point de vue, la responsabilité des parents est essentielle, notamment en ce qui concerne la question de l’argent de poche, de son montant et de sa gestion, ainsi que de l’attitude des jeunes face à la consommation et aux séductions de la publicité. Un dialogue avec eux constitue une occasion privilégiée de réflexion et de formation de la conscience, pour acquérir un esprit critique face aux messages publicitaires et aux désirs de posséder au-delà de ce qui est véritablement nécessaire. Il importe de les aider à gérer leur désir de possession de biens et de leur faire découvrir que l’être est plus important que le paraître et l’avoir, et de leur apprendre à être des consommateurs avisés et responsables, sachant discerner entre l’indispensable, le nécessaire et le superflu. En fait, l’attention de tous les éducateurs sur le rôle qui leur revient en la matière doit être mis en évidence. Au sein des groupes de jeunes, les disparités sont nombreuses; des enfants et des jeunes souffrent parce qu’ils ne peuvent acquérir des biens et qu’ils sont parfois méprisés par leurs camarades. D’autres se mettent en valeur en fonction des vêtements qu’ils portent et des objets qu’ils possèdent. Ainsi, un fossé se creuse entre ceux qui peuvent acquérir des objets de marque et les autres, ne favorisant nullement l’intégration des jeunes dans la société. L’école, les institutions parascolaires et le milieu des loisirs doivent proposer aux jeunes un milieu de vie où règne une certaine égalité de chances, indépendamment des richesses que possèdent les familles.

4. Les chrétiens sont appelés à approfondir sans cesse le bon usage de l’argent, pour que leur comportement soit un témoignage des valeurs qui sous-tendent leur action en la matière et qu’ils s’attachent à résister aux tentations toujours renouvelées de l’univers de la consommation et à mener une vie sobre, comme le suggéraient saint Paul (1 Th 5, 8) et saint Pierre (1 P 5, 8), et qu’ils se souviennent qu’ils n’ont pour seule véritable richesse que le Christ et son message de salut (cf. Ac 3, 6). Dès les débuts de l’Église, la communauté chrétienne a perçu le défi d’un juste rapport à l’argent, comprenant l’enjeu de la solidarité et du partage, qui constituaient des témoignages concrets de l’amour pour le Christ; car comment peut-on aimer Dieu que l’on ne voit pas si l’on n’aime pas son frère qui est dans le besoin (cf. 1 Jn 4, 20; Jc 2, 15) ? Comment oublier le geste de partage particulièrement éloquent de la première communauté chrétienne lors de la famine de Jérusalem (cf. Ac 24, 17; Rm 15, 26-28) ? Au long des siècles, n’a jamais cessé l’invention de la charité sous toutes ses formes: avec Pauline Jaricot, chacun pouvait humblement venir en aide aux pauvres; avec Léon Harmel et Joseph Folliet, les travailleurs pouvaient retrouver leur dignité, avec les bienheureux Antoine Chevrier, Frédéric Ozanam et Rosalie Rendu, les pauvres pouvaient s’insérer à nouveau dans la société; avec ceux-ci et tant d’autres, chacun à leur manière, s’écrivaient des pages de la mise en pratique de la morale sociale de l’Église.

5. Dans le domaine de l’argent, qui prend une place de plus en plus importante dans le monde moderne, les fidèles du Christ et l’Église tout entière ont en permanence un rôle prophétique à jouer; pour être la voix des plus pauvres et des sans-voix, prenant en cela exemple sur la Bienheureuse Mère Teresa de Calcutta. Alors que le fossé se creuse entre pays riches et pays pauvres, le Pape
appelle de ses vœux un partenariat renouvelé, une « nouvelle imagination de la charité », une plus grande solidarité et un plus grand partage entre les peuples d’Europe, ainsi qu’avec les peuples d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Océanie. Il souhaite que se mette en place une nouvelle organisation des rapports Nord-Sud, pressant les pays riches, notamment les grandes puissances, et les organisations financières internationales d’envisager de façon renouvelée la question de la dette des pays les plus pauvres et de chercher de manière urgente des solutions nouvelles pour venir en aide aux peuples qui en ont le plus besoin et dont les richesses naturelles sont bien souvent au bénéfice des nations les plus nanties de la planète. Il revient donc à tout homme de s’interroger sur son attitude face à l’argent et sur sa générosité et sa solidarité avec ses frères en humanité, pour que chacun opère une véritable conversion de son c˛ur et de ses comportements. Comme le Pape Jean-Paul II le soulignait dans son encyclique Centesimus annus: « Le monde prend toujours mieux conscience aujourd’hui de ce que la solution des graves problèmes nationaux et internationaux n’est pas seulement une question de production économique ou bien d’organisation juridique ou sociale, mais qu’elle requiert des valeurs précises d’ordre éthique et religieux, ainsi qu’un changement de mentalité, de comportement et de structures ». (n. 60)

6. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mt 22, 15-22). Cet avertissement du Christ porte sans aucun doute sur tous les aspects de la vie humaine, et donc aussi sur l’argent, pour ne pas en faire une idole qui se substituerait à Dieu et qui asservirait l’homme au point d’étouffer sa conscience et son être spirituel, de ne plus le rendre attentif à ses frères et de le conduire à sa perte (cf. Lc 16, 19-31). L’argent est pour la vie terrestre et chacun est appelé à distinguer dans son existence ce qui est relatif au temps présent et ce qui conduit à l’éternité. Puisse votre réflexion rappeler inlassablement à nos contemporains les valeurs fondamentales qui doivent les guider dans leur rapport à l’argent : les différentes formes de la justice, la solidarité, la probité et l’honnêteté, et contribuer ainsi à bâtir la civilisation de l’amour où demeureront présents le don de soi, la gratuité, le bénévolat et la fraternité, pour éviter que les rapports entre les personnes ne soient pensés qu’en termes de rentabilité ! Ainsi, chaque personne sera reconnue non pas en fonction de son avoir, mais au nom même de son humanité.

Dans la perspective du centenaire des Semaines sociales de France, que vous célébrerez l’an prochain à Lille, le Pape rend grâce pour l’œuvre accomplie, se réjouissant qu’en cette occasion soient invités tous ceux qui, en Europe, s’attachent à étudier et à diffuser l’enseignement social de l’Église, pour discerner ensemble les fondements de la société européenne à construire. Priant pour que grandisse dans le monde un esprit de service et de communion fraternelle, et vous confiant à l’intercession de la Mère de Dieu, le Pape vous accorde de grand coeur, ainsi qu’aux intervenants et aux participants des Semaines sociales de France, la Bénédiction apostolique.

Heureux de vous communiquer ce message, je vous assure moi-même de ma prière et de mes sentiments cordialement dévoués ».

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ZENIT Staff

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