Roumanie: Mgr Langa, 82 ans, 16 ans donnés aux prisons communistes (1)

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«Ce que signifie éliminer le Christ de la vie sociale»

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CITE DU VATICAN, Mardi 23 mars 2004 (ZENIT.org) – «J’ai découvert ce que signifie éliminer le Christ de la vie sociale», témoigne Mgr Tertulian Ioan Langa, 82 ans, qui a évoqué ses 16 années passées dans les prisons communistes lors de la présentation du livre sur le martyre des Eglises catholiques orientales. Il y décrit «la présence violente et atroce du communisme athée».

Nous traduisons (traduction rapide, de travail) de l’italien ce témoignage à la première personne, sans rien retrancher. Nous publierons la seconde partie demain.

«Mon nom est Tertulian Langa et de ma vie, il y a 82 ans qui s’en sont allés. Dont 16 en cadeau aux prisons communistes…

Ayant eu comme formateur spirituel, déjà dans ma prime jeunesse celui qui serait devenu l’évêque martyr Ioan Suciu, et puis comme guides intellectuels trois autres martyrs – Monseigneur Vladimir Ghika, l’évêque Vasilie Aftenie et l’évêque Tit-Liviu Chinezu, tous victimes du communisme athée – il était normal que toute ma vie porte l’empreinte de leur spiritualité. A travers eux, j’ai découvert ce qu’est le communisme, ce que signifie éliminer le Christ de la vie sociale et combien l’âme humaine, la société tout entière, et la famille peuvent être mutilées lorsqu’elles restent sans Eglise, sans la Très sainte Eucharistie, et sans le culte de la Très sainte Vierge. De plus, en tant qu’homme ayant le sens des réalités historiques et sociales, je n’ai pas pu ignorer la présence soviétique athée massive et menaçante à la frontière de la Roumanie, et de notre spiritualité. C’est à ces facteurs que je dois l’orientation spirituelle et historique de ma vie. A moi je ne dois que ma réceptivité.

La présence violente et atroce du communisme athée n’a pas constitué pour les Occidentaux une réalité immédiate et concrète, mais purement livresque. C’est ce qui explique la différence flagrante de perception et de réaction face au communisme que manifestent les chrétiens et les intellectuels en Occident, par rapport à ceux qui, dans l’Est européen, ont vécu et subi le monde communiste.

A 24 ans, en 1946, j’étais un jeune assistant à la faculté de philosophie de l’université de Bucarest. La présence brutale et humiliante des troupes soviétiques qui avaient occupé quasi un tiers du territoire national, je l’ai subie, au niveau personnel avec le fait qu’il m’était intimé, en tant que membre du corps enseignant de l’université, l’ordre de m’inscrire d’urgence au syndicat manipulé par le Parti communiste et soumis au pouvoir des blindés soviétiques.

J’étais déjà à ce moment là pleinement ancré dans l’attitude adoptée par le magistère de l’Eglise catholique contre le communisme déclaré comme portant un mal intrinsèque. Avec cette information de principe et radicale, il n’y avait pas de place dans ma conscience pour des prétextes à un compromis. J’ai renoncé à la carrière universitaire, en présentant spontanément ma démission et en me retirant à la campagne en tant qu’ouvrier agricole, mais cela ne suffit pas, parce que j’étais connu, déjà à la faculté, comme militant catholique et anticommuniste. Rapidement, un dossier pénal à charge contre moi a été improvisé et vu que les accusations se fondaient sur des faits que le Code pénal n’incriminait pas jusqu’alors (comme les rapports étroits avec l’épiscopat, avec la nonciature, et aussi l’apostolat laïc), mon dossier fut mis avec celui de la grande industrie. Après des traitements atroces pendant les interrogatoires, le procurateur, en instance, déclara, avec une parfaite logique athée: «Au dossier de l’accusé ne se trouve aucune preuve de sa culpabilité, mais nous demandons le maximum de la peine: 15 ans de travaux forcés, parce que s’il n’était pas coupable, il ne se trouverais pas ici». Je répliquai: «Ce n’est pas possible que vous me condamniez sans avoir aucune preuve!» «Ce n’est pas possible? Regarde comme c’est possible: 20 ans de travaux forcés pour avoir protesté contre la Justice du peuple. Cette sentence est définitive et irrévocable». Donc, cela fut rendu possible…

Je considère que c’est un exemple édifiant pour qui que ce soit, de ce que signifie une justice communiste comme celle que nous avons supportée et subie et subissons encore, maintenant que nous allons entrer dans l’Europe. Cela se passait alors que l’Eglise gréco-catholique de Roumanie n’avait pas encore été mise hors la loi, et que l’on supposait que mon arrestation et les tortures qui m’étaient infligées auraient réussi à me transformer en un instrument en faveur de la future incrimination de nos évêques, de l’Eglise gréco-catholique et de la nonciature.

Je ne rapporte que certains moments les plus significatifs parmi les centaines de ceux que j’ai vécus, durant les interrogatoires et les détentions dans les prisons et dans les camps d’extermination communiste.

J’ai été à Blaj, dans le bureau de l’évêque Ioan Suciu, alors administrateur apostolique de la métropolie gréco-catholique de Roumanie. Je m’étais présenté au chef de notre Eglise pour demander un conseil à la Sainte Providence, étant donné que mon père spirituel, Mgr Vladimir Ghika était caché à l’époque. Quelqu’un m’avait offert la possibilité de partir à l’étranger. Comme il s’agissait d’une décision importante, je ne voulais pas la prendre sans demander à la Providence. La réponse arriva: mon arrestation. Je compris que je devais passer ma vie, pour une durée indéterminée, dans les prisons créées par le régime communiste, mais j’étais serein: je suivais le parcours de la Sainte providence…

Je décrirai un moment particulier. C’était le Jeudi saint en 1948. Jusqu’alors, pendant deux semaines, j’avais été battu avec une barre de fer, sur la plante des pieds, à travers les brodequins: j’avais l’impression que la foudre courait le long de ma colonne vertébrale et explosait dans mon cerveau sans qu’on me pose aucune question, ils me préparaient avec le fer pour que j’arrive adouci à l’interrogatoire. J’avais les mains et les pieds liés et j’étais suspendu la tête en bas, mes geôliers m’avaient enfilé dans la bouche une chaussette longtemps utilisée dans les brodequins, et mus dans la bouche d’autres bénéficiaires de l’humanisme socialiste.

La chaussette était devenue la nouvelle méthode pour étouffer le son et l’empêcher de percer au-delà du lieu de l’interrogatoire. D’autre part, il était pratiquement impossible d’émettre un seul gémissement. De plus, je m’étais bloqué moi-même psychiquement: je n’étais plus capable de crier ou de me mouvoir. Mes tortionnaires ont interprété cette attitude comme du fanatisme de ma part. Ils ont continué à s’acharner davantage en se relayant pour me torturer. Nuit après nuit, et jour après jour. Ils ne demandaient rien, puisque ce n’était pas la réponse qui les intéressait, mais d’annihiler la personnalité, ce qui tardait à se produire. En augmentant toujours leur effort pour annihiler ma volonté, pour enténébrer ma pensée, ils prolongeaient indéfiniment la torture. Les brodequins en loques tombèrent de mes pieds morceau par morceau.

La nuit, dans les parages, dans une église perdue, on célébrait un office liturgique, comme gémi par les sons éteints de cloches épouvantées. J’ai tressailli. Jésus aura entendu tout mon cri muet, et puis d’une certaine façon j’ai hurlé. Et j’ai hurlé comme de l’enfer: JESUS! JESUS! … Emis à travers la chaussette mon cri n’avait pas été compris. Mais étant donné que c’était le premier son qu’ils entendaient, les geôliers, considérant qu’ils m’avaient fait plier, se déclarèrent contents. Puis ils me traînèrent avec la couverture jusqu’à la cellule où je me suis évanou
i. A mon réveil, l’enquêteur se trouvait devant moi, une rame de papier à la main: «Tu t’es obstiné, bandit, mais tu ne sortiras pas d’ici tant que tu n’auras pas craché tout ce que tu tiens caché en toi. Tu as 500 feuilles. Ecris tout ce que tu as vécu; tout sur ta mère, sur ton père, sur tes sœurs, tes frères, tes cousins, et tes parents, tes compagnons, tes connaissances, les évêques, les prêtres, les religieux, et les religieuses, les politiciens, les professeurs, les voisins, et les bandits comme toi. Ne t’arrête pas avant d’avoir fini le papier. Mais je n’ai rien écrit. Non en raison de je ne sais quel fanatisme, mais parce que je n’en avais pas la force.

Environ quatre jour plus tard, le même individu: «Tu as fini d’écrire?» Voyant que les feuilles n’avaient pas été touchées, il dit; «Si c’est comme cela, déshabille-toi! Je veux te voir comme Adam au paradis!» Certes, puisque je n’avais rien écrit! Il me semblait que non seulement le corps, mais mon esprit était vidé. D’autres jours passèrent ainsi, vécus la peau nue, sur le pavement de mosaïque; confort spécifique de l’humanisme socialiste. Un autre individu se présenta après un peu de temps encore, devant la porte. «Voyons alors qu’est-ce qu’il y a sur le papier?… Rien, tu n’as rien? Toujours obstiné! Nous avons aussi d’autres méthodes». Puis il sortit. Il revint avec un chien loup immense, qui montrait ses dents menaçantes. «Tu vois, c’est Diana, la chienne héroïque sur laquelle tes bandits ont tiré, dans la montagne. Elle va t’apprendre ce que tu dois faire. Commence à courir!» «Comment, courir dans une pièce de trois mètres!» Il y a avait aussi dans la pièce une ampoule de 300 watt, énorme pour une pièce de seulement deux mètres sur trois. Elle n’était pas fixée au plafond mais au mur, au niveau du visage. «Commence à courir!» La louve grognait farouchement, prête à l’attaque. J’ai couru pendant six ou sept heures, mais je ne m’en suis rendu compte que vers l’aube, en voyant la lumière pénétrer dans la cellule et en entendant des mouvements à l’intérieur du bâtiment. De temps en temps il faisait sortir la louve pour ses besoins. A moi, ce n’était pas permis… Quand j’ai commencé à perdre l’équilibre, j’ai essayé de m’arrêter, la louve vigilante, au commandement, m’enfonçait ses dents dans l’épaule, dans la nuque, et dans le bras…

J’ai couru sous les yeux et les dents au moins pendant 39 heures sans interruption! Mais, à la fin, je me suis écroulé. Je n’ai pas le temps maintenant de vous décrire la psychologie d’une course sous la menace d’une louve. Lorsque je me suis arrêtée, elle s’est lancée sur moi. Elle m’a mordu au cou, mais sans m’égorger. Et alors que j’étais étendu comme cela, je voyais une forme obscure, indéfinie. Je ne réussissais pas bien à distinguer. Seulement sur le front et les paupières, j’ai senti couler quelque chose de chaud et qui brûlait, j’ai compris que la bête, dégoûtée, m’urinait sur le visage. D’après les paroles de mes bourreaux, j’ai compris que j’avais couru pendant 39 heures. «Celui-là on peut l’envoyer au marathon de Rio! Quelle résistance, la bête fasciste!» Voyant que même le marathon ne réussissait pas à me convaincre de faire une déclaration sur les évêques, la nonciature, ou quelque compagnon qui était recherché, ils ont cru utile de passer à une autre méthode pour me convaincre: le sachet de sable.

Le jour suivant, dans un bureau, ils m’ont lié les mains et les pieds, à une chaise, devant une table où un sachet de sable était posé. Je n’arrivais pas à déchiffrer le décor. Un geôlier s’est planté derrière moi, muet comme un pays complètement bâillonné. Dans l’angle, à un bureau, un individu chauve portant une barbiche, qui voulait ressembler à Lénine. Muet lui aussi, il fit seulement un signe de tête. Mon bourreau comprit l’ordre. Il prit en main le sachet et me le projeta à la figure, pas très violemment, mais en rythme, en accompagnant chaque coup de ce mot: «PARLE!» Et de nouveau: «PARLE!», des dizaines, des centaines de fois, peut-être des milliers; «PARLE!» Mais seulement, personne ne me demandait rien. Juste cette voix caverneuse, monotone, qui me fichait dans le cerveau l’idée impérative et irréfrénable de dire, de répondre à chaque question qui serait imposée à ma conscience par l’organe inquisiteur. Ça ne m’a pas été difficile de déchiffrer leur idée satanique de vouloir éliminer et subordonner ma volonté. Après environ 20 coups, j’ai commencé à appliquer là aussi, le principe moral: «Agere contra», en me disant en conscience: JE NE PARLE PAS! A chaque coup: JE NE PARLE PAS! Des dizaines de fois, des centaines de fois. Par l’autosuggestion, je m’étais appliqué le stéréotype: JE NE PARLE PAS! C’était la seule façon de ne pas être manipulable, avec le risque de devenir l’esclave de cette seule façon de m’exprimer. Le fait s’est confirmé d’ailleurs lorsque, à partir de là, automatiquement, de façon incontrôlable, à chaque question qui m’était posée, sur n’importe quel sujet, je répondais: JE NE PARLE PAS!

Je me rends compte du blocage intellectuel et même j’entrevois la permanence de cet état. J’ai essayé pendant une année entière, de le combattre, et avec beaucoup de difficulté, j’ai réussi à me libérer de ce sinistre réflexe automatique.

En tant que sujet dépourvu de valeur et d’intérêt dans les interrogatoires, j’ai été transféré dans la prison souterraine de la zone marécageuse de Jilava, à 8 mètres sous terre, qui avait été construite autrefois comme forteresse pour défendre la capitale, mais était alors complètement inutilisable, en raison des fortes infiltrations d’eau qui pénétraient le béton. Rien ni personne n’y résistait. Seul l’homme, le trésor le plus haut du matérialisme historique! Dans les salles de Jivala, les pauvres hommes faisaient l’expérience des sardines: mais non pas dans l’huile, mais dans leur propre jus, de sueur, d’urine, et des eaux d’infiltration qui suintaient sans cesse des murs. L’espace était utilisé de la façon la plus scientifique: deux mètres de long et 28 centimètres de large par personne étendue par terre sur le côté. Certains, plus âgés, étaient étendus sur des planches de bois, sans draps ni couvertures. Le contact avec le bois se faisait sur l’os de l’os huméral, la partie la plus protubérante de l’articulation du col du fémur et la partie extérieur du genou et de la cheville. Nous nous tenions sur la pointe des os, pour occuper un minimum d’espace. On ne pouvait appuyer la main que sur la hanche ou l’épaule du voisin. On ne résistait pas ainsi plus d’une demi heure. Et puis tous ensemble, au commandement, parce que c’était impossible de le faire séparément, et l’un après l’autre on se retournait de l’autre côté.

(à suivre)

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ZENIT Staff

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