République Démocratique du Congo : Message des évêques

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ROME, mardi (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous un message que le Comité Permanent des Evêques de la RDC adresse aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté.

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«J’AI VU LA MISERE DE MON PEUPLE»(Ex 3, 7)

TROP, C’EST TROP !

Chers frères et sœurs,

1. Réunis à Kinshasa du 10 au 15 février 2003, nous, Cardinal, Archevêques et Evêques membres du Comité Permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), faisons nôtre la parole du Seigneur qui a dit :« J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple» (Ex 3, 7) et adressons le présent message aux fidèles catholiques, aux hommes et femmes de bonne volonté.

2. En vertu de notre charge de Pasteurs et dans la fidélité à la tradition prophétique, nous ne cessons de sonner l’alarme sur la situation dramatique que vit le peuple congolais. A l’aube de la tenue du Dialogue intercongolais, nous avions estimé que ce dialogue était «une nécessité incontournable et une urgence» . Nous constatons avec amertume que ses finalités n’ont pas été atteintes. L’Accord partiel conclu à Sun City n’a fait qu’accroître la crise politique et n’a jamais été appliqué. Par contre, il a été décrié, jusqu’à ce que lui succède l’Accord dit global et inclusif.

«Accord global et inclusif»

3. Depuis la signature de l’Accord de Pretoria III, que nos compatriotes ont accueilli avec soulagement, mais non sans scepticisme, l’inquiétude du peuple congolais ne cesse de croître. La fin de la guerre tarde à venir. Les Accords signés à coup de tapage médiatique ne sont ni respectés, ni appliqués. Par contre, des affrontements armés ont repris de plus belle dans certaines parties de la République, en semant leur lot de malheurs. Des atrocités des plus ignobles sont commises sur les civils et les prisonniers de guerre. Les belligérants tergiversent et multiplient des prétextes pour continuer la guerre. La Transition n’est pas toujours entamée. La misère de la population a atteint un degré insupportable.

4. Devant cette situation inadmissible, nous, Pasteurs de ce peuple, nous nous écrions :«Trop, c’est trop !» Nous dénonçons vigoureusement les intrigues des belligérants, leur indifférence vis-à-vis de la misère du peuple, leur obstination dans la logique de la guerre.

Manque de volonté politique et de patriotisme

5. Les atermoiements et les tergiversations qui entourent l’application de l’«Accord global et inclusif» prouvent suffisamment le manque de volonté politique et de patriotisme des parties en cause dans la crise congolaise. De part et d’autre, une poignée de gens à la culture politique douteuse prennent tout un peuple en otage. Ils signent des Accords, mais ne s’engagent pas à les respecter et refusent de les appliquer. Le respect de la parole donnée est une vertu qu’ils bafouent.

6. Pour ces hommes, l’écart entre la parole et le geste témoigne d’un manque cruel de la volonté de servir le bien commun. Ils font et défont les alliances au gré des humeurs et des intérêts égoïstes. Ils disent une chose et font le contraire. Ils chantent la paix, mais servent la cause de la guerre.

7. Ce manque de volonté politique a engendré un Accord sans engagement explicite de la part des signataires pour la cessation de la guerre en RDC. A la lecture de cet Accord, on s’étonne de l’absence d’une déclaration de la fin totale de la guerre. Par contre, cet Accord paraît être un compromis entre belligérants, une récompense aux chefs de guerre. Le partage du pouvoir y occupe une place de choix, comme si le pouvoir était une fin en soi. Ainsi leurs négociations ont-elles abouti à un Accord qui privilégie la logique de la conquête du pouvoir par les armes. Or notre peuple a déjà rejeté cette option . Il apparaît dès lors inadmissible de continuer à agir selon la logique de guerre qui, on le sait, ne favorise ni le développement de la nation, ni l’instauration de la démocratie.

8. Les hommes politiques de notre pays ne font pas preuve de patriotisme. Préoccupés par des intérêts égoïstes, ils font de la politique un gagne-pain qui n’a rien à voir avec la recherche du bien-être de la population et le souci de la démocratie. Les spectacles désolants qu’ils ont livrés à Sun City, les divisions internes, la course au positionnement et les querelles de préséance qui caractérisent leurs mœurs politiques en sont une preuve. Incapables de se dépasser et de faire triompher les intérêts supérieurs de la nation, nos politiciens se complaisent dans des blocages politiques qui perpétuent la crise en RDC. Le sort du peuple ne les préoccupe guère. Ils ne font aucunement preuve d’une quête sincère de la démocratie. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’ils aient multiplié les institutions de la Transition, comme si le pays disposait d’assez de moyens financiers et d’infrastructures pour en assurer le fonctionnement. Leurs appétits effrénés pour le pouvoir ont conduit à l’adoption du fameux schéma 1+4 qui contient les germes de conflit au sommet de l’Etat.

Une Société civile fragile

9. Quand, au début des années 90, la Société civile s’est dotée d’une organisation, le peuple congolais s’était réjoui d’avoir enfin des défenseurs de ses droits censés protéger ses intérêts. La présence de cette Société civile sur la scène nationale avait suscité beaucoup d’espoir. Sa vocation apolitique en faisait, en principe, une organisation de citoyens sans prétention de conquérir le pouvoir politique ou d’y participer. On s’attendait à ce qu’elle joue le rôle de catalyseur pour une plus grande cohésion. Avec le temps, on a vu la Société civile se laisser ronger par la crise. Elle s’est politisée jusqu’à se fragiliser, mettant ainsi en danger son crédit et les intérêts des citoyens.

10. Les divisions internes de la Société civile ne favorisent nullement le dénouement de la crise qui sévit dans notre pays. En plus de la course au pouvoir qui caractérise ses animateurs, elle est minée par des divisions et des manipulations, très dangereuses pour l’efficacité de son action. Certes, des hommes et des femmes honnêtes n’y manquent pas, mais leur action est étouffée par les ambitions politiques de la majorité.

Par delà les intérêts économiques et politiques, il y a l’homme

11. «Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu»(Gn 1, 26), l’être humain a une valeur inaliénable. Sa vocation d’homme en fait un être sacré et doté de dignité inviolable. Cette dignité humaine en RDC est bafouée au nom des appétits démesurés des profits économiques. Les guerres qui se succèdent dans notre pays sont des guerres économiques. La richesse du sous-sol congolais est convoitée par des puissants qui attisent des foyers de tension et de division pour s’en emparer. Parmi ces pêcheurs en eau trouble figurent bien entendu des nationaux dont certains ont été dénoncés par le Panel d’experts de l’ONU. Mais, il y a aussi et surtout des étrangers qui pillent systématiquement les richesses de notre nation soit directement, soit par personnes interposées. Ils profitent de la crise actuelle et s’emploient à la perpétuer pour des intérêts économiques, au détriment du peuple qui est le détenteur du pouvoir et le propriétaire des ressources naturelles de ce pays.

12. Aux uns et aux autres, nous disons que par delà les richesses du sous-sol que l’on convoite tant et qui font le malheur des congolais, il y a des êtres humains dont il faut respecter la dignité et les droits. Ce cri de détresse s’adresse surtout à ceux de nos compatriotes qui hésitent à faire la paix à cause des intérêts politiques et économiques. «L’homme comblé ne dure pas»(Ps 49(48),13). La fortune du sang n’honore point son propriétaire et ne peut aucunement être source de bonheur (cf. Jb 15, 29). De même, régner par la violence est contraire à la démocratie.

L’intégrité territoriale de la RDC n’
est pas négociable

13. Le paysage politique en RDC constitue une menace grave à l’existence même de notre pays. Face aux multiples tentatives de balkanisation, notre peuple oppose une résistance héroïque et exemplaire. En cela, il manifeste son attachement à l’unité du pays. Au nom de ce même peuple, nous réaffirmons avec fermeté que «l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale ne sont pas négociables» .

Seul le chemin de la paix peut sauver la RDC

14. La voie de la paix est l’unique qui puisse sortir le Congo de la crise, et le peuple de la souffrance et de la misère. Comme l’a si bien souligné Sa Sainteté le Pape Jean Paul II à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la paix 2003 et du 40e anniversaire de l’encyclique Pacem in terris du Bienheureux le Pape Jean XXIII, – cette paix dont notre pays a tant besoin – comporte quatre piliers : la vérité, la justice, l’amour et la liberté . Les belligérants et la classe politique doivent s’engager résolument à consolider ces quatre piliers pour sortir notre pays de la crise : «Vouloir la paix n’est pas un signe de faiblesse mais de force» .

15. Le choix pour la paix exige des gestes concrets. Ainsi, par delà les discours et les vœux pieux, il est nécessaire, sinon impérieux, que les belligérants et la classe politique posent des gestes de paix, en évitant des provocations bellicistes qui bloquent inutilement le processus de paix. Notre population se réjouirait si les belligérants parvenaient à poser des gestes concrets de paix, par exemple la cessation totale des hostilités, les rites de réconciliation et de pardon, le dialogue franc, l’autorisation de la libre circulation des biens et des personnes sur toute l’étendue du territoire national, la destruction des armes légères sur la place publique, etc.

16. Dans le contexte actuel du Congo, le chemin de la paix passe surtout par le respect de la parole donnée et l’application des Accords signés. Nous avons certes souligné les limites de l’«Accord global et inclusif», néanmoins, nous invitons les signataires à le parfaire ou tout au moins à l’appliquer dans la mesure où il permet de mettre en place les Institutions qui aideront à gouverner le pays.

17. En effet, bien que lacunaire, l’«Accord global et inclusif» sur la transition en RDC est un maillon de la chaîne pour l’avènement de la paix dans notre pays. Les parties à l’Accord doivent clairement renoncer à la guerre et à toutes formes de violence qui l’accompagnent par le désengagement de leurs forces combattantes et par l’amorce d’un programme de restructuration de l’armée comme préalable à une transition non conflictuelle.

Trop, c’est trop !

18. La multiplication des obstacles sur le chemin de la paix en RDC a atteint les limites du tolérable. Considérant les responsabilités qui sont les nôtres dans cette société, nous faisons une mise en garde aux belligérants et à la classe politique : le peuple ne supportera plus longtemps leurs tergiversations. Si la crise perdure encore, l’Eglise catholique utilisera des moyens appropriés pour hâter le retour de la paix en RDC.

19. La situation dramatique que traverse le Congo ne doit pas être considérée comme une fatalité. Elle nous appelle à nous ressaisir tous pour hâter l’avènement d’un Etat de droit. Pour y parvenir, nous, vos Pasteurs et Pères dans la foi, exhortons nos frères et sœurs belligérants et acteurs politiques, à manifester une réelle volonté politique et à faire preuve de culture politique. Qu’ils cessent de faire la honte du Congo et deviennent de véritables leaders politiques .

20. Nous demandons à nos chrétiens de la Société civile de jouer pleinement leur rôle de catalyseurs pour une plus grande cohésion. Que les chrétiens soient les héros du combat des valeurs qui contribuent à la construction de la nation.

Bénédiction finale

21. Puisse le Seigneur, par l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie, Reine de la Paix, bénir notre pays et susciter plus d’artisans de paix au sein de notre peuple.

Fait à Kinshasa, le 15 février 2003.

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ZENIT Staff

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