Rapport après le débat général

Print Friendly, PDF & Email

Par le cardinal Marc Ouellet, P.S.S., archevêque de Québec

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

ROME, Mercredi 15 octobre 2008 (ZENIT.org) – Lors de cette dix-septième congrégation générale, le rapporteur général, le cardinal Marc Ouellet, P.S.S., archevêque de Québec (Canada) est intervenu pour la lecture en latin du rapport après le débat général (Relatio post disceptationem).

Dans son rapport, le rapporteur général a fait la synthèse des différentes interventions qui se sont succédé lors des journées dans les Congrégations générales et a proposé certaines lignes d’orientation pour faciliter les travaux des Carrefours.

* * *

Introduction
«Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis là au milieu d’eux» (Mt18, 20).
La discussion initiale dans l’aula synodale sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église s’est déroulée dans une atmosphère fraternelle d’écoute de la Parole de Dieu et d’attention à la présence du Seigneur au milieu de ses disciples. Ce climat a été facilité par la messe d’ouverture à Saint-Paul-hors-les-murs, la célébration du 50ième anniversaire de la mort du serviteur de Dieu Pie XII et la canonisation de quatre nouveaux saints, qui ont fourni à nos travaux un cadre de prière privilégié exprimant la vie même de l’Église. Comme vous tous, j’ai été profondément édifié par les informations, les enseignements et les témoignages entendus dans cette enceinte. J’en rends grâces à Dieu et je remercie aussi chacun et chacune d’entre vous de votre participation.
« En cette année paulinienne, a dit le Saint Père Benoît XVI à la messe d’ouverture, nous entendrons résonner avec une urgence particulière le cri de l’apôtre des nations : Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile » (1 Co 9, 16). « Que les Saints viennent à notre aide, en particulier l’apôtre Paul, qu’au cours de cette année nous découvrons toujours plus comme témoin intrépide et héraut de la Parole de Dieu ».
Selon l’Ordo Synodi Episcoporum, le rôle de la Relatio post Disceptationem est de présenter une synthèse du débat tenu dans l’aula, en vue de préciser les points majeurs sur lesquels la discussion se poursuivra dans les groupes linguistiques. Dans les pages qui suivent, une reprise de l’ensemble est donc offerte à la réflexion des Pères synodaux afin de faciliter l’approfondissement du thème et la préparation des propositions pastorales à l’intention du Saint-Père. Cette synthèse émerge des interventions faites dans l’aula à la suite de la Relatio ante Disceptationem et ne peut évidemment pas couvrir tous les aspects qui ont été touchés par les orateurs. Elle a été élaborée à partir d’un cadre général en dix chapitres que j’ai choisi et développé avec l’aide du Secrétaire spécial et des experts, que je remercie vivement de leur précieuse collaboration.
Ce cadre reprend globalement la division de l’Instrumentum laboris que nous avons suivi pour la discussion. Des questions d’approfondissement en vue de la formulation des orientations pastorales sont émises à la fin de certains paragraphes ou reprises sous forme de brefs énoncés dans une liste à la fin.
J’ai divisé la matière en trois parties, la première sous le titre : Dieu parle et écoute, qui contient trois points: 1) Révélation, création, histoire du salut; 2) Le Christ, l’Esprit et l’Église ; 3) Parole de Dieu, liturgie, écoute. La deuxième partie s’intitule: Parole de Dieu, Sainte Écriture, Tradition et développe quatre points: 1) Événement, rencontre, interprétation; 2) Unité, primauté, circularité; 3) Eucharistie, homélie, communauté; 4) Exégèse, théologie, lectio divina. Enfin, la troisième partie s’intitule: Parole de Dieu, mission, dialogue et comprend trois points: 1) Témoignage, kérygme, catéchèse; 2) Culture, dialogue, engagement; 3) Communication, proclamation, traductions.

I. DIEU PARLE ET ÉCOUTE

1. RÉVÉLATION, CRÉATION, HISTOIRE DU SALUT

1. La Parole de Dieu comme fondement de la réalité

Le Saint Père, Benoît XVI, au début de cette assemblée synodale nous a rappelé, en commentant le Psaume 118, que la Parole de Dieu est solide, est la réalité, est le fondement stable et durable de toute chose; par conséquent, l’homme vraiment réaliste est celui qui construit sur le fondement de la Parole (cf. Gn 1; Mt 7, 24-27). Tout est créé dans la Parole; aussi le but de la création est qu’il y ait la rencontre entre Dieu et sa créature. C’est pourquoi, le Christ est le ‘prototokos’ (Col 1, 15), «le premier né de toute la création»; l’histoire du salut, l’alliance, précède la création (Benoît XVI, homélie de l’office de Tierce, lundi 6 octobre). Pour cela, seul celui qui entre dans la Parole de Dieu entre véritablement dans le monde, comprend la création et se comprend lui-même. À partir de cette invitation à un nouveau réalisme fondé sur la Parole de Dieu, notre assemblée synodale a engagé un précieux débat.

2. Révélation et dialogue intratrinitaire

Un premier thème fondamental a émergé à plusieurs reprises dans l’assemblée synodale; celui de la relation entre Parole et dialogue entre Dieu et tous les hommes. La thématique concernant le dialogue a émergé non pas en termes généraux, mais dans un cadre trinitaire. Quelques interventions en effet ont rappelé que la première réalité, que la Parole de Dieu nous présente est la suivante: le Dieu des chrétiens est le Dieu qui parle, le Dieu qui se communique Lui-même et révèle son mystère de Salut dans sa Parole (cf. DV 2). Ceci nous place immédiatement dans l’horizon trinitaire de la Révélation: «la patrie de la Parole de Dieu» est la Trinité. Nous pouvons dire que la Révélation est autocommunication de la Très Sainte Trinité à l’homme, ce dernier appelé ainsi à participer, comme «fils dans le Fils» (Ga 4, 6), à la même vie divine (cf. DV 2).

3. La Parole de Dieu appelle l’homme au dialogue

De cette manière, comme l’on souligné les interventions de quelques Pères synodaux, la Révélation chrétienne a, de par sa nature, un caractère dialogique, dont le fondement se trouve dans le mystère de la Trinité. La vie même de la Trinité est dialogue d’amour entre les personnes divines: l’amour du Père qui s’exprime et se donne lui-même dans sa Parole éternelle, dans le mystère de l’éternelle génération du Fils, lequel à son tour s’accueille lui-même éternellement du Père et répond à ce don, l’être éternellement engendré, dans leur commun Esprit Saint. Selon les grands docteurs médiévaux saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure, les réalités créées procèdent de la Parole du Dieu trinitaire dans le prolongement des processions du Verbe et de l’Esprit.
La Parole de Dieu qui se communique à nous dans la révélation porte en elle-même cette structure profondément dialogale et nous appelle au dialogue avec le Dieu qui parle et qui s’adresse à nous comme à des amis (cf. DV 2). Ainsi, créés au moyen de la Parole, nous sommes appelés à entrer en dialogue avec Dieu Trinité. Face au mystère de la communication que Dieu fait de lui-même dans sa Parole, Lui-même devient un «Tu» pour l’homme.

4. Parole de Dieu et histoire du salut

À partir de là, nous comprenons la «belle notion d’histoire du salut» (IL 10, 25, 34); ce concept, comme quelques interventions l’ont mis en évidence, exprime de manière efficace le changement d’une vision intellectualiste en une vision dynamique de la révélation. Cette dernière aide à comprendre de manière unitaire le plan de Dieu et sa révélation en son ensemble comme un mouvement dialogique dans lequel Dieu s’adresse à sa créature, par «des gestes et des paroles intrinsèquement connexes» (DV 2), et l’engage, en la conduisant à la plénitude du salut.
C’est dans cette perspective qu’à plusieurs reprises, dans l’aula synodale, fut évoquée l’observation de Ben
oît XVI à l’effet que la Parole de Dieu «n’est pas seulement informative mais aussi performative», puisqu’elle se réalise dans l’histoire au moment même où elle se dit (cf. Gn 1, 3.6.9.11.20.24). À ce propos, un intervenant a affirmé ceci: «Dieu a inauguré un dialogue vivant avec l’humanité et sa Parole ouvre à toutes générations des horizons inattendus de vérité et de vérification ».
En ce sens, on peut comprendre pourquoi le christianisme est une religion de la ‘parole’ et non du ‘livre’; elle est religion de la Parole qui dialogue et rencontre tout homme en l’appelant à la communion.

5. Analogia Verbi – symphonie à plusieurs voix

De cette manière, on trouve ici, en plus de la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture et dans la Tradition vivante de l’Église, d’autres éléments de cette symphonie à plusieurs voix. Dans l’aula synodale, plusieurs interventions n’ont pas manqué de souligner les divers modes de la présence de la Parole de Dieu. À partir de la Parole définitive, Jésus Christ, s’ouvre devant nous un vaste champ qui mérite d’être approfondi en lien avec d’autres manifestations de la Parole. De la Création jusqu’aux événements de l’histoire et même à l’art inspiré par la foi, tout cela, à des degrés divers, peut être compris comme des formes analogiques de la Parole qui ne se comprennent, en dernière analyse, qu’en référence à l’événement du Christ lui-même. Dans cette perspective, la création elle-même est lue à la lumière de l’accomplissement de l’histoire du salut qui s’est réalisée dans l’incarnation, la mort et la résurrection du Verbe et dans le don définitif du Saint Esprit. Cela ne supprime pas mais rehausse la signification de la création elle-même en tant que livre de la nature.
Un intervenant a synthétisé de la manière suivante cette idée de la Parole de Dieu qui se vérifie dans l’Écriture en relation avec d’autres expressions de la Parole de Dieu: «À travers l’Écriture, l’Église nous offre une grammaire et nous éduque à l’écoute, de telle manière que nous apprenions à discerner les diverses paroles de Dieu au milieu des voix de la nature, de l’histoire et des cultures, aussi bien que dans notre propre existence».
Comment approfondir cette dimension dialogique de la révélation, tant dans la théologie que dans la praxis pastorale de l’Église? Comment aider les fidèles à regarder toute la réalité à la lumière du Christ, capable de créer en nous une nouvelle mentalité? Comment apprendre à voir en toutes choses un signe de la Parole de Dieu qui nous interpelle et nous appelle à la conversion?

2. LE CHRIST, L’ESPRIT ET L’ÉGLISE

6. Le Christ, plénitude et accomplissement de la révélation trinitaire

La notion d’Alliance qui, dans le dessein de Dieu, précède la création elle-même, exprime bien l’actualisation présente et efficace de la Parole de Dieu, qui s’est accomplie parfaitement dans l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ et à laquelle nous participons au moyen de la vie de l’Église. Là, les diverses étapes, mises en évidence par la théologie paulinienne regardant la trajectoire du mystère, trouvent leur unité intrinsèque: mystère caché depuis les siècles en Dieu et maintenant révélé pleinement dans le Christ, dans l’Esprit Saint, et donné à connaître aux Gentils par le moyen de l’Évangile (Rm 12, 25-26; Col 1, 26-27; Ep 3, 3-12). Dans cette perspective, apparaît l’unité intime entre le mystère révélé par Dieu et la Parole de Dieu. Une telle relation apparaît chargée de multiples implications, tant théologiques que pastorales.
La clef dynamique et dialogale de la révélation et de la Parole de Dieu nous fait regarder toute l’histoire du salut en y reconnaissant une concentration christologique – comme l’a fait Dei Verbum – par laquelle nous reconnaissons et nous confessons le Christ comme le médiateur et la plénitude de la révélation (DV 2.4.7.15.16.17).

7. Le Christ, unique médiateur, et le dialogue

Le Christ apparaît dans l’histoire du salut comme la Parole de Dieu incarnée qui accomplit et porte à son achèvement la révélation de Dieu (cf. He 1, 1-2). Ce que nous savons du Dieu Trine, c’est Jésus qui nous l’a fait connaître. Le Fils incarné est le Révélateur du Père (Jn 1, 18). Mais l’Esprit nous conduit à la pleine connaissance de la révélation de Dieu apportée par Jésus (Jn 16, 13). L’histoire du salut, en tant qu’histoire du mystérieux dialogue entre Dieu et sa créature, trouve ici son accomplissement indépassable. Dans la Parole incarnée, crucifiée et ressuscitée, nous avons le don de l’Alliance nouvelle et éternelle. Le Christ se révèle ainsi pour nous comme l’unique médiateur entre Dieu et les hommes qui accomplit en lui-même notre salut éternel.
Toutefois, comme on l’a souligné dans l’aula, cela ne fait pas cesser le dialogue avec l’homme, avec les diverses cultures et les diverses expériences religieuses; au contraire, cela rend ce dialogue encore plus intense, puisque le salut réalisé par Dieu dans le Christ est continuellement offert à tous les hommes par l’action du Saint Esprit dans les cœurs. La parole définitive de Dieu devient ainsi, précisément par l’effet de l’unique médiateur, source de dialogue avec tous, sans pour autant diminuer la vérité salvifique communiquée d’une manière définitive par le sacrifice du Christ, mort et ressuscité.
Souvent, au niveau culturel, l’affirmation que Christ est l’Unique (cf. Ac 4, 12) et qu’il est Parole ultime et définitive du Père, semble saper à la base toute idée du dialogue: comment aider à comprendre que, justement, la plénitude de la révélation porte elle-même l’exigence la plus profonde d’un dialogue avec toute réalité en quête authentique de la vérité salvifique? Cela conduit sans doute à considérer aussi la valeur des autres traditions religieuses face à l’unicité du Verbe de Dieu.

8. Le mystère de l’Église, l’action du Saint Esprit et l’interprétation des Écritures

Il ressort de diverses interventions que l’Église est la réalité fondamentale dans le dialogue entre Dieu et sa créature, en tant qu’épouse qui accueille le don du Christ; c’est lui qui la rend féconde en elle-même pour toute l’humanité et pour tout le cosmos. La Parole de Dieu a dans l’Église son authentique sujet de réception. De la sorte, l’Église est déjà originairement impliquée dans l’autocommunication de la Trinité dans le Christ et dans le Saint Esprit. L’unicité de la médiation du Christ comporte aussi la médiation originaire de l’Église.
Par conséquent, les Écritures aussi ont pour lieu herméneutique le mystère de l’Église, elles sont le don de l’Esprit à l’Église; épouse du Christ. Ce mystère est mis en lumière dans la figure de Marie; le Verbe de Dieu se fait chair en elle par l’œuvre de l’Esprit Saint. De la même manière, les Saintes Écritures sont don de l’Esprit à l’Église; elles sont écrites au sein de l’Église grâce à l’inspiration de l’Esprit, qui guide aussi son acte interprétatif. De cette manière, l’Église est le lieu où la Parole résonne, est accueillie, proclamée et interprétée dans son contexte le plus approprié. En ce sens, quelques interventions ont suggéré l’idée que, si, d’une part la révélation s’est close avec la mort du dernier Apôtre, d’autre part, il faut dire que la Parole de Dieu est aujourd’hui encore vivante plus que jamais et à l’œuvre dans le cœur des croyants (cf. Jr 55, 10-11). Cette Parole, pourtant, n’est pas une parole du passé, mais elle demeure toujours contemporaine, pour nous, pour tout homme et toute époque.
Tout cela met en lumière combien la Parole même de Dieu, dans sa structure trinitaire, peut être réellement comprise et accueillie seulement dans son horizon pneumatologique. En effet, l’action de l’Esprit Saint est présente dans toute l’histoire du salut, de diverses manières. Cette dimension pneumatologique mériterait d’être soulignée, dans la réflexi
on synodale, de manière significative.
Une fois comprise la centralité de l’Église par rapport à la Parole de Dieu, on comprend pourquoi le sens vrai des Écritures – comme on l’a affirmé – se situe dans la fides Ecclesiae. Ainsi, on a rappelé de manière suggestive que l’importante affirmation «ignorantia scripturarum ignorantia Christi est» comporte aussi cette autre proposition : «Ignoscere Ecclesiam ignoscere Christum est». Dans la foi, on ne peut d’aucune manière séparer le Christ de l’Église dans l’accueil et dans l’interprétation de l’Écriture : «La juste interprétation faite par l’Église est absolument nécessaire dès l’instant de la première rencontre avec la Parole de Dieu».
Comment aider théologiquement et pastoralement à comprendre le lien profond entre la Parole de Dieu et le mystère de l’Église, en répondant aux objections fausses ou étranges?

3. PAROLE DE DIEU, LITURGIE, ÉCOUTE

9. Parole de Dieu et convocation

Le caractère historique, salvifique, de la Parole de Dieu nous aide à comprendre que celle-ci n’est pas réductible au livre des Saintes Écritures et que, toutefois, ces Écritures sont effectivement l’attestation normative et imprescriptible de cette Parole qui, comme telle – en tant que symphonie à plusieurs voix -, culmine dans la personne du Christ, qui est le Verbe incarné (Jn 1,14). Dans cette perspective, on doit mettre en relief un grand nombre d’interventions des Pères qui ont souligné l’importance de relier la parole de Dieu à la liturgie et, en particulier, à la liturgie eucharistique. Dans la ligne de l’histoire du salut, la parole de Dieu trouve son lieu originaire dans la convocatio liturgique, comme lieu de la rencontre. Comme cela a été souligné plusieurs fois dans les interventions, toute la réalité liturgique, de la prière des psaumes aux lectures et jusqu’à la célébration du mystère eucharistique, est imprégnée de la Parole de Dieu, laquelle ici et maintenant s’adresse aux fidèles et les fait participer, afin qu’ils se laissent chaque jour davantage transformer par son efficacité durable.
Le contexte liturgique, et en particulier la célébration eucharistique, invite à bien faire comprendre la dimension sacramentelle inhérente à la Parole de Dieu. Cela implique l’importance de la liturgie pour l’herméneutique même des Saintes Écritures. L’approche de la Parole de Dieu, à l’intérieur du contexte liturgique de la célébration, met en œuvre un critère herméneutique approprié en ce qu’il permet de s’approcher des Écritures pour ce qu’elles sont réellement : Parole de Dieu qui s’adresse à l’homme, afin que celui-ci l’accueille dans la foi. Plus exactement, comme l’ont rappelé quelques interventions, le contexte de la vie ecclésiale, qui s’exprime de manière paradigmatique dans la liturgie, est l’unique lieu approprié pour une vraie compréhension de la Parole de Dieu qui est attestée dans les Saintes Écritures. En effet, la Parole de Dieu est «l’âme de toute liturgie» et dans la liturgie «la narration biblique devient évènement actuel de salut».
En ce sens, on doit dire que l’Église, avant tout dans son cycle liturgique, est le lieu vital où la «parole de Dieu est religieusement écoutée, fidèlement proclamée et interprétée» (DV 1). On a aussi affirmé que «la célébration de la Parole de Dieu devient un des lieux privilégiés de la rencontre avec Jésus Christ, centre et plénitude de toute l’Écriture et de toute célébration liturgique».
Comment aider tout le peuple de Dieu à découvrir l’importance de la Parole de Dieu dans la richesse de la vie liturgique de l’Église? Quelles conséquences pour la théologie et pour la spiritualité implique le fait de considérer la liturgie comme le lieu originaire de la rencontre avec la Parole de Dieu? Quelles conséquences en tirer pour l’exégèse et l’herméneutique? Quelle relation y a-t-il entre parole de Dieu et liturgie en tant qu’actuation sacramentelle de «l’oeconomia salutis»?

10. L’homme, un être appelé à l’écoute de la Parole

En ce sens, la reconnaissance de la Parole de Dieu comme parole vivante que l’on rencontre dans la convocatio liturgique rappelle de manière inévitable, à celui auquel cette parole s’adresse, pourquoi elle est écoutée, accueillie, générant en nous, dans la foi, une authentique obéissance. Si, d’une part, le Christ, dans la Parole (et dans l’Eucharistie), nous dit: Je suis à toi, d’autre part, nous sommes appelés à Lui répondre: Je suis à Toi (Benoît XVI).
La Parole demande à être authentiquement écoutée, accueillie, non d’une manière superficielle. Ceci met au premier plan, comme l’ont fait plusieurs intervenants, la dimension anthropologique de la révélation de Dieu dans sa Parole. L’homme apparaît ici comme convoqué par la Parole, appelé intimement à en être un auditeur loyal. Mais cela ne peut pas se produire si l’homme n’ouvre pas la porte à Dieu qui frappe pour entrer chez lui (cf. Lc 24; Ap 3, 20) et s’il reste attaché à l’étroitesse de ses limites.
Cette dimension anthropologique particulière selon laquelle l’homme est appelé à l’écoute, à l’accueil et à la réponse à la parole de Dieu, s’oppose certainement aux codes culturels de notre temps marqué par la distraction et par un manque fondamental d’éducation à l’écoute de l’autre.

11. L’Église, mère et maîtresse de l’écoute de la Parole de Dieu
Indispensable et incontournable est la tâche de l’Église d’éduquer à l’écoute de la Parole de Dieu; l’Église est, au plus profond d’elle-même, l’épouse qui écoute, accueille et rend féconde la Parole donnée par son époux. En conséquence, l’Église peut répondre aux défis de notre temps qui, au contraire, tend à distraire l’homme, en le rendant incapable d’accueillir l’invitation du Seigneur à la liberté.
À notre époque, plus que jamais, l’Église doit être maîtresse d’écoute. On doit, comme cela s’est fait dans l’aula, exprimer notre disponibilité ecclésiale à l’écoute: «Parle, Seigneur, que ton Église t’écoute». Même si l’homme peut être distrait et vivre dans une culture qui fait obstacle à la soif de transcendance, l’Église sait pourtant que l’homme a été créé par Dieu pour écouter et accueillir Sa Parole. Sa disposition à l’écoute n’est pas, pour l’homme, une option facultative, mais elle est l’une de ses constituantes ontologiques. L’Église, quand elle invite l’homme à l’écoute de la Parole de Dieu, lui rappelle du même coup l’une de ses caractéristiques constitutives en tant qu’homme. L’homme est tiré du néant par la puissance de la Parole créatrice de Dieu et ne peut se réaliser que comme auditeur qui accueille la Parole, en lui obéissant.
Ces considérations sont lourdes de conséquences pastorales. Mettre au centre la Parole de Dieu signifie éduquer l’homme à l’écoute, à se redécouvrir lui-même comme ayant besoin de l’écoute de la Parole de Dieu, aider l’homme à se redécouvrir comme un affamé de la Parole. Comment expliquer cette mission ecclésiale d’être mère et maîtresse de l’écoute?

12. Parole et vocation

Une considération découle de cette réflexion: la Parole de Dieu comme telle se manifeste en interpellant l’homme et en l’appelant, par vocation, à se réaliser lui-même en sortant de lui-même précisément pour faire sien le projet de Dieu sur lui. En ce sens, on doit mettre en évidence le caractère éminemment vocationnel qu’implique une juste conception de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu qui appelle, a-t-on dit, constitue l’homme en une «identité responsoriale». La Parole de Dieu nous invite à une réponse.
La rareté et la crise des vocations sont souvent une crise de la capacité d’écoute. De cela découle naturellement la nécessité pour l’Église de jeter les bases d’une action spirituelle et pastorale apte à mettre en lumière la structure anthropologique de chaque homme en relation à l’appel de Dieu.

13. Dieu qui parle et écoute l’homme dans le beso
in

Mais, au cours de notre assemblée synodale, on a fait ressortir plus d’une fois, ce qui peut paraître étonnant, le fait qu’en Dieu Lui-même nous trouvons aussi l’écoute et que Lui-même nous éduque à l’écoute. En effet, la Parole de Dieu est une parole qui donne voix à ceux qui n’en ont pas; le Seigneur écoute le cri de l’homme qui recherche la paix, la justice et la vérité. Donc, à l’école de la Parole de Dieu, nous pouvons aussi apprendre l’écoute. Plusieurs Pères nous ont rappelé, dans l’aula synodale, combien l’Écriture nous parle non seulement d’un Dieu qui parle, mais aussi d’un Dieu qui écoute. À ce sujet, diverses interventions nous ont remémoré la nécessité de cultiver dans le cœur de l’homme cette attitude d’écoute, de réceptivité face à la Parole de Dieu. L’Église également doit apprendre à écouter: écouter Dieu pour porter la Parole de Dieu à l’homme; écouter l’homme de la manière dont Dieu l’écoute, pour porter à Dieu, à travers cette médiation, la parole de l’homme adressée à Dieu. Le Seigneur s’adresse à notre cœur, à l’intimité profonde de notre existence, attentif à nos demandes et à nos besoins, surtout au besoin décisif de salut et de rédemption. La prédication et l’annonce de l’Église requièrent, des humains, qu’ils soient des gens qui parlent extérieurement et écoutent intérieurement.
Comment approfondir, dans l’Église, cette dimension d’écoute des sans-voix, et comment nous éduquer à l’écoute?

14. La Parole et les pauvres

Ici, comme on l’a rappelé, la figure des pauvres, des enfants et des simples de cœur a été puissamment mise en évidence. Les pauvres apparaissent ici comme une figure décisive pour nous enseigner la manière juste d’accueillir et de répondre promptement et loyalement à l’invitation qui nous vient du Seigneur à travers Sa Parole. «Les pauvres ont une ouverture profonde envers la Parole de Dieu et pour cela l’Église doit les fréquenter tous les jours». Les pauvres constituent certainement un grand défi pour le monde mais aussi pour l’Église. Ceux-ci manifestent une faim particulière de la Parole.
L’Église a la responsabilité de répondre à ce besoin en mettant à profit toutes les ressources à sa disposition afin que la faim des pauvres puisse trouver une réponse adéquate dans la pastorale ecclésiale. Comment être toujours plus une Église qui vit de la Parole de Dieu et qui, pour cela, donne voix à ceux qui sont sans voix?

15. Parole, silence et prière

Dans l’assemblée synodale est ressortie plus d’une fois, en lien avec l’écoute, la nécessité du silence, de faire place en nous-mêmes à la Parole vivante de Dieu. Comme le rappelle l’Imitation du Christ: «Verbo crescente, verba deficiunt». Dans l’aula, les rappels significatifs n’ont pas manqué à l’effet qu’il ne peut y avoir de véritable accueil de la Parole de Dieu si on ne l’aborde pas avec un cœur qui prie et contemple. Il ne saurait y avoir d’approche neutre de la Parole de Dieu; aussi dans le concret de l’approche des Saintes Écritures, l’unique attitude adéquate s’avère celle de la prière. Dans cette perspective, quelques Pères synodaux ont rappelé la nécessité, pour les fidèles, de demeurer longuement penchés sur les Écritures pour qu’elles puissent s’enraciner dans leur cœur. À l’exemple de Marie qui contemplait et méditait les paroles du Fils et les événements, ainsi nous sommes appelés à nous attarder aux paroles des Saintes Écritures, en valorisant aussi la mémorisation de quelques versets particulièrement expressifs de la Vérité révélée. Aussi la prière comme le Rosaire (ou l’Angelus, où nous faisons mémoire de l’Incarnation de la Parole de Dieu, ou bien le chemin de Croix où nous méditons la Parole qui se fait silence ou devient muette dans la mort par amour pour nous), doit être valorisée, ainsi que la rumination de la Parole en fixant des versets significatifs. On a affirmé que Marie, de cette manière, a fait de son cœur une «bibliothèque de la Parole». Voilà ce qu’il faut désirer pour nous-mêmes et pour tous fidèles. Marie se présente à nous comme l’authentique clef d’accès aux trésors de l’Écriture. Dans l’aula, il n’a pas manqué d’émouvants témoignages illustrant comment, en temps de persécution et de manque de prêtres, la communauté ecclésiale est demeurée fidèle à la Parole à travers la prière du Rosaire.
Quelles propositions pouvons-nous faire concrètement afin que le Peuple de Dieu demeure dans la Parole et grandisse en elle? Comment penser à une formation concrète pour les fidèles?

16. La Parole de Dieu et la foi

Somme toute, notre écoute de la Parole, comme la lecture de l’Écriture, doit être une écoute et une lecture de croyant. L’annonce de la Parole de Dieu ne réalise pas le but pour lequel elle a été prononcée si elle n’est pas écoutée et rendue féconde par la foi. Il ne faut jamais oublier – comme cela a été dit – que la prédication de la Parole doit inciter à la foi. Il faut toujours chercher la Parole de Dieu à travers les paroles. Si nous nous arrêtons aux paroles, nous risquons de ne pas trouver la vraie Parole de Dieu et de ne pas reconnaître leur vrai auteur: l’Esprit Saint. En entrant dans la Parole, nous sortons vraiment de nous-mêmes, de nos limites, et nous entrons dans une dimension universelle.
Seule la foi sait vraiment correspondre à la convocation que la Parole de Dieu adresse à notre existence. L’écoute croyante sait trouver la Parole à travers les paroles; à travers l’humanité de Jésus, la foi sait reconnaître le Fils de Dieu; ainsi dans la foi, dans les paroles humaines et les limites, nous recueillons la Parole éternelle de Dieu qui change notre vie. La Parole de Dieu, et toute annonce, ont comme fin l’attitude de la foi en nous, parce que seule la foi sait accueillir la présence du Christ opérant dans l’aujourd’hui de notre vie qui, dans le temps, nous conforme à Lui.
Dans la perspective de la Parole de Dieu, il faut reprendre une vraie pédagogie de la foi qui implique le développement d’une écoute et d’une lecture croyantes de la Parole. Comment approfondir une authentique vie de foi qui se configure dans l’obéissance à la Parole? Cette perspective peut-elle aider à dépasser certaines dichotomies à l’intérieur de la vie chrétienne, entre lecture spirituelle et scientifique des Saintes Écritures? Peut-elle aider à développer une nouvelle relation entre exégèse et théologie?

17. Parole de Dieu et sainteté

Donc la foi ne s’ajoute pas de l’extérieur à l’approche donnée à la Parole de Dieu. La foi est essentielle pour comprendre l’autocommunication de Dieu attestée dans les Écritures et dans la Tradition (cf. DV 5). Dans ce contexte, il semble important de rappeler, comme l’ont fait quelques intervenants, que l’exégèse la plus authentique de la Parole de Dieu se trouve en ceux qui, dans la foi, ont écouté cette Parole. Dans cette perspective, dans l’aula, sont ressortis de nombreux témoignages émouvants de Parole de Dieu vécue. On reconnaît toujours plus la sainteté dans l’Église comme une interprétation vivante de la Parole de Dieu, parce qu’elle en est un véritable témoignage.
On a souligné aussi l’importance des charismes, en tant que dons de l’Esprit Saint à l’Église, qui permettent de vivre la Parole même de Dieu d’une manière créative dans le temps et les diverses cultures. Que l’on pense en particulier, comme on y a fait allusion, aux diverses formes de vie consacrée dans l’Église, lesquelles sont «des exégèses vécues de la Parole» (Benoît XVI).
En ce sens, il est important de souligner, comme l’ont fait quelques intervenants, que la Parole de Dieu continue à s’incarner dans la vie des croyants, en particulier dans leur témoignage de charité. Chacun est appelé à être un Évangile vivant, qui se fait «chair et sang».
En définitive, le vrai auditeur est celui qui vit une rencontre personnelle avec le Christ, qui l’amène à «se c
onformer totalement au Christ, se laisser transformer par lui et adhérer à lui, inconditionnellement, dans la foi, développant ainsi une véritable attitude de disciple, une fidèle sequela Christi, partout où le Christ le conduit».
Comment renouer de façon efficace l’exégèse de l’Écriture et la sainteté? Comment développer dans le Peuple de Dieu une sainteté enracinée toujours plus dans l’écoute et la célébration de la Parole de Dieu?

II. PAROLE DE DIEU, SAINTE ÉCRITURE ET TRADITION

4. EVÉNEMENT, RENCONTRE, INTERPRÉTATION

18. La Parole de Dieu comme événement dans l’histoire

Aussi bien l’Instrumentum laboris (n°15) que nombre d’interventions dans l’aula ont souligné le fait que la Parole de Dieu comme telle ne coïncide pas simplement avec la Sainte Écriture, même si, souvent, dans le langage commun, de fait, les deux termes sont retenus comme synonymes. Cela implique certainement une retombée pastorale qu’il faut prendre au sérieux. La doctrine exprimée dans Dei Verbum affirme clairement que la Parole de Dieu nous est transmise inséparablement dans la Parole écrite inspirée (Saintes Écritures) et dans la Tradition vivante de l’Église (n°9). La même constitution dogmatique, à travers le concept d’histoire du salut, aide à comprendre le caractère dynamique de la Révélation, et à saisir ainsi le caractère «vivant» de la Parole de Dieu, qui ne s’arrête pas à la lettre.
Quelques interventions de Pères synodaux dans cette perspective de l’histoire du salut ont souligné combien la Parole de Dieu possède intrinsèquement le caractère d’événement dans l’histoire, attesté normativement dans les Saintes Écritures et transmis fidèlement dans la Tradition vivante de l’Église. Beaucoup d’intervenants ont tenu à citer le Prologue de l’Évangile selon Jean(Jn 1, 14): «Le Verbe, le Logos de Dieu, s’est fait chair et est venu habiter parmi nous». La Parole de Dieu est devenue une présence humaine qui communique et agit parmi les hommes.
Si, en effet, Dieu se révèle et communique la vérité salvifique aux hommes dans l’histoire, alors l’auto-communication de Dieu ne peut que se présenter à nous avant tout sous la forme d’une rencontre. On a rappelé à plusieurs reprises dans les interventions, à ce propos, le passage initial de l’encyclique de Benoît XVI, Deus Caritas Est: «Au commencement du devenir chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne qui donne à la vie un nouvel horizon, et avec lui, la direction décisive» (DCE 1).
De là, on peut comprendre pourquoi la Parole de Dieu est une Personne qui s’offre à nous dans une rencontre, capable de provoquer notre liberté et notre raison. Ceci, en effet, ne peut être vraiment accueilli que dans la foi: la grâce d’une rencontre qui provoque notre raison à élargir sa mesure pour accueillir la nouveauté de la révélation, et qui interpelle une réponse libre, comme adhésion à l’invitation de la sequela.
Qu’implique le fait que souvent l’expression «Parole de Dieu» soit comprise seulement comme Sainte Écriture? Quelle attention pastorale nous impose cette constatation?
Que peut vouloir dire pour la pastorale de l’Église le fait de valoriser le caractère historique et essentiel de la rencontre avec le Christ, Parole de Dieu faite chair?
La rencontre avec le Christ, Parole faite chair, requiert l’engagement de la raison et de la liberté.
Que peut vouloir dire pour notre démarche pastorale le fait d’impliquer la réalité humaine dans sa capacité de connaissance et de décision?

19. L’interprétation entre Écriture Sainte et vie croyante dans l’Église

On a aussi affirmé que rappeler ce caractère historique et essentiel de la Parole de Dieu ne réduit pas, de fait, le sens des Saintes Écritures. Au contraire, les Saintes Écritures demeurent muettes ou sont réduites à une interprétation arbitraire pour l’homme qui ne s’ouvre pas à la rencontre où Dieu se rend présent dans sa vie.
On a rappelé à ce sujet l’affirmation du document de la Commission biblique sur l’Interprétation de la Bible dans l’Église: «La juste connaissance du texte biblique est accessible seulement à qui a une affinité vécue avec ce dont le texte parle» (n°70). Une telle affirmation a des conséquences tant sur la qualité de la vie ecclésiale que sur les études de la Bible.
La rencontre qui se produit grâce à l’Église et aux témoins authentiques de la foi crée dans la personne cette affinité existentielle capable de lui faire découvrir la profonde pertinence du témoignage scripturaire pour sa propre vie. De cette manière, la Sainte Écriture se présente à nous comme un témoignage écrit, normatif et inspiré, de cet événement originaire dont nous sommes rendus participants aujourd’hui au moyen de la vie de l’Église: «La contemporanéité du Christ par rapport à l’homme de tout temps se réalise dans son Corps, qui est l’Église» (VS 25, cf. FR 11).
On doit approfondir l’aspect de témoignage qui caractérise la relation entre vie de l’Église et la Sainte Écriture dans l’important développement de la Tradition vivante: on a dit que «le témoignage des hommes qui participent à l’événement du Christ et le témoignage de la Parole écrite s’appellent réciproquement».
Il y a une profonde logique du témoignage qui lie le texte sacré (la Parole attestée) et la rencontre avec le témoignage chrétien: cette logique est lourde de conséquences pastorales.
L’immanence dans une authentique expérience ecclésiale permet de développer correctement l’herméneutique du texte biblique dans une lecture réellement croyante. L’interprétation peut trouver une voie intéressante de confrontation dans le rapport entre Sainte Écriture comme norma normans, et la vie de l’Église comme unique sujet adéquat pour comprendre le sens et la vérité du texte sacré, et pour l’approfondir dans le temps. De cette manière, on comprend le processus herméneutique comme processus enraciné dans la Tradition vivante de l’Église, que l’Esprit conduit dans la connaissance de la vérité toute entière. L’Esprit qui a inspiré les auteurs sacrés est le même qui anime l’Église aujourd’hui; et donc, c’est dans cet Esprit que l’Écriture doit être lue (DV 8).
La Parole de Dieu attestée et la rencontre avec le Christ aujourd’hui dans la vie de l’Église, à travers les témoins, permettent ainsi de redécouvrir, comme il a été dit, «les traits singuliers, ne pouvant être confondus», de la personne du Christ, non seulement comme caractéristiques d’un fait du passé, mais aussi comme réalité atteignant l’homme dans le présent de la vie de l’Église, dans l’objectivité de sa structure sacramentelle, et dans la vitalité avec laquelle l’action de l’Esprit anime toujours le Corps du Christ avec les dons et les charismes: «L’Église dans sa doctrine, sa vie et son culte, perpétue et transmet à toutes les générations tout ce qu’elle est elle-même, tout ce qu’elle croit» (DV 8).
Qu’implique dans l’action pastorale le fait de découvrir la circularité entre la Parole de Dieu, écrite et transmise, et la vie de l’Église, comme sujet authentique capable de pratiquer une écoute et une lecture croyante de la Sainte Écriture?
Comment affronter le problème d’une exégèse et d’une herméneutique de l’Écriture dans la foi de l’Église, pour qu’au sein de cette dernière se développe une authentique expérience ecclésiale et une intelligence spirituelle des Écritures?

20. Parole de Dieu et défis culturels de notre temps

Comme l’ont encore affirmé certains Pères, la Parole de Dieu, même dans le présent, ne cesse de se montrer significative et attrayante pour l’homme. La Parole de Dieu qui se rend présente dans l’histoire des hommes est parole salvifique, se révélant à nous pour notre salut et pleine de sens. Il est de la responsabilité des pasteurs et des diverses composantes de la réalité e
cclésiale, que chacun, à sa place, affronte notre culture contemporaine qui tend à ne pas reconnaître, à censurer et dénigrer la valeur salvifique de la Révélation et le besoin d’être sauvé, repliant l’expérience anthropologique sur elle-même et la rendant esclave du relativisme.
Face aux aberrations dont l’homme contemporain devient victime, aberrations qui attestent la faillite de l’homme vivant comme si Dieu n’existait pas, la Parole de Dieu nous pousse à profiter de la capacité de l’Évangile d’assainir les blessures de cet homme qui, trop souvent, s’émancipant de la grâce de Dieu, a ouvert les portes à de nouvelles servitudes. Pourtant, dans la présentation de la Parole de Dieu, on mettra tout en œuvre pour aider à saisir l’intérêt et la pertinence anthropologique de la Révélation. Les fidèles, aussi, développeront leur intérêt pour la Parole de Dieu quand ils seront formés à découvrir la pertinence de cette Parole dans leur propre vie.
Comment aider les fidèles à vérifier la capacité de la Parole de Dieu à changer leur vie, et à répondre aux questions profondes du cœur de tout homme?En termes de travail pastoral, que veut dire affronter les grands défis culturels qui tendent à délégitimer l’annonce chrétienne du salut? Comment aider les fidèles à découvrir la capacité de la Parole de Dieu de venir à notre rencontre et de soigner nos blessures?

5. UNITÉ, PRIMAUTÉ, CIRCULARITÉ

21. Unité et primauté de la Parole de Dieu

Dans les interventions des Pères synodaux, on a repris la présentation classique des termes fondamentaux du rapport entre la Parole de Dieu et l’Église. À partir de Dei Verbum (chap. 2), on a plus d’une fois mis en relation les Saintes Écritures, la Tradition et le Magistère. On doit reconnaître que la profonde synthèse entre Écritures, Tradition et Magistère, comme elle est articulée en Dei Verbum, a besoin d’un approfondissement ultérieur, aussi bien dans le cadre des études théologiques que dans le cadre de la communauté chrétienne.
D’une part, quelques interventions ont fait remarquer l’attention accrue qu’on a portée au texte de la Bible dans les dernières décennies, aussi bien de la part de la théologie que de la communauté chrétienne en général; d’autre part, quelques interventions ont mis en évidence le risque actuel de reléguer au second plan la Tradition vivante de l’Église.
S’il est vrai que le Magistère de l’Église n’est pas à mettre sur le même pied que l’Écriture et la Tradition, celui-ci apparaît toutefois essentiel pour une correcte interprétation de la Parole de Dieu, et on ne peut donc pas l’en dissocier.
Du reste, comme on l’a rappelé, ce n’est pas la Bible qui crée l’Église. La Bible présuppose l’Église, et en dépend pour son authentique interprétation. La Bible devient Sainte Écriture avec l’Église et doit y être lue avec foi et vénération.

22. Unité entre Écriture, Tradition, et Magistère

Il faut aussi rappeler à ce propos, comme l’a affirmé Dei Verbum dans ses sept premiers numéros, qu’il y a un primat de la Révélation de Dieu et de sa transmission qui advient «dans la prédication orale, avec les exemples, et les institutions par lesquelles [les Apôtres] ont transmis aussi bien ce qu’ils avaient reçu des lèvres, des œuvres du Christ, et de leur vie avec Lui, que ce qu’ils avaient appris par l’inspiration du Saint-Esprit» (DV 7).
Des intervenants ont rappelé que l’unique dépôt de la Révélation est confié à l’Église qui, à travers le ministère vivant des successeurs des Apôtres, non seulement le transmet, mais l’interprète «authentiquement […] n’enseignant que ce qui a été transmis» (DV 10). Néanmoins, la Parole de Dieu «vit en une indépassable unité qui permet de voir en mode différencié la Tradition, la Sainte Écriture et le Magistère comme une unique source pérenne à atteindre pour connaître la vérité de la révélation en tout temps de l’histoire de l’Église».
Quelques critères pour lire la Sainte Écriture avec le Christ ont été proposés: le Saint-Esprit, la Tradition apostolique, la communion avec le Corps de l’Église, la confession de foi de l’Église (analogia fidei), la cohérence avec la totalité de l’Écriture (analogia scripturae). En termes plus concrets, on a aussi évoqué la liturgie, le témoignage des saints, l’étude menée dans la foi, l’exégèse canonique, le contexte, la promotion de l’unité, la disposition intérieure (docilité, prière, humilité).

23. L’œuvre de l’Esprit Saint au sein de la triade Écriture-Tradition-Magistère

Cependant, même si on reconnaît l’indiscutable primat de la Parole de Dieu, on doit en même temps affirmer l’indépassable circularité entre Écriture, Tradition et Magistère, qui permet à l’Église de conserver et d’approfondir dans le temps la vérité salvifique qui nous a été révélée dans le Christ. En ce sens, la relation de la Parole de Dieu avec le Magistère n’apparaît pas extrinsèque, mais impliquée dans cette même logique que le Saint-Esprit porte en avant dans l’histoire du salut. L’Esprit de Dieu, en effet, agit d’une manière particulière quand la Parole éternelle de Dieu s’incarne dans le sein de la Vierge Marie; l’Esprit de Dieu assure la Tradition vivante tout au long de l’histoire; l’Esprit Saint que le Christ ressuscité a donné à ses disciples après la Résurrection permet de reconnaître en Jésus de Nazareth l’unique Engendré du Père. Le Magistère de l’Église, fortifié par l’assistance du même Esprit, garantit tout au long de l’histoire de l’Église la compréhension de cette vérité salvifique.
Il apparaît ici nécessaire d’approfondir le sens de cette circularité, surtout pour éviter que, aussi bien du point de vue des études que de la vie de l’Église, le rapport entre ces éléments soit perçu de manière extrinsèque et juxtaposée. Écriture, Tradition et Magistère, dans leur mutuelle corrélation, sont à même d’indiquer la condition nécessaire pour que l’Église puisse, avec le temps, croître dans la compréhension profonde de la Révélation de Dieu.

6. EUCHARISTIE, HOMÉLIE, COMMUNAUTÉ

24. Écriture et Eucharistie

Un autre point abordé à plusieurs reprises dans les interventions est le rapport entre la Sainte Écriture et l’Eucharistie. Nous avons déjà mentionné la liturgie comme lieu originel des Saintes Écritures, en tant que lieu de la rencontre avec Dieu qui se révèle dans le Christ. Un tel cadre liturgique trouve son expression particulière dans la célébration eucharistique.
Toutefois le Synode s’interroge sur le moyen de favoriser parmi les fidèles une perception plus unitaire de ce rapport. Certainement l’Écriture possède le maximum d’actualité et d’énergie spirituelle quand elle est proclamée durant la Sainte Messe. Cette suprême efficacité se vérifie quand la Parole que l’on proclame est écoutée, comprise, aimée, intériorisée; cela suppose une grande familiarité qui se développe seulement par la lecture constante de la Parole de Dieu. Dans cette perspective, la relation entre Écriture et Eucharistie est décisive. La Bible en effet parle de l’amour de Dieu au travers de la longue histoire de son peuple, qui se condense dans le geste suprême d’amour de Jésus. Voilà pourquoi l’Eucharistie aide à comprendre le message de la Bible, de même que la Bible explique le mystère eucharistique. On a rappelé, de manière suggestive dans l’aula, un chemin de conversion qui, de façon toute spéciale, a reconnu dans l’Eucharistie le Dieu de la Parole.
L’unité intrinsèque entre le Dieu de la Parole et le mystère eucharistique nous porte à envisager le problème déjà signalé concernant une certaine juxtaposition des deux parties de la messe, problème dont Sacramentum Caritatis s’était déjà occupé (n°44 & 45): la liturgie de la Parole et la liturgie de l’Eucharistie. Cette relation est assurée par l’action de l’Esprit, à l’œuvre dans les deux parties. L’Esprit
, qui agit dans la Parole, est à l’œuvre dans la liturgie eucharistique. Ici, un Père a parlé d’une «dimension épiclétique» qui concerne tout autant la Parole que l’Eucharistie. Ce même Esprit constitue l’unité intrinsèque et le renvoi mutuel entre Parole et Sacrement eucharistique.
Comment est-il possible d’aider, par une pastorale liturgique vraiment adéquate, à faire comprendre plus intimement l’unité de la célébration et la relation intrinsèque entre Écriture et Sacrement eucharistique?

25. Dimension sacramentelle de la Parole

Sur le même sujet du rapport entre Parole de Dieu et Eucharistie, quelques intervenants ont mis en évidence la nécessité de parler d’un caractère sacramentel de la Parole de Dieu et de la Sainte Écriture. L’Écriture et la voix qui proclame la Parole de Dieu sont, par analogie avec les espèces eucharistiques, «signes» qui véhiculent le mystère eucharistique. Ce n’est pas par une analyse de la matérialité du signe que l’on peut saisir le mystère; ce qui est communiqué ne peut être saisi que dans l’Esprit qui opère dans la foi.
Comme les espèces eucharistiques communiquent le mystère sous le voile du signe, ainsi la Parole éternelle de Dieu se communique dans les limites d’une parole humaine. En ce sens, aussi bien l’Eucharistie que la Sainte Écriture se rejoignent dans l’horizon sacramentel de la Révélation de Dieu (FR 13), que seule la foi peut reconnaître, accueillir et vivre.

26. Parole et dimension eschatologique

Cette dimension sacramentelle de la Parole s’unit aussi à sa dimension eschatologique. Celle-ci brille alors dans l’unité entre la Parole de Dieu proclamée dans la célébration et le mystère eucharistique. La proclamation de l’Évangile durant l’Eucharistie est communication du Christ ressuscité par la puissance de l’Esprit Saint; ainsi, elle offre l’opportunité de voir maintenant déjà la gloire de Dieu. C’est un moment eschatologique de la révélation. La Parole qui est proclamée est la Parole définitive de Dieu.
L’évêque, le prêtre et le diacre qui proclament l’Évangile dans la célébration liturgique doivent être conscients de leur grande responsabilité, chacun selon son ordre. La proclamation de l’Évangile doit aider les participants à la célébration à accueillir la manifestation de Jésus, le Fils de Dieu, comme accomplissement de l’histoire.
En effet, toute la célébration eucharistique possède le caractère «d’anticipation» de la Manifestation finale de la Gloire de Dieu, comme l’a affirmé Sacramentum Caritatis (n°30 & 31). De la même manière, la Parole de Dieu proclamée en son sein participe d’un tel caractère eschatologique.

27. Célébration de la Parole

L’unité entre Parole et Sacrement apparaît décisive pour la vie des fidèles. Cette constatation fait sentir toute la douleur que vivent les communautés chrétiennes quand – à cause de la raréfaction du clergé ou en raison de situations de persécutions – la célébration eucharistique ne peut être assurée de manière continue. Quelques intervenants, faisant allusion à ces situations, ont souligné l’importance de la célébration de la Parole de Dieu dans la communauté ecclésiale, qui ne doit jamais être laissée de côté.
Grâce à la célébration de la Parole, beaucoup de communautés ecclésiales privées de l’Eucharistie célèbrent la foi dans le mystère du Christ et nourrissent ainsi leur foi et le témoignage chrétien. La célébration de la Parole même sans prêtre est un des lieux privilégiés de la rencontre avec le Christ. Sacramentum Caritatis (n°75) invite à ces célébrations. Moyennant l’action de l’Esprit Saint, la Parole de Dieu ainsi proclamée et célébrée fructifie dans le cœur et dans la vie de ceux qui la reçoivent.

28. L’importance de l’homélie

Toujours dans le contexte de la relation entre Parole et Eucharistie, beaucoup de Pères ont noté l’importance de l’homélie pendant la Sainte Messe en relation avec l’Écriture proclamée. Cela est certainement un thème qui a besoin d’être approfondi et sur lequel on doit donner des indications claires.
En effet, l’homélie occupe une place importante et nécessaire et est l’un des services majeurs que l’évêque, le prêtre, et le diacre, chacun dans son ordre, doivent prêter à la communauté des fidèles: pour la majeure partie d’entre eux, c’est l’unique occasion d’écouter la Parole de Dieu, particulièrement lors de la célébration dominicale.
Un intervenant a suggéré que l’homélie doit être préparée dans un climat d’étude, de prière et de méditation répondant à trois demandes: Que signifient les lectures qui ont été proclamées? Que signifient-elles pour moi personnellement? Que dois-je, moi en tant que pasteur, communiquer aux fidèles en tenant compte des circonstances dans lesquelles se développe la vie de la communauté?
À ce propos, d’autres interventions ont rappelé que le renouveau conciliaire invite à faire des homélies qui soient principalement une exposition et une application de la Sainte Écriture. On a recommandé comme une nécessité de passer d’une prédication moralisante à une prédication plus kérygmatique. Une prédication simplement moralisatrice ne génère pas la foi qui sauve. Une prédication du kérygme s’avère nécessaire, une prédication plus missionnaire qui tend à évoquer la foi.
Quelles indications doivent être données de la part du Synode à ce sujet? Peut-il être utile et nécessaire d’élaborer un Directoire homilétique général qui aide à former les prédicateurs dans l’ars predicandi?

29. Formes analogiques de prédication: l’art

Certaines interventions des Pères, instructives et enrichissantes, ont rappelé combien la proclamation de la Parole de Dieu trouve un écho non seulement dans les homélies, mais aussi dans d’autres formes de communication liées à l’art et à la beauté. Comme illustration de ce fait, on a donné le témoignage et l’exemple de la liturgie byzantine. La communication de la Parole de Dieu est liée à l’hymnographie liturgique et à l’iconographie.
À ce sujet, un intervenant a souligné l’importance, durant la liturgie, de chants qui soient adaptés, beaux et clairement inspirés des textes de la Sainte Écriture. De là aussi l’importance que les chants utilisés dans la liturgie soient approuvés par l’Autorité compétente qui peut vérifier une telle qualité.
La Parole de Dieu, a-t-on encore souligné, trouve une incontournable communication dans l’art figuratif: qu’on pense, par exemple, aux icônes. Ces expressions artistiques sont non seulement une illustration du texte biblique, mais encore une fenêtre ouverte sur le ciel à travers laquelle se développe le dialogue entre Dieu et l’homme et entre l’homme et Dieu.
Comment valoriser et promouvoir un art, en ses diverses formes, toujours plus enraciné dans la Parole de Dieu, qui soit non seulement une biblia pauperum mais aussi un approfondissement, véritable expression de la foi et du dialogue avec Dieu qui se donne lui-même à nous dans Son Fils?

30. Parole de Dieu, célébration et communauté

Dans la célébration liturgique, dans la proclamation de la Parole de Dieu, les fidèles sont appelés à se découvrir comme communauté vivante qui se nourrit de la Parole et du Pain de la Vie. Le Saint-Esprit crée une harmonie et une syntonie entre l’Écriture et la communauté. Il sera donc important de respecter le besoin intérieur qui pousse la communauté à la rencontre de la Parole de Dieu, mais on fera attention aussi à contrôler cette sensibilité qui exalte l’excès de spontanéité, l’expérience strictement subjective et la soif du prodigieux. La communauté chrétienne se construit chaque jour en se laissant conduire par la Parole de Dieu sous l’action du Saint-Esprit qui donne illumination et consolation.
La célébration authentique de la Parole et du Pain de Vie empêchent la communauté chrétienne de se replier sur elle-même.
Au contraire, s’ouvrir et se laisser atteindre dans le mystère célébré permet d’élargir les limites de sa propre réalité, empêchant les lectures intimistes, fondamentalistes, qui sont typiques des sectes. Les communautés deviennent ainsi sous l’action vivifiante de l’Esprit Saint servantes de la Parole, avec la tâche particulière de l’offrir au monde qui l’entoure.
Dans ce contexte, se sont succédé dans l’aula divers intervenants qui ont recommandé le contexte communautaire pour l’écoute et le partage de la Parole de Dieu comme contexte qui favorise le développement avec le mystère communiqué dans la Sainte Écriture.
À propos de cette dimension communautaire de l’approche du texte sacré, qui se réalise de façon paradigmatique dans la liturgie eucharistique, n’ont pas manqué les interventions qui ont recommandé la constitution de petites communautés pour l’écoute et le partage biblique, communautés qui peuvent être composées des noyaux familiaux, dans l’horizon plus ample de la communauté paroissiale et des diverses expériences liées aux mouvements ecclésiaux et aux nouvelles communautés. De telles communautés sont aussi des lieux où on peut expérimenter la réalité concrète de la Parole qui veut faire croître, en nous et parmi nous, l’amour fraternel.

7. EXÉGÈSE, THÉOLOGIE, LECTIO DIVINA

31. Exégèse et théologie

«[…] L’étude des Saintes Lettres doit être comme l’âme de la sainte théologie» (DV 24). En référence à cette expression de Dei Verbum, de nombreuses interventions dans l’aula ont signalé certaines problématiques qui nécessitent un approfondissement. Certainement l’étude biblique a fait de grands progrès dans les dernières décennies. On a évoqué dans l’aula synodale les divers instituts bibliques à la charge de grands ordres religieux. Il ne manque pas de figures de chercheurs qui, emblématiquement, ont vécu non sans tension la fidélité à la recherche scientifique et la fidélité au Magistère de l’Église.
Aussi Sa Sainteté Benoît XVI, dans la célébration du cinquantième anniversaire de la mort de Pie XII, a rappelé durant l’homélie l’important document Divino afflante Spiritu, qui a marqué une introduction significative, dans la rechercher biblique, des méthodes modernes d’analyses textuelles que Vatican II a ultérieurement approfondies et relancées.
Nonobstant quelques pas significatifs, on peut dire que beaucoup d’intervenants, durant la discussion, ont fait état d’une tension entre l’exégèse biblique et la théologie, où se répercute la difficulté de saisir adéquatement le lien entre sens littéral/historique et sens spirituel/plénier de l’Écriture. Quelqu’un a parlé de divorce pratique entre exégèse, théologie biblique et théologie dogmatique. Cette tension s’est vérifiée à plusieurs reprises dans la relation entre exégèse et Magistère de l’Église. On ne doit jamais oublier, a-t-on affirmé, que le sens des Écritures est, de par sa nature, théologique.
Certainement, de nos jours, on affirme la nécessité d’expliquer le sens des Écritures selon le sens de l’Église, interprétant la Parole écrite dans la Bible dans le contexte de la Tradition vivante, valorisant en cela l’héritage des Pères. D’autre part, il est indubitable que l’Esprit de Dieu nous pousse à penser de nouveaux chemins que la Parole de Dieu entend accomplir chez les hommes de notre temps, en recueillant les attentes et les défis que l’humanité d’aujourd’hui pose à la Parole. Il en découle de nouvelles tâches.
Il devient indispensable de développer l’étude selon les indications du Magistère, aussi bien quant à la connaissance et l’emploi des méthodes de recherche scientifique qu’au processus interprétatif qui doit aboutir à la plénitude du sens spirituel du texte sacré. On demande que soit dépassée la distance qu’on observe entre la recherche exégétique et l’élaboration théologique, en vue d’une collaboration réciproque. Le théologien utilise le donné biblique sans l’instrumentaliser, alors que l’exégète ne limite pas sa recherche aux seules données littéraires, mais s’emploie à reconnaître et à communiquer les contenus théologiques présents dans le texte inspiré.En particulier, on demande au théologien de se faire un devoir de développer une théologie de la Sainte Écriture qui aide à comprendre et à valoriser la vérité de la Bible, dans la vie de foi et le dialogue avec les cultures, tout en réfléchissant aux tendances anthropologiques actuelles, aux défis posés par la morale, au rapport entre raison et foi, au dialogue avec les grandes religions… En outre, la communauté attend, des savants, qu’ils aident les ministres de la Parole de Dieu à offrir au peuple de Dieu l’aliment des Écritures. Pour cela, on souhaite un dialogue intense entre exégètes, théologiens et pasteurs.
À ce propos, s’impose aujourd’hui la nécessité d’une lecture croyante de la Sainte Écriture qui se fait un devoir d’insérer toute la problématique du texte à l’intérieur d’une vision de foi. Il ne s’agit pas seulement d’aller au-delà de la lettre, mais de percevoir le texte comme signe dans lequel la Parole révélée demande d’être écoutée. Voilà pourquoi l’exégèse ne peut être réduite à une simple philologie neutre. Cela vaut pour les études bibliques et en particulier pour les études dans les séminaires où se forment les prêtres qui devrontrompre le pain de la Parole pour le peuple de Dieu.
À ce sujet, il est nécessaire d’approfondir la problématique ici soulevée. Comment dépasser la dichotomie souvent présente entre les savants, entre les problématiques du texte et le sens théologique de la Parole de Dieu dans la Sainte Écriture?
Comment favoriser la collaboration entre exégètes et théologiens et comment aider à saisir l’importance de se référer au Magistère de l’Église, comme un processus inhérent à l’étude même de la Parole de Dieu?
Au sujet de la relation entre exégètes, théologiens et Magistère, certains Pères ont demandé d’aborder certains thèmes spécifiques qui aujourd’hui requièrent un approfondissement: c’est le cas de l’inspiration (et conséquemment, de l’herméneutique), et de l’inerrance des Saintes Écritures. Comment comprendre aujourd’hui ces concepts?

32. Sainte Écriture et Lectio divina

Dans le contexte d’une lecture et d’une étude réellement croyantes du texte sacré, il convient de situer certains instruments qui forment à une approche authentiquement spirituelle de la Bible. Ici, on doit rappeler, comme du reste l’avait fait amplement l’Instrumentum laboris, le fait que les intervenants dans l’aula synodale ont mis l’accent sur l’importance de la Lectio divina en notre temps.
À ce sujet, on doit rappeler que pour une authentique spiritualité de la Parole, «la prière doit accompagner la lecture de la Sainte Écriture pour que s’établisse un dialogue entre Dieu et l’homme, car ‘c’est à lui que nous nous adressons quand nous prions; c’est Lui que nous écoutons quand nous lisons les oracles divins’» (DV 25). C’est ce que confirme saint Augustin: «Ta prière est ta parole orientée vers Dieu; quand tu lis la Bible, c’est Dieu qui te parle; quand tu pries, c’est toi qui parles à Dieu».
La Lectio divina est une lecture individuelle et communautaire d’un passage plus ou moins long de l’Écriture écoutée comme Parole de Dieu et qui se prolonge sous la stimulation de l’Esprit dans la méditation, la prière et la contemplation (cf. PCB, Interprétation de la Bible dans l’Église, 4 C 2)
C’est une forme d’oraison qui purifie le désir et produit une disponibilité en harmonie avec la Volonté de Dieu. La diffusion de la Lectio divina tient au cœur de Benoît XVI: il l’a proposée comme un point décisif pour un renouveau de la foi (cf. L’Osservatore Romano, 7 avril 2006).
Toutefois, on doit aussi dire que la Lectio divina n’est pas facile. Une approche pédagogique d’initiation s’avère nécessaire, approche qui fasse bien comprendre de quoi i
l s’agit et qui contribue à clarifier le sens des diverses étapes et une manière de les appliquer qui soit aussi fidèle que sagement créative.
On a rappelé dans l’aula quelques méthodes qu’il faut bien tenir présentes et qui rendent compte des divers contextes culturels d’approche de la Sainte Écriture. Le nom même de Lectio divina est en partie modifié, par exemple en «école de la Parole», ou bien «lecture orante». Surtout on gardera à l’esprit le fait que le fidèle d’aujourd’hui vit dans un contexte de rapidité et de fragmentation; cela demande une formation claire, patiente et continue chez les prêtres, les personnes dans la vie consacrée et les laïcs.
Un intervenant dans l’aula a rappelé à ce sujet que Dei Verbum parle aussi d’un approfondissement de l’Écriture «per piam lectionem». Pour en arriver là, on doit toujours rappeler que la nature du texte sacré est d’être témoignage de l’œuvre de salut accomplie par Jésus. La lecture pieuse recommandée par Dei Verbum exprime en ce sens«la modalité de connaissance amoureuse de foi».
Dans cette perspective, on doit toujours rappeler que l’approche du texte sacré quand elle est faite personnellement par le fidèle, ne peut être isolée de la communion et du contexte ecclésial. La lecture de foi reconnaît dans l’Écriture le «témoignagefidèle et vrai», le Christ lui-même, la Parole incarnée de Dieu et pourtant qui veut faire de nous des témoins toujours plus crédibles de la vérité révélée.
Pour cela, on peut dire que Marie est le meilleur exemple d’accueil de la Parole de Dieu. En particulier, si l’on considère sa manière d’écouter la Parole. Le texte évangélique «Marie, pour sa part, gardait toutes ces choses dans son cœur et les méditait» (Lc 2, 19) signifie qu’elle écoutait et connaissait les Écritures, les méditait dans son cœur en une sorte de processus intérieur, où l’intelligence n’est pas séparée du cœur. Marie recherchait le sens spirituel de l’Écriture et le trouvait en le reliant (symballousa) aux paroles, à la vie de Jésus et aux événements qu’elle découvrait dans son histoire personnelle.
Comment aider pastoralement à une lecture de la Parole de Dieu qui fasse croître, personnellement et communautairement, dans la vie spirituelle, et rende les croyants chaque jour toujours plus capables d’un témoignage crédible de l’amour communicatif de la Révélation chrétienne?

III. PAROLE DE DIEU, MISSION, DIALOGUE

Passons maintenant à la troisième partie: «Parole de Dieu, mission, dialogue». Un participant a affirmé: «Le saint Synode de la Parole est le Synode de la mission.» Un autre a même suggéré de reformuler le titre de cette troisième partie: non pas «La Parole de Dieu DANS la mission de l’Église», mais «La Parole de Dieu EST la mission de l’Église». Maintes fois, dans cette aula, on a affirmé le statut de la Parole comme «âme de toute la pastorale», en en faisant un objectif ferme à réaliser. Dans une intervention libre, l’un de nous a même parlé de la Parole comme «âme de l’humanisation». C’est dire toute l’ampleur de la mission: ad intra, certes, mais encore et surtout ad extra, en dialogue effectif avec l’humanité tout entière (cf. Mt 28, 19-20).
Je développerai le sujet en trois étapes contenant chacune trois points. Je traiterai d’abordde tout ce qui touche au contenu: le témoignage, le kérygme, la catéchèse.

8. TÉMOIGNAGE, KÉRYGME, CATÉCHÈSE

33. Le témoignage

Il est apparu clairement aux Pères synodaux que le facteur déterminant de l’interprétation du texte biblique est l’expérience de la rencontre du Christ présent dans la tradition de l’Église. Cette rencontre communique la force d’aimer qui vient de la foi.
Une telle rencontre du Christ n’est pas l’apanage des spécialistes et des responsables d’Église. Plus encore que les études, c’est le témoignage des pauvres et des saints qui nous ouvrent à la beauté et à la force de la Parole. Ne les empêchons pas, par trop de précautions, de devenir des «amoureux de la Parole». On a souligné deux autres lieux importants où se vit le témoignage: la famille et la communauté. L’écoute en commun de la Parole de Dieu a le pouvoir de susciter, par là, une nouvelle ecclésiogénèse. La Parole biblique, en effet, doit s’incarner dans des témoins crédibles: l’homme d’aujourd’hui est particulièrement sensible au témoignage des personnes pour qui la rencontre personnelle du Christ a causé un réel changement de vie.
34. Le kérygme

On l’a dit plusieurs fois depuis l’ouverture du Synode, il est nécessaire de recentrer l’annonce de la Parole de Dieu sur son foyer essentiel: le kérygme, devenu, dans bien des cas, étranger aux hommes et femmes de notre temps. Le kérygme est la clé qui donne aux Écritures le pouvoir de remplir leur mission. Ainsi pourra-t-on éviter un triple danger: la dérive du moralisme, l’attrait du mysticisme (spécialement l’engouement excessif pour les révélations privées), et l’hermétisme d’une exégèse aux approches scientifiques et littéraires multiples, qui se noie parfois sous les doutes et les hypothèses et ne se prête pas toujours facilement à l’actualisation. De plus, le kérygme permet de donner tout son sens à l’Ancien Testament, puisque le Christ est «mort, selon les Écritures», et ressuscité, «selon les Écritures» (1 Co 15,3-4; cf. Jn 5,39).

35. La catéchèse

L’herméneutique chrétienne des Écritures est la clé de la catéchèse: elle seule lui donne la structure théologique et anthropologique capable de l’unifier. On a dit: «Un projet catéchétique ne partant pas de la Bible et ne conduisant pas à la Bible, est inacceptable.» Il faut voir celle-ci, non pas comme un simple outil didactique ou un appui apporté au contenu, mais vraiment comme la source vivante de toute catéchèse. Ne parlons plus d’utiliser la Parole de Dieu, mais de la servir comme des disciples.
Les Pères synodaux ont beaucoup insisté sur le développement d’une attitude d’écoute: écoute de la Parole de Dieu, écoute du Christ, écoute des pauvres. De plus, le modèle du chemin d’Emmaüs a été nettement privilégié: c’est un texte biblique auquel beaucoup d’intervenants se sont référés. Il suggère une pédagogie en quatre étapes: écoute du vécu, long mûrissement à la lumière des Écritures, pour aboutir finalement au partage du pain et au partage du témoignage en communauté de croyants (Lc 24, 13-32).
On a déploré le peu de poids qu’on accorde au monde des enfants, qu’on a appelé de manière heureuse «la génétique de notre Église», mais aussi «les plus pauvres d’entre les pauvres». En contrepartie, on a souligné l’attitude on ne peut plus accueillante de Jésus. Plusieurs intervenants ont estimé nécessaire d’introduire dans la catéchèse une bonne part d’apprentissage par cœur de textes bibliques importants et adaptés.
Pour l’âge adulte, on souhaite que les paroisses offrent des sessions de formation permanente et graduelle sur la Parole, dans le cadre d’expériences de communautés ecclésiales ou de groupes de réflexion. On fait état d’expériences nouvelles, comme le «Bibliodrame», le théâtre, et diverses formes d’arts qui, par le biais du symbole, touchent non seulement l’intellect mais le corps et toute la personne. Là encore, il convient d’encourager la mémorisation de passages de l’Écriture: l’expérience émouvante des Églises du silence, naguère frappées d’interdit pour l’impression de livres religieux, démontre qu’on peut, par la mémoire, développer une tradition orale vivante et durable. On a suggéré, pour promouvoir la culture biblique de bien des fidèles, de répandre l’usage de calendriers ayant pour chaque jour une courte citation biblique, expliquée et appliquée.
Le Synode accueille avec bonheur le témoignage des catéchistes qui, particulièrement en Afrique, installés à la tête des communautés villageoises, ont assuré à l’Église son ép
anouissement et son expansion. Nourris de la Parole de Dieu non moins que de la tradition et des coutumes de leurs propres ethnies, ils savent interpeller les mentalités encore marquées par les us et coutumes contraires à l’Évangile, la vengeance, l’esprit fétichiste. Le Synode espère ardemment que cette structure ecclésiale très souple des catéchistes soit maintenue et au besoin améliorée, malgré l’exode rural vers les grandes villes qui rend plus difficile la relève. Il en va de même pour les Délégués de la Parole et autres structures analogues qui, en Amérique latine, se révèlent être un germe d’authentiques communautés ecclésiales, un levain irremplaçable de développement social et une source de vocations presbytérales.

9. DIALOGUE, CULTURE, ENGAGEMENT
La deuxième étape concernant la mission vise à tirer les conséquences d’un sens élargi de la Parole de Dieu, spécialement dans une optique d’ouverture à la diversité. À travers l’Écriture, l’Église offre au monde une grammaire qui nous enseigne à distinguer les paroles de Dieu diversifiées, notamment à travers les voix de la nature, de la culture et de l’histoire. Cela implique que l’Église ne soit pas centrée sur elle-même, mais qu’elle se considère en mission face au monde entier. De là trois mots clefs: dialogue, culture, engagement. L’Évangile, a-t-on dit avec raison, n’enlève rien à la liberté de l’homme, ni au respect dû aux cultures, ni à tout ce qui est bon dans chaque religion. En matière de dialogue, il importe de proposer sans imposer, de se considérer comme des interlocuteurs. Le chrétien doit être prêt à parler et à écouter, à donner et à recevoir.
Sans prétention d’exhaustivité, nous retenons cinq aspects: la Parole de Dieu en lien avec l’œcuménisme, le dialogue entre chrétiens et juifs, le dialogue interreligieux, les diverses cultures et l’engagement social

36. La Parole de Dieu, lien œcuménique

Le Synode reconnaît l’immense contribution de la tradition protestante au développement de l’expertise biblique. Ne fût-ce que pour aider à guérir la mémoire, on peut même affirmer qu’une certaine insistance de la Réforme à faciliter l’accès aux Écritures a bien profité à toutes les confessions chrétiennes.
Toutefois, en dépit des fruits de fraternité produits par les rencontres et dialogues œcuméniques, on ressent actuellement un certain malaise qui appelle à une conversion plus profonde à l’oecuménisme spirituel. Ce synode souligne fortement la dimension sacramentelle de la Parole de Dieu. Écouter ensemble les Écritures nous introduit par anticipation dans une unité, imparfaite peut-être, mais réelle. S’il est vrai que, historiquement, à la racine des divisions entre chrétiens il y a eu des controverses sur des textes bibliques fondamentaux, il n’en reste pas moins que la Bible est véritablement un terrain d’unité pour surmonter ce scandale des divisions; en particulier, si l’on intègre une pratique commune de la Lectio divina et une dimension de spiritualité mariale. Quelques participants ont décrit l’incompréhension des fidèles face à l’exclusion des chrétiens des autres confessions de la table eucharistique; il faut mieux en expliquer le fondement théologique, et mettre en relief, corrélativement, le pouvoir unificateur de la Parole de Dieu. La théologie elle-même gagnerait sans doute davantage à affermir et rajeunir sans cesse ses concepts, nés parfois dans des contextes polémiques, au contact de la Parole de Dieu une et unifiante. Le Synode salue tous les efforts de mise en commun des ressources pour traduire et diffuser la Bible, et organiser des célébrations interconfessionnelles.
Dans tous les continents, on a souligné avec force les dangers du fondamentalisme et de la prolifération cancéreuse des sectes. Il appert que la meilleure voie de dialogue en l’occurrence s’avère être une saine interprétation de l’Écriture.

37. La Parole de Dieu, source du dialogue entre chrétiens et juifs

Le dialogue entre chrétiens et juifs, nos frères aînés, touche l’intérieur même de l’Église et du mystère de la foi. Jésus et les Douze étaient des Juifs de naissance. La Terre sainte est la première matrice de l’Église. Il convient de faire, de la relation entre chrétiens et juifs, un objet qui concerne tous les chrétiens et pas seulement les spécialistes du dialogue. Cela implique des attitudes concrètes: toujours parler des juifs au présent; tenir la survie du peuple juif pour un fait spirituel; accueillir la portée universelle du judaïsme; éviter toute théologie de la substitution; dans la lecture chrétienne de l’Ancien Testament, laisser une place à la lecture juive; partager avec les juifs l’attente eschatologique.
Là où, pour des raisons politiques et idéologiques, sur fond de sang et de souffrances, des chrétiens éprouvent des difficultés à lire l’Ancien Testament, même au point de le rejeter, on voudra bien élaborer une herméneutique catholique, commune à tous, réelle et claire, qui soit apte à résoudre ce problème.

38. La Parole de Dieu dans le cadre du dialogue interreligieux

Passons maintenant au dialogue interreligieux. On en trouve les fondements dans l’ouverture même des textes fondateurs, qui incluent des réflexions, des discussions, des débats. Dans toutes les grandes religions, on trouve un dénominateur commun: le respect des livres sacrés. Nous pouvons même, à partir de là, faire un examen de conscience sur notre propre manière d’utiliser la Bible.
Il est important de faire connaître la Bible aux fidèles des autres religions, et de bien leur expliquer notre approche herméneutique, de manière à dissiper l’opinion de ceux qui classent le christianisme parmi les «religions du Livre», alors que, pour nous, la Bible est avant tout le livre de la rencontre d’une Personne.
Plus particulièrement, d’importants points communs rendent possible et profitable un dialogue avec l’Islam, lui-même enraciné d’une certaine manière dans la tradition biblique: résistance à la sécularisation et au libéralisme, défense de la vie humaine, affirmation de l’importance sociale de la religion. Le dialogue avec eux est plus important que jamais dans les circonstances actuelles afin de promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. Toutefois, les confrontations parfois difficiles nécessitent des attitudes prudentes et des paroles adéquates, dans le cadre d’un dialogue interreligieux ouvert mais vrai, à l’abri de discours accommodants. On a suggéré d’organiser un «Forum de la Parole de Dieu» où chrétiens et musulmans pourraient se rencontrer, discuter et méditer ensemble.
D’autre part, d’importants points communs rendent possible et profitable un dialogue avec les grandes religions d’Asie centrale et orientale: parmi de nombreux facteurs, signalons un sens du sacré très développé, l’importance de la religion même en plein contexte de sécularisation, et la pratique de la méditation.
En matière de dialogue interreligieux, le respect mutuel doit être une règle d’or, et tout prosélytisme est à proscrire. Si les discussions au niveau doctrinal sont difficiles à mener, au moins on peut encourager la collaboration dans les œuvres de charité.

39. La Parole de Dieu en lien avec les cultures

Non seulement l’Église transmet ses vérités et ses valeurs, et renouvelle les cultures de l’intérieur, mais elle prend aussi en elles les éléments positifs qui y sont déjà présents.
Plusieurs Pères synodaux ont traité de l’inculturation et l’un d’entre eux a exposé le fondement christologique de l’inculturation. Lorsqu’il se fait chair, de par l’initiative tout aimante de Dieu, le Verbe éternel s’inculture. Par le fait même, il épouse une culture particulière, d’ailleurs teintée de péché, et en subit l’influence. Mais du même coup, il agit sur la culture et la transforme, par la force de l’événement pascal,
en excluant tout ce qui est non conforme à son image. Il appert que l’inculturation de la Parole de Dieu n’est ni un processus moderne ni une démarche facultative. Le phénomène s’observe dans la genèse même des écrits bibliques.
Nombre de Pères synodaux, en particulier de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine, ont souligné l’apport précieux des cultures traditionnelles. Dans les premiers siècles, les moines syriens ont diffusé la Parole de Dieu à la grandeur de l’Asie, depuis la Perse et l’Inde jusqu’en Chine. Ils ont dialogué et inculturé. Il est prouvé qu’ils ont interagi avec les zoroastriens, les bouddhistes, les manichéens, les taoïstes, les confucéens, les hindous et les musulmans, ainsi qu’avec certains chefs des religions tribales parmi les Turcs, les Huns et les Mongols. Les moines ont emprunté des langues, des cultures, des religions et des idées indigènes. Récemment, le Synode africain a réhabilité la religion traditionnelle et les cultures locales: cela s’impose, notamment, pour contrer l’exode des néophytes, en particulier des jeunes, vers la religion traditionnelle. Dans les cultures de l’Inde et de l’est de l’Asie, il existe, de temps immémorial, des modèles de vie religieuse où des valeurs comme la renonciation, l’austérité, le silence, la prière, la contemplation et le célibat jouissent d’une grande considération; des pratiques rituelles comme les sacrifices, les processions, l’usage des images, les ablutions, les fêtes, existent dans l’hindouisme; dans le confucianisme, les valeurs familiales, le respect de l’ordre social, le respect des aînés et des ancêtres, tout cela est proche de nos valeurs. Des évêques ont fait état d’efforts fructueux déployés actuellement pour développer une herméneutique biblique qui tienne compte de la riche culture et de l’histoire des peuples asiatiques: sans mettre de côté les méthodes scientifiques d’exégèse, elle les complète en faisant ressortir un sens spirituel des textes bibliques qui rejoint l’âme asiatique. Quant aux cultures locales, principalement en Amérique et en Océanie, de par leur caractère rural, elles sont proches de la Bible sous plusieurs aspects: l’importance des traditions orales, les cosmogonies, l’idée de Dieu, le sens de la rédemption et de la croix, la vie communautaire. Mais dans tous ces cas, comme l’ont souligné plusieurs participants, il faut rester prudent dans l’emprunt d’éléments qui sous-tendent la foi et l’adoration; autrement, on risque de verser dans le syncrétisme, de causer des malentendus ou de tout mettre sur le même pied.
La Parole de Dieu a également un lien essentiel avec les cultures modernes: elle peut et doit en être le ferment. Un dialogue ouvert s’impose avec la science et l’art. Certes, à l’ère des technologies nouvelles, les difficultés sont multiples: l’indifférence, le bruit, les distractions de toutes sortes, le repli sur soi-même, l’auto-divinisation de l’homme, la vision athée ou agnostique de l’homme, de l’univers et de l’histoire, et même la disparition, de l’imagination populaire, des expressions et figures bibliques traditionnelles. De là la nécessité, pour les chrétiens, de nourrir un dialogue soutenu entre la foi et la raison, de rester présents et actifs sur toutes les scènes de la vie publique, et de témoigner de la foi chrétienne en paroles et en actes. Dans cette ligne, quelqu’un a proposé comme indispensable le renouvellement en profondeur des études philosophiques dans les centres catholiques d’enseignement supérieur.

40. La Parole de Dieu, appel à l’engagement

Plusieurs Pères synodaux ont souligné l’importance d’une lecture contextualisée des Écritures, c’est-à-dire étroitement liée aux réalités de la vie courante et capable de transformer les personnes et les structures. Mis en demeure par la Parole, nous ne pouvons que condamner les maux qui provoquent la violence et l’injustice dans notre monde. On a signalé la nécessité d’une connexion plus grande entre l’étude de l’Écriture et l’étude de la doctrine sociale de l’Église: option préférentielle pour les pauvres et les exclus, promotion de la justice, égalité fondamentale et dignité de tous les humains, destination universelle des biens, sens humain et social du travail, caractère sacré de la vie, rapport entre Église et État, motifs d’engagement des chrétiens dans la société… Faisant état d’une catastrophe récente, un évêque a déclaré: «Le monde est notre autel, et nous avons rompu le pain de l’accompagnement humain des masses éprouvées». Bref, il importe de ne jamais dissocier les activités humanitaires de leurs racines bibliques.

10. TRADUCTION, COMMUNICATION, PROCLAMATION

41. Traduction

Un des points le plus fréquemment abordés par les Pères synodaux a été l’urgence de rendre la Bible disponible dans toutes les langues, y compris celles qui ne disposent pas de l’écriture, et donc, de solliciter la collaboration des Églises mieux nanties pour rendre l’opération matériellement possible.

42. Communication
La culture de la lecture étant en perte de vitesse, il importe d’utiliser au maximum les moyens de communication modernes. Nous sommes à l’ère de l’internet, et les possibilités d’accès à l’Écriture Sainte se sont démultipliées. Le Synode doit écouter, discerner et encourager les projets de transmission et de transposition des Saintes Écritures dans tous ces nouveaux langages qui attendent de servir la Parole de Dieu. De ce point de vue, il faut tout mettre en oeuvre pour combler le fossé qui, en ce domaine, s’élargit quotidiennement entre pays riches et pays pauvres.
L’insistance mise sur l’écoute de la Parole ouvre la voie à de nombreux moyens qui tablent sur la créativité, tels le théâtre, le conte, la musique, la création de sites internet interactifs, l’iconographie, ou qui favorisent, même à l’intérieur des célébrations, le partage de la Parole.
S’il est vrai que l’Écriture est une lettre que Dieu nous adresse, et que toute la Bible parle du Christ, il importe de respecter le critère essentiel de l’unité du message et, donc, de mettre à profit toutes les parties de la Bible, en surmontant les peurs non fondées et en évitant les omissions qui affaiblissent le message. De ce point de vue, une révision à long terme du lectionnaire, peut-être en synergie avec nos frères orientaux, serait souhaitable.
Certains Pères synodaux ont suggéré la mise sur pied de Congrès internationaux sur la Parole de Dieu.

43. Proclamation

Quant à la proclamation liturgique de la Parole, plusieurs Pères synodaux ont suggéré de créer un ministère spécifique ou, du moins, de clarifier et de valoriser le statut du lectorat dans l’Église, et de mettre sur pied des écoles d’apprentissage de la lecture liturgique. De plus, quelques-uns ont souhaité que se répande, là où on le juge bon, l’expérience de la lecture de toute la Bible en continu, de manière à mettre en valeur l’ensemble des Écritures.

CONCLUSION

«Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute œuvre bonne.» (2 Tm 3, 15-17)
La première phase du Synode sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église s’est avérée une expérience très intense et très riche, tant par la qualité des interventions dans l’assemblée synodale que par le climat de communion qui règne entre tous les participants. La Parole de Dieu s’y est manifestée comme puissance spirituelle qui illumine et rapproche les esprits et les cœurs.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions mais on peut d’ores et déjà espérer de ce premier exercice des orientations pastorales qui feront éclore un nouveau printemps de la mission. L’urgence d’annoncer l’Évangile aujourd’hui est vivement ressentie par tous les Pères synodaux et beaucoup de nouvelles possibilités de communication invitent à prendre
des initiatives originales, pour faire connaître et aimer le Christ et les Écritures, pour œuvrer à l’unité des chrétiens et contribuer à la justice et à la paix dans le monde.
La présence du Seigneur au milieu de nous a rappelé à tous, évêques, experts, auditeurs et auditrices, que nous sommes avant tout des disciples, des cœurs croyants qui écoutent ce que l’Esprit dit à l’Église aujourd’hui. Poursuivons joyeusement nos travaux, en communion avec Marie et tous les saints, dans l’espérance que fait naître en nous la Sainte Écriture dévoilée par l’Esprit Saint.

Trouvant du Paradis
Et le pont et la porte
Au-dedans de ce Livre,J’y passai et j’entrai.
Si mes yeux, pour leur part, restèrent au-dehors,
Mon esprit pénétra dans son intimité.
J’en vins à parcourir
Ce qui n’est point décrit:
Limpide, est ce sommet,
Pur, sublime et splendide.
Il a reçu du Livre un nom qui est Éden:
Sommet de tous les biens.

Saint Ephrem, Hymnes sur le Paradis, Hymne V

QUESTIONS POUR LES GROUPES LINGUISTIQUES

1. Comment faire mieux comprendre à nos fidèles que la Parole de Dieu, c’est le Christ, Verbe de Dieu incarné? Comment approfondir la dimension dialogale de la Révélation dans la théologie et la pratique de l’Église?
2. Quelles implications procèdent du fait que la célébration liturgique est le lieu originaire et le sommet de la Parole de Dieu?
3. Comment éduquer à une écoute vivante de la Parole de Dieu, dans l’Église, pour toute personne et à tous les niveaux culturels?
4. Comment former à la Lectio divina?
5. Faut-il élaborer un Compendium pour aider les homélistes à mieux servir la Parole de Dieu? (ars predicandi).
6. Y a-t-il lieu de revoir le Lectionnaire et de modifier le choix des lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament?
7. Quelle place et quelle importance accorder à la ministérialité de la Parole de Dieu?
8. Comment faire mieux saisir le lien intrinsèque entre la Parole et l’Eucharistie?
9. Quels moyens devons-nous mettre en œuvre pour la traduction et la diffusion de la Bible dans le plus grand nombre de cultures possibles, en particulier chez les pauvres?
10. Comment assainir les rapports et stimuler la collaboration entre exégètes, théologiens et pasteurs?
11. Comment approfondir le sens de l’Écriture et son interprétation dans le respect et l’équilibre entre la lettre, l’Esprit, la tradition vivante et le magistère de l’Église?
12. Que penser de l’idée d’un Congrès mondial de la Parole de Dieu promu par le magistère de l’Église?
13. Comment développer davantage la recherche de l’unité des chrétiens et le dialogue avec les Juifs autour de la Parole de Dieu?
14. Qu’entend-on par animation biblique de toute la pastorale?
15. Quelles questions mériteraient un traitement plus détaillé de la part du magistère de l’Église? (Inerrance, pneumatologie, rapport Inspiration-Écriture-Tradition-Magistère)
16. Comment concilier la pratique du dialogue inter-religieux et l’affirmation dogmatique à propos du Christ, unique médiateur?
17. Comment cultiver la connaissance de la Parole de Dieu par d’autres voies que le texte biblique? (Art, poésie, Internet, etc)
18. Quelle formation philosophique est nécessaire pour bien comprendre et interpréter la Parole de Dieu et les Saintes Écritures?
19. Quels critères d’interprétation de la Parole de Dieu assurent une authentique inculturation du message évangélique?

N.B. La liste n’est pas exhausive et laisse toute liberté pour l’examen d’autres questions.

[Texte original: latin]

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel