Quel rapport entre le Linceul de Turin et le cinéma ?

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Entretien avec un historien du cinéma sacré

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Maria Chiara Petrosillo

Traduction d’Océane Le Gall

ROME, mercredi 23 mai 2012 (ZENIT.org) – Quel rapport entre le Saint-Suaire et le cinéma ? Alberto Di Giglio, historien du cinéma sacré, répond à cette question en soulignant que le cinéma christologique, à savoir la représentation de la figure du Christ, est un fil rouge dans l’histoire du cinéma.

Un diplôme de spécialisation en Etudes sur le Suaire de Turin, a été présenté le 16 mai 2012, à Rome, à l’Université pontificale Regina Apostolorum (www.uprait.org). Parmi les intervenants, le professeur Alberto Di Giglio, spécialisé enHistoire du Cinéma sacré et religieux au Centre expérimental de Cinématographie – Siège Lombardie, qui a accordé cet entretien à Zenit sur le rapport entre le Saint-Suaire et le cinéma.

Depuis 1990, Alberto Giglio est président de l’association culturelle Sindonis Cultores. Egalement fondateur du site web sindonologia.it et auteur du documentaire « Le Saint-Suaire, un Signe de notre temps », il aété de 1999 à 2003 directeur de « La Toile », une revue consacrée au Linceul de Turin qui paraît tous les 4 mois.

Zenit – Comment caractériser le rapport entre le Linceul de Turin et le cinéma ?

Alberto Di Giglio – Le Saint-Suaire est une image, et sa nature fascinante de relique/image fait penser au cinéma. La photographie, déjà en 1898, révélait sa nature bidimensionnelle, et 80 ans plus tard, en 1978, les américains Jumper et Jakson, et en Italie l’informaticien Tamburelli, parlent de tridimensionnalité. Le cinéma est « mouvement », il est une « dynamique » d’images séquentielles, et le Linceul de Turin, en tant qu’image en « mouvement », de la photographie à la révélation tridimensionnelle, est un phénomène qui surprend.

Un détail invite à réfléchir : la révélation photographique de 1898 (le négatif de la photographie du suaire a révélé que la figure humaine imprimée sur le suaire était elle-même un négatif, ndlr) a lieu exactement deux années après la naissance du cinéma, inaugurant en quelque sorte un filon du cinéma christologique.

Analyser le « cinéma christologique », c’est s’occuper de l’histoire du cinéma tout court, car ce cinéma n’est pas seulement un fait concret majeur, il est surtout un phénomène contemporain au développement du septième art.

Après que les arts visuels – surtout la peinture des nations chrétiennes, en Occident comme en Orient – et les représentations sacrées se soient nourris pendant des siècles de récits bibliques, la présence évangélique – et plus généralement des écritures – n’est pas non plus secondaire dans l’évolution des images animées.

En particulier, le cinéma qui s’inspire de la Bible est une sorte de fil rouge qui se renouvelle dans le temps : depuis les toutes premières « Passions » cinématographiques aux relectures, à divers titres scandaleuses, en passant par les superproductions hollywoodiennes. Le Nouveau Testament surtout a accompagné l’histoire de l’audiovisuel,  a suivi son évolution en termes de représentativité et de goût, anticipant certaines sensibilités et prospectant certains points de vue, au point que l’on est arrivé à dire que « toute l’histoire du cinéma se reflète dans la représentation du Christ sur écran ».

Cinéma et Saint-Suaire ont trouvé une heureuse synthèse à l’occasion de l’Ostension solennelle de 2010, quand la ville de Turin a offert au monde le plus précieux de ses trésors, au Musée national du Cinéma qui a son siège à la « Mole Antonelliana ». Les pèlerins venus voir le linceul pouvaient admirer l’image de Jésus racontée en trente films, dans une exposition intitulée « Ecce Homo », l’image de Jésus, dans l’histoire du cinéma. Une importante collection avec photos de scène, manifestes, affiches et revues, illustrant les grands chefs-d’œuvre du cinéma christologique à partir des premières années du XXème siècle.

Jean-Michel Frodon, intervenu à la présentation du catalogue de l’exposition, a dit : « Le cinéma inventé dans et par le monde du cinéma, entretient avec la figure du Christ un rapport profond et mystérieux, qui va au-delà des simples illustrations de la « plus grand histoire jamais racontée » qu’il m’a été donné de produire ».

Quel lien unit l’image mystérieuse du suaire et l’art cinématographique?

Le devoir de la cinématographie est de représenter, raconter, ou mieux interpréter, rendre visible tout ce que la nature humaine peut nous dire sous ses multiples formes et réalités.

Lorsque nous considérons le Saint-Suaire, nous parlons des événements liés à la personne historique du Christ ; mais il faut dire aussi que la distance qui sépare les événements historiques racontés dans les Evangiles et la représentation ou re-figuration, dans la spécificité du langage cinématographique, peut arriver à décevoir les attentes. Je peux citer en exemple certaines fictions télévisées plutôt médiocres, ou d’autres étonnamment positives comme les cavalieri che fecero l’impresa de Pupi Avati ou le Messie de Roberto Rossellini.

Peut-on dire que le linceul est le récit d’une histoire?

Le linceul est un récit, une histoire qui part du témoignage oral, jusqu’au témoignage écrit, celui de l’image proprement dite. Il nous raconte les derniers moments de la vie de Jésus sur terre, nous montre ce que les évangiles ne disent pas. Les évangélistes nous disent que Jésus a été fouetté, mais ne disent pas comment il l’a été, ni comment comme il fut couronné d’épines et crucifié, le suaire nous montre comment tout cela est arrivé. Tout est imprimé sur cette toile. Le linceul nous montre l’Hecce Homo, mais anticipe et « annonce » aussi le Ressuscité.

Le cinéma sur le Linceul de Turin a-t-il du succès ?

Il faut rappeler que seuls quelques films, en l’occurrence ceux qui racontent l’histoire de Jésus, font référence explicitement au Saint-Suaire ; néanmoins certains films donnent des indices directs et indirects, comme : Golgotha de J. Duvivier de 1935, le premier film sur Jésus depuis l’avènement du cinéma sonore;  le Messie  de Roberto Rossellini; Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli; The Passion de Mel Gibson; The Last Temptation de Martin Scorsese; Les Cavalieri che fecero l’impresa de Pupi Avati.

Et puis il y a des films dont la narration oscille entre aujourd’hui – avec ses problèmes, doutes, et points de vue – et le temps des sources originales. Le plus souvent il s’agit d’œuvres où l’on conteste l’historicité de Jésus et la doctrine du Christ, comme par exemple : The Body de J. Conard; L’Enquête de Damiano Damiani;  7 Kilomètres de Jérusalem  tiré du livre de Pino Farinotti, mis en scène par Claudio Malaponti.

Enfin il existe une quantité de documentaire sur le linceul, dont certains d’une grande qualité artistique dont méritent d’être rappelés : The Silent Witness de David Rolfe, (Grande-Bretagne, 1978), et In Search of Historic Jesus d’Henning Schellerup (Etats-Unis, 1979).

Quel est le film qui représente le mieux la vie de Jésus-Christ et sa passion, selon ce qui est révélé par le Linceul de Turin ?

Je ne parlerais pas d’un seul film, plutôt de transversalité de vision des divers auteurs : Pupi Avati par exemple, qui propose une approche religieuse de la relique et du contexte historique entre sa disparition de Constantinople après 1204 et
sa découverte en France en 1356 ; Roberto Rossellini nous montrant, dans son Messie, la déposition du corps de Jésus dans son long et blanc linceul ; Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli, dans sa dynamique visuelle de la découverte du tombeau vide et de la découverte du suaire. Mais encore  Pier Paolo Pasolini dans son Evangile selon Matthieu de 1964, ou encore Christus de Giulio Antamoro de 1916. Ces personnes doivent être rappelées pour tout ce qu’ils captent de l’objet, du suaire.

Mais il y a aussi des metteurs en scène qui ont utilisé de manière intéressante les indications issues des études sur le linceul comme, par exemple, les modalités de la crucifixion, le couronnement d’épines, le fixage des clous aux poignets …

Les films les plus fidèles aux détails donnés sur le Linceul de Turin sont La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese, Golgotha de Julien Duvivier de 1935, et le film d’animation Miracle Maker. Enfin Mel Gibson dans The Passion, se détache sensiblement des données officielles du linceul pour ce qui est de la crucifixion et du couronnement d’épines, récupérant de manière spectaculaire et suggestive le « vide » du suaire dans la scène finale du film : la résurrection.

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ZENIT Staff

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