« Quand Mère Teresa me servait mon petit déjeuner » (II)

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A l’occasion du centenaire de sa naissance, souvenirs d’une femme d’une bonté sans limites

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ROME, Jeudi 22 juillet 2010 (ZENIT.org) – « Mère Teresa me servait le petit déjeuner. (…) Elle me servait avec un amour maternel bouleversant. Café, lait, confiture, biscottes. Elle se préoccupait que je mange. Et ses attentions étaient parlantes, plus que les entretiens », raconte le journaliste italien Renzo Allegri qui a fait la connaissance de la religieuse « par une série de singulières coïncidences ».

Renzo Allegri raconte pour les lecteurs de ZENIT comment il a connu Mère Teresa et ce qui le touchait tant chez elle.

Nous publions ci-dessous la deuxième partie de ce témoignage. Pour la première partie, cf. Zenit du 21 juillet.

* * *

…Comme je l’ai dit, ayant pris une certaine assurance, je sollicitai d’elle des faveurs peu appropriées à son état de religieuse.

Un jour, je lui demandai si elle accepterait d’être marraine à un baptême. A Noël de 1985, Al Bano, le célèbre chanteur des Pouilles, était devenu père pour la troisième fois : une petite fille, Cristel. Nous sommes très amis, depuis les débuts de sa carrière. J’étais également témoin à son mariage avec Romina Power et il a tenu sur les fonds baptismaux un de mes enfants. Une amitié qui, au fil du temps, s’est transformée quasiment en un lien de parenté. En mai 1986, Cristel avait déjà cinq mois et n’était pas encore baptisée. Je savais que Al Bano avait une foi religieuse solide et concrète. Aussi, je lui demandai comment il se faisait qu’il n’avait pas encore baptisé sa fille. Il me répondit qu’il retardait le baptême parce qu’il ne voulait pas que la cérémonie religieuse se transforme en une pagaille bruyante, avec photographes et journalistes, comme cela avait été le cas pour son mariage. Il cherchait une occasion pour une cérémonie religieuse privée, et me demanda de l’aider à l’organiser, éventuellement à Rome. Ce que je fis volontiers. Je parlai avec l’évêque slovaque Mgr Pavel Hnilica. Une personne extraordinaire, un saint lui aussi, ami de Mère Teresa : c’est lui qui m’avait présenté à la religieuse. Je lui demandai s’il pouvait baptiser la fille de mon ami. Et aussi s’il était possible d’avoir Mère Teresa comme marraine. « Je ne pense vraiment pas »,  répondit l’évêque. « Mais je te conseille de le lui demander directement, c’est une femme imprévisible ». Mère Teresa était à Rome. Je m’armai de courage et lui posai la question. Elle me regarda, sérieuse, puis répondit : « Comme religieuse, je ne puis assumer cette responsabilité juridique. Mais je peux être marraine spirituelle ». Ce qui fut fait. Le baptême fut célébré dans la chapelle privée de l’évêque. On donna à l’enfant les noms de Cristel, Maria Chiara et Teresa. Un seul photographe était présent et les photos furent distribuées gratuitement dans le monde entier, publiées partout, même au Japon.

Deux années plus tard, en août 1988, des amis me racontèrent une histoire bouleversante. Un jeune couple d’un village voisin près du Lac de Bracciano, avait eu des quintuplés.  Comme il arrive souvent dans ces cas, les bébés furent placés un certain temps en couveuse. Concrètement, ils furent sauvés par le très grand amour de leurs parents et les soins médicaux. Quand enfin ils sortirent de l’hôpital, on songea au baptême. « Il faut faire une grande fête », disaient les amis du couple. L’un d’eux me demanda d’organiser quelque chose pour attirer l’attention des journaux. Je pensai à Mère Teresa. J’étais certain que, connaissant l’histoire, elle accepterait. Et il en fut ainsi. La cérémonie eut lieu dans la petite église ancienne de Santa Maria di Galeria. Chaque jumeau avait son parrain, comme le prévoit l’Eglise, mais ils eurent tous Mère Teresa de Calcutta comme « marraine spirituelle ». Malgré son emploi du temps chargé, Mère Teresa consacra une demie journée à ce baptême. Elle se fit accompagner au lac de Bracciano et participa à toute la cérémonie. Les journaux naturellement écrivirent, publièrent des photographies et il y eut une grande fête.

Quand je pense à Mère Teresa, l’image d’elle qui me vient instantanément à l’esprit est celle de la religieuse en prière. La première fois que je me trouvai en voiture avec elle, j’eus l’honneur d’être assis à ses côtés. Nous devions nous rendre de la via Casilina, à la périphérie de Rome, où se trouve une maison des « Missionnaires de la Charité », au Vatican, où la Mère devait être reçue par le pape. Nous avions longuement parlé ce matin-là et nous étions en retard. Nous montâmes dans la voiture. Le frère de Monseigneur Hnilica conduisait. L’évêque était assis à côté de son frère, et moi à côté de Mère Teresa.

La voiture roulait très vite, car nous étions pressés et en retard. Impossible de faire attendre le pape. Mère Teresa regardait par la fenêtre. Son visage était serein. Au bout de quelques minutes, elle nous demanda de prier avec elle. Elle fit un signe de croix, d’une poche de son sari sortit un chapelet. Elle priait lentement, à voix basse, récitant le « Pater Noster » et l’« Ave Maria » en latin. Nous priions avec elle.

L’auto roulait à toute vitesse, nerveusement, dans le trafic chaotique et intense. Elle s’arrêtait de temps à autre brusquement, braquait de façon saccadée, repartait impérieuse, abordait les virages témérairement, frôlée par d’autres voitures, impatientes et agressives, menaçantes avec leurs coups de klaxon lancinants. Agrippé à la poignée, je regardais avec inquiétude le conducteur, très gentil mais imprudent. Quant à Mère Teresa, absorbée dans sa prière, elle ne se rendait compte de rien.

Recroquevillée sur le siège, elle était en dialogue avec Dieu. Elle avait les yeux fermés. Son visage ridé, penché sur sa poitrine, était transfiguré. Comme s’il en émanait une lumière. Les paroles de la prière sortaient de ses lèvres, précises, claires, lentes, comme si elle s’attardait à en savourer le sens. Elles n’avaient pas la cadence d’une formule inlassablement répétée, mais la fraîcheur du dialogue, d’une conversation vive, passionnée. Elle semblait parler réellement avec une présence invisible.

Un jour je lui demandai, à brûle-pourpoint : « Avez-vous peur de mourir ? ». Je me trouvais à Rome depuis quelques jours. Je l’avais rencontrée deux fois et j’étais allé la saluer avant de retourner à Milan.  Elle me regarda comme si elle cherchait à comprendre la raison de ma question. Pensant que j’avais eu tort de parler de la mort, je cherchai à rectifier le tir. « Je vous trouve reposée », dis-je. « Hier, en revanche, vous m’avez paru très fatiguée ».

« Je me suis bien reposée cette nuit », répondit-elle.

« Ces dernières années, vous avez subi plusieurs interventions chirurgicales plutôt délicates, comme celle du coeur : vous devriez vous ménager, moins voyager ».

« Tout le monde me le dit, mais je dois penser à l’oeuvre que Jésus m’a confiée. Quand je ne serai plus utile, ce sera Lui qui m’arrêtera ».

Et, changeant de sujet, elle me demanda : « Où habitez-vous ? ».  « A Milan », répondis-je. « Quand rentrez-vous chez vous ? ». « J’espère, ce soir même. Je voudrais prendre le dernier avion, ainsi demain samedi, je pourrai être en famille ».

« Ah, je vois que vous êtes heureux de retourner à la maison, dans votre famille », dit-elle en souriant.

« Je suis absent depuis près d’une semaine », répondis-je pour justifier mon enthousiasme.

« Bien, bien », ajouta-t-elle, « Il est normal que vous soyez content. Vous allez retrouver votre femme, vos enfants, les gens que vous aimez, votre maison. Il est normal qu’il en soit ainsi ».

Elle demeura encore quelques instants en silence, puis revenant à la question que je lui avais posée, elle poursuivit : « Je serais aussi contente que vous s
i je pouvais dire que ce soir je vais mourir. Si je meurs, moi aussi je retournerai à la maison. J’irai au paradis. J’irai retrouver Jésus. J’ai consacré ma vie à Jésus. En devenant religieuse, je suis devenue l’épouse de Jésus. Regardez, je porte l’anneau au doigt comme les femmes mariées. Et je suis mariée à Jésus. Tout ce que je fais ici, sur cette terre, je le fais par amour de Jésus. Donc, en mourant, je retournerai à la maison. Chez mon époux. En outre, là-haut, au paradis, je retrouverai aussi tous les miens. Des milliers de personnes sont mortes dans mes bras. Cela fait maintenant plus de quarante ans que je consacre ma vie aux malades et aux moribonds. Avec mes sœurs, nous avons recueilli sur les routes, surtout en Inde, des milliers et des milliers de personnes en fin de vie. Nous les avons ramenées dans nos maisons et les avons aidé à mourir dans la sérénité. Beaucoup de ces personnes ont expiré dans mes bras, tandis que je leur souriais et caressais leurs visages tremblants. Eh bien, à ma mort, je vais retrouver toutes ces personnes. Elles sont là, qui m’attendent. Nous nous sommes aimées en ces moments difficiles. Nous avons continué à nous aimer dans le souvenir. Qui sait comme elles me feront fête en me voyant. Comment puis-je avoir peur de la mort ? Je la désire, je l’attends pour pouvoir enfin rentrer à la maison ».

Généralement, dans les interviews, et même dans les conversations, Mère Teresa se montrait concise, ses réponses étaient brèves et rapides. Cette fois, pour répondre à ma curieuse question, elle s’était lancée dans un véritable discours. Et tandis qu’elle parlait, ses yeux brillaient d’une sérénité et d’une félicité surprenantes.

Renzo Allegri

Traduit de l’italien par Zenit (E. de Lavigne)

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ZENIT Staff

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