Puisque nous sommes le sel de la terre, quelle société voulons-nous ?

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Catéchèse de Mgr Carré

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CITE DU VATICAN, Vendredi 26 juillet 2002 (ZENIT.org) – « Puisque nous sommes le sel de la terre, quelle société voulons-nous ? », interroge Mgr Carré.

Voici le texte complet de la catéchèse de Mgr Pierre-Marie Carré, archevêque d’Albi (cf. http://www.jmjdirect.org).
Thème : Vous êtes le sel de la terre
Mercredi 24 juillet 2002

Comprendre l’expression

Jésus ne dit pas à ses disciples : « Soyez le sel de la terre » ou « Devenez-le ». Il leur dit, il nous dit : « Vous êtes le sel de la terre ». Voilà une expression qu’il nous faut bien comprendre.
Dans l’Antiquité, le sel était une denrée très précieuse. Notre mot « salaire » vient de là : les légionnaires romains étaient payés avec du sel qu’ils pouvaient échanger contre des marchandises ou vendre très cher. Nous, disciples de Jésus, sommes une réalité précieuse pour la vie du monde !
Le sel permet aux aliments d’avoir du goût. La nourriture n’est plus fade et insipide. Les disciples de Jésus sont donc ceux qui permettent à notre monde d’avoir de la saveur, d’avoir un goût de vie et non de mort, de lassitude ou de cendres.
Le sel conserve. On l’a un peu oublié aujourd’hui. Mais il empêche les aliments de pourrir. Autrefois, on conservait viande et poisson dans le sel. Le sel de la terre, c’est ce qui permet de maintenir dans un état satisfaisant. Les disciples de Jésus sont, sur cette terre, ceux qui lui permettent de se maintenir.
En un mot, Jésus dit à ses disciples ce qu’ils sont à ses yeux. Il le leur exprime juste après les Béatitudes où il a tracé le chemin du bonheur. Ce n’est pas le bonheur humain immédiat : « Heureux les pauvres de cœur, les doux, les artisans de justice, ceux qui sont miséricordieux… » Après avoir dit cela, qui les concerne, Jésus continue en disant : « Vous êtes le sel de la terre ». En définitive, ce sont ceux qui vivent les Béatitudes, ceux qui les ont prises au sérieux qui sont le sel de la terre et la lumière du monde. Ils mettent dans notre monde un principe de vie extraordinaire. Déjà, un vieil auteur des environ de l’an 200 l’écrivait dans un texte qui nous est parvenu sous le nom de lettre à Diognète : « Ce que l’âme est dans le corps, les Chrétiens le sont dans le monde ». L’auteur commentait cette expression en soulignant que, tout en étant persécutés, les Chrétiens ont un rôle indispensable et il concluait : « Le poste que Dieu leur a fixé est si beau qu’il ne leur est pas permis de le déserter ».
Notez encore que Jésus ne pose pas de condition. Il ne dit pas : « Si vous faites cela, alors vous serez le sel de la terre ». En affirmant aussi nettement ce que nous sommes, il nous permet de comprendre ce qu’est la grâce de Dieu qui nous constitue. Une telle image paraîtrait prétentieuse si nous en étions les auteurs. C’est Dieu qui fait de nous ce que nous sommes.

Être le sel de la terre selon les évangiles

Il ne suffit pas d’expliquer un terme ou de chercher à comprendre ce que veut dire une image. Ce serait en rester à des abstractions. Avançons un peu plus.
1° Vous remarquerez que les disciples ne se donnent pas ce titre à eux-mêmes. C’est Jésus qui le leur donne. Il leur dévoile ce qu’ils sont par une grâce de Dieu toute gratuite… Je suis souvent resté perplexe sur cette phrase de Jésus. Car il faut le savoir : elle n’est jamais reprise par les disciples de Jésus dans le reste du Nouveau Testament. Ni saint Paul ni un autre texte n’y feront référence… Pourquoi ? Je ne saurai pas le dire. Peut-être ce titre a-t-il paru trop ambitieux, ou était-il trop difficile à expliquer…
2° Mais si le mot n’y est pas, y a-t-il au moins la réalité ? Jésus et ses disciples ont-ils montré surtout par des actes ce que signifiait pour eux ce titre ? Le sel dans les aliments, c’est discret et c’est nécessaire en même temps. J’aurais envie de dire que le sel est ce qui fait exister davantage, qui révèle un goût nouveau.
En lisant l’Évangile, je vois que ceux qui accueillent Jésus en attendent quelque chose d’unique. Ceux qui se tournent vers lui avec confiance ont eu leur vie changée. Vraiment, un autre goût est arrivé pour eux ! Je pense à Nicodème ; la première fois qu’il rencontre Jésus, c’était la nuit (Jn 3,1-2). Ainsi il ne se fait pas trop voir. Il était revenu trouver Jésus avec ses certitudes et ses questions. Jésus lui a parlé d’une nouvelle naissance dans l’eau et l’Esprit-Saint. Il n’a pas bien compris et il est reparti. Mais on le retrouve plus tard (Jn 7,50) ; il prend la défense de Jésus devant ceux qui veulent le condamner de manière expéditive. Enfin, quand Jésus sera mort sur la croix, il viendra en plein jour pour aider à le descendre de la croix et le mettre au tombeau avec les soins nécessaires pour les rites funéraires (Jn 19,39). Le sel qu’a mis Jésus dans sa vie l’a réveillé et lui a donné d’oser prendre position en plein jour pour Jésus, alors que les disciples l’avaient abandonné.
3° Le sel dans une vie, en définitive, c’est une manière de vivre ! « Ayez du sel en vous-même », dit Jésus quelque part (Marc 9,50). Il y a une manière d’être et de vivre qui n’a aucun goût, aucun sens, aucun intérêt. Quand on s’en aperçoit, à 20 ans, à 30, à 50, ou à 80 ans, ou peut-être sur son lit de mort, on découvre ce qu’est la vraie vie. Elle consiste à passer de ce qui est fade, ou aussi de ce qui est nourriture avariée, à ce qui a du goût et qui est bon… Ce qui n’a pas de goût, ce qui a un goût de mort, est fort et insidieux dans notre monde et même dans nos vies. Ce sont les images du succès facile, de la célébrité, du culte du plaisir à tout prix, du rejet de ceux qui sont malades, faibles, handicapés, vieux… de ceux qui sont pauvres, étrangers, différents… Le modèle nous est proposé tous les jours : être jeune, beau, riche… C’est cela que Jésus vient contester ! Déjà, la sagesse populaire le savait bien : on ne reste pas toujours jeune ; malgré tous les soins, le corps s’abîme et l’on n’emporte pas sa richesse dans la mort.
4° Jésus vient proposer autre chose ! « Il passait partout en faisant le bien », dit saint Pierre pour résumer sa mission. Il donne un autre horizon à tous ceux et celles qui cherchent autre chose. Ce n’est pas par hasard que sa première parole dans l’évangile de saint Jean est : « Que cherchez-vous ? » Mais si l’on ne recherche rien, si l’on reste dans une vie éclatée, dispersée… si l’on vit à la surface des choses, si tout est encombré en nous… comment Dieu nous donnera-t-il le goût d’autre chose ?
Ce n’est pas par nous-mêmes que nous sommes le sel de la terre. C’est un don de Dieu qui nous vient de notre relation personnelle avec lui depuis le jour de notre baptême.
– Jésus ne parle pas à chacun séparément en lui disant : « Tu es le sel de la terre ». Il s’adresse à ses disciples, à tous, en un mot à l’Église. Celle-ci n’est pas l’association ou le club de ceux qui viendraient chacun apporter leur pincée de sel pour qu’en définitive elle rassemble beaucoup de sel. Cela signifierait que nous sommes la source, l’origine de tout cela.
• C’est de Jésus que nous tirons notre identité. C’est seulement par lui que tous nous sommes le sel de la terre, chacun avec ses particularités, mais en communion les uns avec les autres. Sans lui, il nous est impossible d’être sel de la terre. Ce ne serait que prétention et illusion.

Comment être le sel qui ne s’affadit pas ?

Nous savons bien quand le sel de notre foi et de notre vie chrétienne commence à s’affadir.
§ quand nous nous décourageons devant le mal qui sévit dans le monde, mais aussi quand nous nous laissons aller devant nos propres faiblesses et celles de membres de l’Églis
e.
§ quand notre tonus spirituel baisse et que notre foi n’a plus d’impact sur les divers aspects de notre existence.
§ quand nous sommes tentés de renoncer en nous disant que les Chrétiens ou moi-même ne sommes pas mieux que les autres…
On pourrait encore ajouter à la liste. Mais j’aimerais évoquer des exemples qui sont, pour moi, des stimulants. C’est ma « recharge de sel ».
J’aimerais commencer par quelques exemples, sachant que chacun doit en ajouter.
• Voici le témoignage de Delphine : « Après le décès d’un proche, je suis revenue a la foi que j’avais délaissée. J’ai découvert que la foi ne pouvait pas être seulement une béquille pour les moments difficiles de ma vie, Je me suis mise à faire du scoutisme et j’ai aidé des plus jeunes. Pour tout cela, j’ai trouvé une aide et un soutien dans mon lien avec le Christ. » « Ma relation avec lui devient de plus en plus personnelle », ajoute-t-elle. Ainsi, elle est sel de la terre.
• J’ai eu la chance samedi, à 100 km de Toronto, de présider le mariage de Geneviève et Laurent. Ils s’étaient connus à Rome, lors des JMJ, et ils ont voulu que leur mariage religieux soit célébré au cours des JMJ de Toronto. Au début de la célébration, Laurent a pris la parole pour dire que tous les deux voulaient vivre leur mariage comme l’Évangile et l’Église le présentent en mettant avant tout la fidélité et l’amour. Ils sont un message d’espérance pour tous ceux qui doutent de l’amour. Il y avait cent quarante jeunes du Sud-Ouest qui ont été profondément marqués par le témoignage de ces deux jeunes. Ne sont-ils pas aussi le sel de la terre ?

Nous sommes tous renvoyés à la question de notre identité propre de Chrétien dans le monde. Résumons la question en deux parties :
– pouvons-nous avoir une opinion, un comportement, une échelle de valeurs différents de ceux qui sont dominants sans être exclus de fait de notre société ?
– pouvons-nous alors nous risquer dans la société, sans nous perdre ? Comment être chrétien et tenir sa place dans le monde : rupture radicale ou négociations avec leur part de compromis ?
– Le sel ne s’affadit pas, il remplit son rôle de sel de la terre si nous restons étroitement unis au Christ Jésus. Sans lui, nous ne pouvons rien faire. Unis à lui, nous restons ce que nous sommes. Vous savez ce que sont les moyens qu’il nous donne : sa Parole et ses Sacrements sont là toujours offerts. À nous de nous disposer à la prière, de nous laisser conduire par l’Esprit de Dieu.
– Le sel remplit son rôle s’il est capable de s’unir aux autres réalités. Pour nous, il s’agit d’être avec les autres et non à part. Il y a une manière d’être proches des autres, de se rendre proches d’eux, non par intérêt mais par amour qui rejoint ce que Jésus a voulu faire avec nous. C’est chercher à comprendre ce qui anime les autres, chercher à se faire un avec eux au nom du Christ. Alors, on n’arrive pas comme de l’extérieur avec une bonne parole. On est déjà uni aux autres, par le cœur et l’âme, et le Christ est présent au milieu, et c’est lui qui réalise à plein ce qu’il est venu donner au monde !

Étapes

Pour achever, j’aimerais avec vous réfléchir à quelques grandes questions. Ce n’est qu’une esquisse. Les réponses, nous les donnons par notre existence, par nos choix, les grands, bien sûr, comme ceux d’un choix de vie, mais les choix modestes de chaque jour qui tissent un cadre de vie et imprègnent l’ambiance dans laquelle nous vivons.
Puisque nous sommes le sel de la terre, quelle société voulons-nous ? À quelle société donnons-nous notre accord par nos choix ? Il s’agit de nos choix personnels, bien sûr, mais aussi de la manière dont nous pouvons agir pour que les règles de la vie en société soient transformées. Car être Chrétien, ce n’est pas seulement chercher à agir selon l’Évangile, c’est aussi vouloir que l’Évangile marque la société, qu’il permette aux êtres humains de mieux vivre en société. Ce n’est pas par hasard que de nombreux Chrétiens ont des responsabilités sociales, économiques, politiques importantes et qu’ils se sont efforcés d’agir de toutes leurs forces pour cela.
On pourrait objecter que rien n’est authentique, que c’est habituellement la solution de compromis qui l’emporte et donc être tentés de ne rien faire. Ce serait une grave erreur.
Toutes nos réflexions nous inscrivent sur un chemin de vie chrétienne particulièrement exigeant et porteur de vie et d’avenir pour notre monde : c’est le chemin de la sainteté ! Il nous est donné comme programme au jour de notre baptême. Remettons-le devant nos yeux.

24/07/2002
Mgr Carré, évêque d’Albi

© JMJ direct – Tous droits réservés

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ZENIT Staff

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