Prière eucharistique III: les mots qui introduisent les paroles du Christ

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Dans le cadre de ses (jusqu’ici 19) chroniques sur les prières eucharistiques, l’évêque émérite de Tarbes-Lourdes propose ce commentaire de la IIIe prière eucharistique: « …il prit le pain, en te rendant grâce il le bénit, il le rompit et le donna à ses disciples…. » 

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A quelques nuances près, nous retrouvons la même formulation dans toutes les Prière eucharistiques. Elle vient du Nouveau Testament, tant des évangiles que de la Première aux Corinthiens.

Prendre, rendre grâce, rompre et donner : ce sont les quatre mêmes verbes qu’emploient saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Paul dans le récit de la dernière Cène. Pour être tout-à-fait exact, saint Matthieu et saint Marc disent « bénir » ; saint Luc et saint Paul, souvent proches l’un de l’autre, disent « rendre grâce » (« eucharistie »). Saint Paul se dispense de dire que le Christ le leur « donna » : cela allait de soi.

Quand Jésus nourrit la foule

Les mêmes verbes avaient été employés auparavant, dans les évangiles : lors de la « multiplication des pains ».  Evénement capital, puisqu’il est redoublé dans deux contextes différents, et chez saint Matthieu et chez saint Luc. Evénement capital, puisque saint Jean le rapporte et développe, à la suite, le discours sur le Pain de vie. Il dit, lui aussi, que Jésus prit les pains (qu’André avait péniblement récoltés), qu’il rendit grâce et qu’il les donna à ceux qui étaient restés à l’écouter.

« Multiplication des pains » n’est pas une très bonne manière de parler. Car elle attire l’attention sur l’aspect physique de l’événement. Or, le but de Jésus n’est pas d’opérer un prodige : une fois pour toutes, au début de son Ministère, il a repoussé cette proposition du Tentateur. Le but, c’est de nourrir ces gens avant de les renvoyer : sinon, « ils pourraient défaillir en route ».

De même, la raison dernière de la consécration n’est pas le changement qui fait du pain et du vin le Corps et le Sang du Christ. Le but du Christ est d’offrir aux fidèles « le pain de la vie éternelle et la coupe du salut », comme dit le Canon romain. Ce qui ne diminue en rien l’importance de la multiplication des pains et de la consécration : dans le premier cas, il faut bien qu’il y ait la quantité ; dans le second, qu’il y ait le réalisme.

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D’autres rapprochements peuvent être faits entre la nourriture donnée à la foule et l’Eucharistie. Il s’agit d’une foule, et pas d’un petit cercle de privilégiés : que l’on pense aux Messes des Journées Mondiales de la Jeunesse ! Mais il ne s’agit pas d’une foule indistincte : une foule indistincte et affamée est une menace, y compris pour elle-même. Les disciples l’organisent en « carrés de cent et de cinquante » (Marc 6, 40). Plus tard, ils auront à être des pasteurs. Comme Moïse avait organisé le Peuple dans sa marche à travers le désert (Exode 18, 25).  

Ceux qui sont nourris de pain et de poisson étaient venus pour écouter Jésus. Ils sont même là depuis trois jours. De même, depuis une haute antiquité, la célébration eucharistique n’est pas séparée de la liturgie de la Parole.

Quand Jésus veut nourrir la foule, il ne fait pas tomber le pain du ciel. Il donne un ordre à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Les disciples doivent surmonter leur incrédulité : deux cents deniers ne suffiraient pas pour acheter la quantité nécessaire. Mais, dans la foi, ils ramassent ce qu’ils peuvent : cinq pains et deux poissons. « Qu’est-ce que cela pour tant de monde ! »

Après avoir rendu grâce et rompu les pains, Jésus « les donnait à ses disciples pour les servir aux convives » (Marc 6, 41), « il les donna aux disciples qui les donnèrent aux foules » (Matthieu 14, 19). C’est encore aux disciples de rassembler ce qui reste, afin que rien ne soit perdu, dit Jésus dans saint Jean. Il y a surabondance : d’autres pourraient prendre place au banquet.

De bout en bout, les disciples sont associés au geste annonciateur du Christ. Il agira de même à la Dernière Cène. Il a demandé aux disciples de la préparer et il leur donne un ordre : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »

Ce n’est pas, non plus, par hasard que ces scènes préfiguratrices de l’Eucharistie se situent à proximité des annonces de la Passion dans les trois évangiles synoptiques. Saint Jean dit explicitement : « Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche. » Le lendemain, à la foule qui voudrait bien profiter de ses dons, il annonce finalement sa mort et sa résurrection : « Ma chair pour la vie du monde. »

A l’auberge d’Emmaûs

Saint Luc ne raconte qu’une seule « multiplication des pains ». Mais les mots qui servent de titre à cette chronique se retrouvent à la fin de son évangile. Deux hommes quittent Jérusalem, le lieu du drame. Jésus les rejoint. Commence alors une longe liturgie de la Parole, ambulante : il « leur ouvre les Ecritures », comme dit une des Prières Eucharistiques.

« Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. » Certes, leur cœur était brûlant quand il leur parlait en chemin, mais c’est « à la fraction du pain » que « le Seigneur s’était fait reconnaître », comme ils disent aux apôtres, une fois revenus à Jérusalem.

Après les jours de la Passion, le mot « fraction » avait pris un sens on ne peut plus réaliste. L’Eucharistie est instituée à la Cène mais elle est mémoire de la Passion. Si bien que la « fraction du pain » est la manière dont la première communauté chrétienne désigne l’Eucharistie. C’est saint Luc qui nous le dit, l’auteur des Actes et le confident des « disciples d’Emmaüs ».

Les mots qui introduisent les paroles mêmes du Christ dans le récit de l’Institution ont donc un avant et un après. Mais ils ont encore autre chose à nous dire.  

 

 

   

  

 
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Jacques Perrier

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