Prière eucharistique III: les mots qui introduisent les paroles du Christ (3)

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« Ce n’est pas une formule magique »: dans cette 21e chronique sur les prières eucharistiques, Mgr Jacques Perrier poursuit sa lecture théologique et spirituelle de la Prière eucharistique III (3e volet).

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« Prenez et mangez-en tous :

ceci est mon corps livré pour vous. »

Arrivés au cœur du récit de l’Institution, il ne faudrait pas séparer ce qui est dit sur le pain et le vin. Mais il faut quand même avancer pas à pas.

Ce n’est pas une formule magique

Le récit de la Dernière Cène figure dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) et dans la première Epître aux Corinthiens. Le fidèle sera peut-être surpris en constatant que les mots prononcés par Jésus ne sont pas exactement les mêmes, selon les traditions. Saint Matthieu et saint Marc écrivent : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » Saint Luc : « Ceci est mon corps, donné pour vous. ». Saint Paul : « Ceci est mon corps, pour vous. »  

L’Eglise n’a jamais voulu harmoniser de force les évangiles. Pour la Dernière Cène, le sens, donné par tout le contexte, est clair et identique : le Seigneur donne, par avance, un signe de son libre engagement dans la Passion. Les mots, et encore moins les sons, par eux-mêmes, ne sont pas magiques. Sinon, il n’aurait même pas fallu les traduire.

Les paroles de Jésus reçoivent leur efficacité de l’Esprit Saint. Ils ne sont pas, pour autant, livrés à la fantaisie du célébrant ou des époques, car l’Esprit Saint n’est pas séparable de l’Eglise apostolique. Saint Paul lui-même, si jaloux de son originalité, dit, à propos de l’Eucharistie qu’il a lui-même reçu ce qu’il a transmis aux Corinthiens.  

Pour en finir avec le texte liturgique, lorsque de nouvelles prières eucharistiques furent proposées, il fut convenu que les paroles centrales du récit seraient identiques, ne serait-ce que pour la commodité lors des concélébrations.

La liturgie a choisi la formulation la plus explicite possible pour les fidèles, puisqu’une des consignes du Concile était que « les fidèles comprennent bien le mystère de la foi, dans ses rites et ses prières », prières qui sont prononcées, désormais, à haute voix. C’est pourquoi la liturgie a emprunté des éléments aux diverses traditions du Nouveau Testament.  Rappelons que, dans le canon romain, le prêtre disait : « Prenez et mangez-en tous, car ceci est mon corps. »

« Livré »

La liturgie a introduit un terme qui n’est dans aucun des récits de l’Institution : « livré ». Saint Luc disait simplement : « donné ». En grec biblique, « donner » et « livrer » sont deux mots de la même famille. « Livré » renvoie à la Passion : Jésus a été livré, pas seulement par Judas, mais aussi par Pilate. Dans le récit de la Dernière Cène, saint Paul précise qu’elle eut lieu « la nuit où il était livré », comme nous l’entendons dans les Prières Eucharistiques II et III.

Mais « livré » a un autre sens que nous trouvons aussi chez saint Paul et qui éclaire le sens de l’Eucharistie : « Le Christ vous a aimés et s’est livré pour nous, s’offrant à Dieu en sacrifice d’agréable odeur » (Ephésiens 5, 2). Le don que Jésus fait de lui-même prolonge celui du Père : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique » (Jean 3, 15).      

« Livré » a donc une double tonalité : la violence et l’amour ; la contrainte et la liberté. La Prière II le dit clairement : « Au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa passion… »

« Pour vous »

Dans la consécration du vin, la liturgie ajoute les mots qui figurent dans saint Matthieu et saint Marc : « et pour la multitude ». Ce « pour » n’est pas une précision supplémentaire : il est le cœur même du mystère du Christ. Jésus est le Fils, le Verbe totalement tourné vers le Père (Jean 1, 1), et le Frère totalement tourné vers le monde qu’il vient sauver.

Ce « pour » est le même que nous trouvons dans saint Jean : «Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. »    

La même logique du salut se déploie du Credo (Nicée-Constantinople) à l’Eucharistie : propter nos homines et propter nostram salutem, « pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel ».

Ce « pour vous et pour la multitude » nous empêche d’immobiliser la présence eucharistique. Communier à l’Eucharistie, de quelque manière que ce soit, demandera toujours d’entrer dans l’attitude du Christ qui se donne, dans la louange et le service. Communier, que ce soit dans la célébration ou dans l’adoration, sera toujours tout autant se désapproprier que s’approprier. Certainement pas s’accaparer.

Cela étant, il n’est pas étonnant que les intercessions, les supplications, aient leur place au cœur de la célébration eucharistique et que la « prière universelle » (qui, formellement, fait partie de la liturgie de la Parole) serve de transition avec l’Eucharistie.  

 
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Jacques Perrier

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