Corpus Domini

Robert Cheaib - Robert Cheaib

Prière eucharistique III: « Il prit le pain… Il prit la coupe… » (1)

Print Friendly, PDF & Email

Dans cette 23e chronique sur les prières eucharistiques, Mgr Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes-Lourdes, poursuit sa lecture théologique et spirituelle de la Prière eucharistique III (5e volet): « Le pain et le vin forment un couple très solide ».

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

Le pain et le vin forment un couple très solide. Le psaume 103-104 parlait déjà du pain qui « fortifie » et du vin qui « réjouit le cœur de l’homme » (verset 15). Le Français a surtout retenu la seconde partie du verset…

Quoi qu’il en soit de la date où le texte fut rédigé, le livre de la Genèse nous rapporte un événement qui a perduré dans la mémoire d’Israël et que le canon romain appelle le « sacrifice de Melchisédech » (Genèse 14, 17-20). Ce personnage, un païen, était, à la fois, « roi de Salem » (Jérusalem ?) et « prêtre du Dieu Très-Haut ». Il prononça une bénédiction sur Abram (dont le nom n’avait pas encore été changé en « Abraham») et lui apporta « du pain et du vin ».

Melchisédech refait surface au psaume 109-110 (verset 4) quand Dieu promet au Messie : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech. » L’épître aux Hébreux, dont on a déjà vu l’importance pour l’Eucharistie, fait une large place à Melchisédech.

Le pain et le vin se retrouvent souvent dans l’Ancien Testament, soit comme prémices, soit comme offrandes associées aux holocaustes. L’huile complète le trio. Sur une table d’or dans le sanctuaire seront disposés les « pains de proposition », comme « un mémorial », « un mets pour le Seigneur ». Ils seront disposés chaque sabbat, « à titre d’alliance perpétuelle » (Lévitique 24, 5-9). Intéressant ? Comme par hasard, Jésus fait mention de cette pratique tout en affirmant sa supériorité (Luc 6, 1-5)

Priorité au pain

Deux épisodes de l’Histoire sainte donnent au pain une signification symbolique qui nous rapproche encore davantage de l’Eucharistie.

La nuit de la sortie d’Egypte, les Hébreux avaient fait cuire des galettes, mais n’avaient pu attendre que la pâte ait levé. En souvenir de cela, les Israélites célébrèrent la fête des « Azymes », pains sans levain. « Pendant sept jours, vous mangerez des azymes. Dès le premier jour, vous ferez disparaître le levain de vos maisons » (Exode 12, 15).  

Au désert, le Peuple crie famine. Dieu lui envoie la manne, une sorte de pain que Dieu lui donne : « Il t’a donné à manger la manne  pour te montrer que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur »  (Deutéronome 8, 3). Jésus repousse la première tentation en citant ce verset de l’Ecriture, avant de se présenter lui-même comme le « Pain de Vie ».   

A la fête des Azymes, dont le symbole est le pain, s’est jointe la fête de la Pâque. Son symbole est l’agneau. Elle rappelle que, la nuit de la sortie d’Egypte, chaque famille, sur l’ordre de Dieu, avait sacrifié « une tête de petit bétail ». Les convives consommeraient la viande mais le sang serait répandu sur les montants et le linteau de la maison. La mort épargnerait la famille et « passerait » sans frapper le premier-né. « Passer » est, sans doute, le sens primitif de « pâque ».

Les prescriptions sur le rituel de la pâque, selon un « décret perpétuel », sont consignées dans le même chapitre de l’Exode qui codifie la fête des Azymes (Exode 12). Peu importe ici le processus qui amena à identifier les deux fêtes. Il était achevé au temps de Jésus. « La fête des Azymes, appelée la Pâque, approchait », écrit saint Luc en prologue du récit de la Passion.

A la Dernière Cène, il n’est pas question de manger l’agneau, puisque le véritable Agneau, c’est le Christ qui sera crucifié dans les heures qui suivent. Mais la galette de pain azyme sur laquelle Jésus prononce une bénédiction toute spéciale nous renvoie à la pâque. La bénédiction est spéciale, mais le pain que Jésus prend en ses mains l’est déjà. Toutes les recensions de la Dernière Cène précisent que Jésus prit « le » pain et non, simplement, qu’il prit « du » pain. Ce pain est « fruit de la terre et du travail des hommes », comme dit le prêtre à l’Offertoire. Mais il est aussi chargé d’une signification tirée de toute une Histoire.   

Une pâte nouvelle

Le pain azyme rappelle l’Exode. Mais il invite aussi au renouveau. Le levain est quelque chose de pourri, de vieux, presque de pervers. Il vient de l’extérieur. C’est une sorte de moisissure, comme celle qui sert pour le Roquefort. Quand Jésus parle du « levain des pharisiens », ce n’est pas un éloge (Matthieu 16, 6). Il est vrai que, d’autres fois, il parle du levain qui fait lever la pâte du Royaume. Mais ce n’est pas un vieux levain. Dans l’Evangile, à part les deux premiers chapitres de saint Luc, les vieillards n’ont pas un très beau rôle. Jésus et la Vierge préfèrent les enfants.

L’azyme représente la nouveauté, la fraîcheur, la pureté. Le livre de l’Exode demandait de faire la chasse au vieux levain dans les recoins de la maison. Chez saint Paul, la maison, c’est la communauté et la vie de chacun, devenu temple de l’Esprit-Saint.

Vers l’an 55, saint Paul écrit aux Corinthiens, sans doute à l’époque de Pâques. De multiples scandales s’étaient produits dans la communauté.

Ne savez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute la pâte ?

Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâque nouvelle,

puisque vous êtes des azymes.

Car notre pâque, le Christ, a été immolé.

Ainsi donc, célébrons la fête,

non pas avec du vieux levain, ni un levain de malice et de méchanceté,

Mais avec des azymes de pureté et de vérité.

1 Corinthiens 5, 6-8

Ces phrases de saint Paul laissent penser que le rituel des azymes avait été conservé dans la communauté chrétienne de Corinthe, bien qu’elle ne soit pas composée seulement de Juifs convertis. L’Eglise latine a d’ailleurs gardé l’usage de célébrer l’Eucharistie avec des pains sans levain. Nos « hosties » sont des azymes.

Mais le véritable Azyme, c’est le Christ lui-même, l’Innocent, le Nouvel Adam, en qui le Père a scellé la Nouvelle Alliance avec les hommes.

Mais qu’en est-il du vin ?  Ce sera pour notre prochaine chronique. En paraphrasant légèrement le livre des Proverbes (9, 1-5), le Père Deiss avait composé un chant magnifique :

La Sagesse a bâti sa maison,

elle a dressé sa table et mélangé son vin.

Elle appelle ses enfants :

Venez, mangez de mon pain

et boire le vin que j’ai préparé pour vous !

« Le pain et le vin forment un couple très solide. » A pain nouveau, vin nouveau.

Share this Entry

Jacques Perrier

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel